« Ils passent en force, on utilise la force »
Depuis l’utilisation par le gouvernement de l’article 49.3 de la Constitution pour adopter la réforme des retraites sans vote au Parlement, jeudi dernier, des dizaines d’actions ont eu lieu partout sur le territoire. Des mobilisations plus radicales, que l’intersyndicale ne contient plus.
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Macron, le risque de l’embrasement « Le macronisme : une haine bien ordonnée de la démocratie » Chez les Républicains, le spectre de la disparition Après le 49.3, la Nupes peut-elle convertir la colère en adhésion ?Des rues du 8e arrondissement parisien jonchées de poubelles enflammées. La rocade rennaise bloquée par des barricades en feu. La place de la République lilloise noyée sous les gaz lacrymogènes face à des manifestants refusant une nasse. Des routes bloquées à Aubenas, Lorient ou Quimperlé.
La liste pourrait encore s’allonger. Depuis jeudi après-midi et l’utilisation par le gouvernement de l’article 49.3 pour adopter la réforme des retraites sans vote à l’Assemblée nationale, la mobilisation sociale s’est radicalisée. « Ils passent en force, on utilise la force », confie Malik*, le visage à moitié masqué sur la place de la Concorde.
Le prénom a été changé.
Dans la soirée, plusieurs manifestations sauvages brûleront poubelles et voitures dans les rues de ce cossu quartier parisien. Le tout émaillé d’images de répression policière. Des scènes rappelant, vivement, celles des premières mobilisations des gilets jaunes.
Les limites de la stratégie du « calme »
Or, outre la violence et la répression, un point commun saute aux yeux lorsqu’on regarde le mouvement de la fin d’automne 2018 et ces mobilisations spontanées qui émergent partout sur le territoire : elles ne sont pas à l’initiative d’organisations syndicales.
Pourtant, depuis le départ, et au contraire des gilets jaunes, la contestation contre la réforme des retraites est marquée par une union syndicale forte, et inédite – une première depuis treize ans. Mais après huit journées de mobilisations historiques avec des affluences record dans la rue, la stratégie du calme semble avoir atteint ses limites dans l’esprit de nombreux contestataires.
« Il faut y aller plus dur, y a que ça qui les fait bouger », assure Sami, commercial dans le privé, venu en soutien aux éboueurs sur un piquet de grève. « Cela fait des semaines qu’on a mis en garde le président de la République sur la colère sociale qui monte, souligne Catherine Perret, secrétaire confédérale de la CGT. Avec ce 49.3, elle est aujourd’hui au maximum. Cette explosion sociale, ce sont eux qui en sont responsables ».
Il faut y aller plus dur, y a que ça qui les fait bouger.
« Responsables », car ce n’est pas faute, du côté des organisations professionnelles, d’avoir tout tenté pour se faire entendre. Mais ni les millions de personnes dans la rue, ni le million de signatures de la pétition intersyndicale, ni les grèves, ni le courrier qui lui a été adressé n’ont fait bouger d’une oreille un Emmanuel Macron sourd à leur égard.
« C’est insensé que l’exécutif s’entête jusqu’au 49.3 pour faire passer sa réforme coûte que coûte. Quelle folie ! », s’exclame Marylise Léon, secrétaire nationale adjointe de la CFDT. C’est aujourd’hui cette intransigeance qui pousse de nombreuses personnes à radicaliser leurs moyens d’action. « La colère, après tout ce qui vient de se passer, est compréhensible. Cela fait aussi partie de notre boulot de la contenir. Mais on ne répondra pas à toutes les envies d’en découdre », prévenait, dès jeudi soir, la cédétiste.
Une question se pose cependant. Si tout le monde s’accorde à dire qu’Emmanuel Macron est responsable de cette « explosion sociale », l’intersyndicale y a-t-elle pleinement répondu ? Jeudi soir, à la suite du recours au 49.3, les syndicats ont publié un communiqué très sobre, appelant simplement à poursuivre la mobilisation au travers d’actions « calmes et déterminées ».
« Calme », un mot qui n’avait, depuis le début du mouvement social, jamais été utilisé dans les communiqués intersyndicaux. Encore une semaine avant, c’est dans ce type de communication que les syndicats menaçaient d’une « situation explosive ».
L’exécutif devant ses responsabilités
Un revirement mûrement réfléchi. Après le passage en force du gouvernement, les organisations syndicales veulent jouer à fond la carte de la respectabilité. « Ce qu’on voit désormais, c’est que la démocratie, c’est nous », clament Catherine Perret et Dominique Corona, secrétaire général adjoint de l’Unsa. « Nous, on avance tranquillement face à un gouvernement qui fait n’importe quoi. C’est ça la réalité aujourd’hui », abonde Simon Duteil, codélégué général de Solidaires.
C’est une donnée qui pourrait bien faire basculer le mouvement social en cours. Plutôt en retrait depuis le début de la mobilisation, de nombreux jeunes ont fait une entrée remarquée dans la contestation depuis qu’Élisabeth Borne a décidé d’engager la responsabilité de son gouvernement avec le 49.3. Ainsi, alors que les cortèges syndicaux étaient essentiellement composés de travailleurs jusqu’à présent, on notait de nombreux visages juvéniles, lycéens, étudiants, dans les actions spontanées menées ces derniers jours.
Ce 20 mars, plusieurs établissements supérieurs étaient bloqués ou occupés sans qu’aucun appel national n’ait été lancé. À Tolbiac (Paris 13e), lundi soir, un millier de personnes étaient rassemblées en assemblée générale. Une affluence record depuis le début du mouvement, où ce type d’AG avait réuni, au mieux, cinq cents personnes. « On voit à quel point le passage en force du gouvernement réveille la contestation », assure Éléonore Schmitt, porte-parole de L’Alternative, un syndicat étudiant. Les mobilisations de la jeunesse, plus imprévisibles et plus violentes que les mouvements syndicaux classiques, sont une des grandes frayeurs du gouvernement.
Depuis l’annonce du 49.3, les participants – souvent très jeunes – aux manifestations spontanées sont lourdement réprimés. La répression comme seule arme de démobilisation ? « Ça ne marchera pas », assure Gaspard, lycéen en terminale à Turgot dans le IIIe arrondissement parisien. « L’un de mes camarades a été placé en garde à vue jeudi. Lundi, on était beaucoup plus nombreux du lycée à se mobiliser. »
Ainsi, plutôt que de répondre à l’urgente colère qui germait dans les esprits de nombreux manifestants, la prochaine date de mobilisation interprofessionnelle a été fixée au jeudi 23 mars, soit une semaine après l’utilisation du 49.3. Une date relativement éloignée que certains militants critiquent.
« Il faut arrêter de manifester une fois par semaine et ensuite rentrer chez soi. Il faut mettre en place des grèves plus dures, plus longues », assène le militant de Révolution permanente Anasse Kazib devant des centaines de personnes amassées place de la Concorde, jeudi.
Il faut arrêter de manifester une fois par semaine et ensuite rentrer chez soi.
Pour de nombreux protagonistes, la présence de la CFDT dans l’intersyndicale empêche tout durcissement du mouvement, surtout après un 7 mars où les taux de grévistes n’ont pas été à la hauteur des espérances. « Faire grève un jour puis retourner au travail, ça ne sert à rien », poursuit Anasse Kazib.
« Je ne trouve pas que les syndicats plus modérés imposent une ligne trop tendre au mouvement », réfute Benoît Teste, secrétaire général de la FSU. « La grève, ça ne se construit pas en appuyant sur un bouton. À la CGT, nous continuons d’appeler à massifier les grèves reconductibles », rappelle Catherine Perret.
En choisissant la date du jeudi 23 mars, les leaders syndicaux se doutaient bien que des mobilisations spontanées verraient le jour entre-temps. D’une certaine manière, ce choix les dédouane des actions plus radicales et violentes qui ont eu lieu ces derniers jours. C’est aussi une façon de placer l’exécutif devant ses responsabilités. Lui, et lui seul, est responsable de cette explosion sociale.
Malgré tout, si l’intersyndicale est restée mesurée, le caractère antidémocratique du recours au 49.3 a heurté bon nombre de personnes. Depuis, de nombreux secteurs ont appelé à poursuivre et à durcir les mouvements de grève. Du fait de la mobilisation dans les raffineries par exemple, de plus en plus de stations-service commencent à manquer de carburant.
« On est dans une séquence où on peut encore imposer un rapport de force. Donc on le dit clairement, c’est vraiment là qu’il faut agir, c’est vraiment jeudi qu’il faut se mettre en grève », conclut Benoît Teste. À voir si, ce jeudi, les organisations syndicales réussiront à ne pas se faire déborder dans les rues par une colère trop bouillonnante pour qu’elles arrivent à la contenir.