La démocratie dans tous ses états
Joe Biden, ces 29 et 30 mars, convoque un sommet pour la démocratie. Vaste sujet quand on sait que Benyamin Netanyahou est invité. Car qu’est-ce qui différencie Israël, invité, de la Turquie, qui ne l’est pas ?
dans l’hebdo N° 1751 Acheter ce numéro
En convoquant un « sommet pour la démocratie », ces 29 et 30 mars, Joe Biden a posé plus de problèmes qu’il n’en a résolus. Le premier, c’est lui-même. Il est difficile pour un pays tellement impliqué économiquement et stratégiquement dans l’ordre du monde de se poser en arbitre des élégances démocratiques.
Les arrière-pensées sont trop évidentes qui font de ce sommet une « machine de guerre » diplomatique contre la Chine et la Russie. On peut apprécier que l’Arabie saoudite et l’Égypte, alliés traditionnels des États-Unis, ne soient pas de la fête, mais comment expliquer que le pays organisateur continue de leur vendre des armes à foison ?
Une démocratie peut-elle coloniser et opprimer un autre peuple au seul prétexte qu’elle dispose de la force ?
Un deuxième problème découle du premier. Il est facile de pointer du doigt les dictatures – Pékin et Moscou sont chefs de file, assurément –, mais il est plus délicat de définir la démocratie. On est impatient d’entendre Benyamin Netanyahou justifier sa présence dans ce cénacle virtuel (le sommet se tiendra en visioconférence). La lutte contre la corruption n’est-elle pas citée par la puissance invitante en tête de liste des critères démocratiques ?
Or, voilà un homme, corrompu parmi les corrompus, qui tente de manipuler les lois fondamentales de son pays pour échapper à la justice. Mais Netanyahou et Israël posent surtout une autre question. Une démocratie peut-elle coloniser et opprimer un autre peuple au seul prétexte qu’elle dispose de la force, et du soutien sans faille… des États-Unis d’Amérique ? Peut-elle impunément se muer en théocratie, fût-elle du côté du manche occidental ?
En Israël, des centaines de milliers de manifestants protestent contre le projet de loi qui vise à affaiblir la Cour suprême, pourtant fragile entrave à l’arbitraire. Ils viennent d’obtenir un recul important. Ils ne font hélas que la moitié du chemin. Car le texte, voulu aussi par les colons ultranationalistes, a surtout pour objectif de permettre l’annexion des territoires palestiniens.
Ceux qui prennent peur pour l’avenir d’Israël ne voient pas, ou font mine de ne pas voir, que c’est la logique coloniale poussée à sa dernière extrémité qui se déroule. Que le réseau juif européen JCall s’émeuve, c’est très bien. Mais cette indignation sélective, qui occulte la question palestinienne, ne sauvera pas Israël de la faillite morale. Quelle sincérité attendre des Finkielkraut ou Elie Barnavi, entre autres, qui courent à la rescousse de l’État hébreu, quand ils ont laissé commettre tant de crimes ?
Abandonné par son ministre de la Défense, et quelques-uns de ses amis, Netanyahou est contraint de reculer. Il est même probable que sa coalition d’extrême droite va finir par s’effondrer. Mais il serait temps que les bonnes consciences tirent profondément la morale de cette crise. Il n’y a pas de démocratie possible sous un régime colonial, et j’ajoute « raciste », au risque du pléonasme.
Au fond, qu’est-ce qui différencie Israël, invité par Joe Biden, de la Turquie, qui ne l’est pas ? Ici et là, il y a bien des élections. Celles qui se profilent en Turquie s’annoncent même périlleuses pour Erdogan, le 14 mai. Les Kurdes sont un peu les Palestiniens de l’autocrate d’Ankara.
La dictature est décidément plus facile à identifier que la démocratie.
Les libertés démocratiques sont encore plus méprisées par Israël dans les Territoires palestiniens qu’elles ne le sont en Turquie contre quiconque affirme le droit à s’opposer. Je suis bien conscient que la comparaison a ses limites. Sauf à démontrer combien la définition de la démocratie dépend d’un arbitraire qui, en l’occurrence, se décide à Washington.
Enfin, par les temps qui courent, je ne peux m’empêcher d’un détour qui n’est plus du tout incongru. Quel autre pays qu’Israël manipule aujourd’hui la démocratie au mépris de la volonté populaire ? Quel autre chef d’État prétend faire le bien du peuple contre le peuple, au point de ressembler à un autocrate ? Quelle Première ministre souffle sur les braises du 49.3, en promettant qu’elle ne recommencera plus ? Quel pays déchaîne une violence policière sans précédent, éborgne, mutile, et tue peut-être, pour imposer sa loi ?
On ne contestera pas à ce pays le statut ordinaire de démocratie. On ne fera que constater que la dictature est décidément plus facile à identifier que la démocratie. Selon la pratique que les pouvoirs en ont, elle peut s’assécher autant qu’une nappe phréatique. Concluons provisoirement qu’il ne peut y avoir de démocratie véritable sans égalité et justice sociale.
Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.
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