« Les ouvriers sont-ils des travailleurs jetables ? »

Carlos Ramalho Dos Santos est mort d’un accident du travail en février 2015. Ce n’est que huit ans plus tard que le procès de l’entreprise qui l’employait s’est tenu. Elle a été relaxée. Politis y était.

Pierre Jequier-Zalc  • 1 mars 2023 abonnés
« Les ouvriers sont-ils des travailleurs jetables ? »
© Guilherme Cunha / Unsplash.

Le 17 janvier 2023, au tribunal de Bobigny dans la 15e chambre correctionnelle. Cet après-midi, Uperio, une entreprise qui monte et démonte des grues, est poursuivie pour homicide involontaire après avoir négligé une obligation de sécurité de manière délibérée. L’un de ses employés en CDI, Carlos Ramalho Dos Santos, est mort le 25 février 2015 en chutant de 40 mètres après le décrochage d’une cabine de télescopage qui servait à construire une grue.

Huit ans après les faits, la salle d’audience est quasiment vide. Personne sur les bancs du public et des parties civiles. La femme et les deux enfants de Carlos Ramalho Dos Santos sont rentrés au Portugal après l’accident. Aucun avocat ne les représente à l’audience. Du côté de l’accusé non plus, il n’y a pas foule. Seul l’avocat de l’entreprise est présent. Ni victime ni accusé direct, voici donc un curieux procès.

Pourtant, les faits reprochés sont graves. Le 25 février 2015, Carlos Ramalho Dos Santos se trouve sur une cabine de télescopage, une sorte de cage métallique qui entoure le mat et qui permet de monter et de démonter la grue. Il est 15 h 55 lorsque la cabine se décroche et s’effondre 40 mètres plus bas.

L’ouvrier n’a jamais bénéficié d’une formation sur le montage ou démontage d’une grue par télescopage.

Comment cela a-t-il pu arriver ? Comme souvent dans les accidents du travail, les causes sont multiples. Plusieurs pistes d’explications sont égrenées par le tribunal : « L’ouvrier n’a jamais bénéficié d’une formation sur le montage ou démontage d’une grue par télescopage, ni d’un document expliquant le procédé», explique la présidente.

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Le jour de l’accident, les imprévus se sont enchaînés. « Le camion-grue est tombé en panne et est donc arrivé en retard », explique l’inspecteur du travail à la barre. Ce retard initial a tout chamboulé. Ainsi, à 15 h 55, la cabine de télescopage se trouve encore à 40 mètres du sol alors que le contrat de travail de Carlos Ramalho Dos Santos ­prévoit que sa journée se termine à 17 heures. « Il fallait faire redescendre cette cabine avant le soir car l’entreprise avait un autre chantier le lendemain matin », précise l’inspecteur.

L’ouvrier se retrouve donc sur cette plateforme, à effectuer cette tâche, seul. « Dans le dossier, tous les témoins et experts s’accordent à dire qu’on ne peut pas être seul pour descendre une cabine de télescopage », assène le procureur de la République. L’inspection du travail estime qu’il lui aurait fallu près de quatre heures de travail supplémentaires pour parvenir à descendre cette cabine jusqu’en bas.

M. Ramalho n’est pas mort de son fait, mais de conditions de travail désastreuses sur ce chantier.

«Personne ne lui a demandé de faire cette tâche tout seul, personne ne lui a demandé de travailler plus que ses horaires de travail», rétorque l’avocat de l’entreprise. Un argumentaire classique dans les accidents du travail, pointant du doigt la responsabilité individuelle de l’employé. L’avocat souligne aussi que l’ouvrier avait une dose de neuro­leptique très importante dans le sang, plus de trois fois la dose médicale.

Une relaxe dans l’anonymat le plus total

Une surdose qui aurait pu, selon les experts médicaux, « altérer d’une façon plus ou moins importante – selon sa sensibilité individuelle – sa vigilance, ses réflexes, sa dextérité, son agilité, sa lucidité, et ses facultés de jugement, le jour de l’accident mortel». «Ce médicament est assez répandu dans le BTP, ça permet de calmer le stress et les douleurs physiques », assure, durant une suspension de séance, l’inspecteur du travail.

Cinq ans plus tôt, le tribunal des affaires sociales avait reconnu la faute inexcusable de l’employeur dans cette affaire malgré cet élément. L’avocat de l’entreprise ne le voit pas du même œil d’un point de vue pénal. «Quel est l’intérêt de cette poursuite ? C’était il y a huit ans, on ravive un vieux drame. L’entreprise n’existe plus et elle n’était pas responsable de cet accident, il faut donc la relaxer», conclut-il.

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Un avis contraire à celui du procureur, qui demande au tribunal de condamner Uperio à une amende de 50 000 euros pour homicide involontaire en faisant mine d’interroger la cour : «Veut-on vraiment mettre le code du travail à la poubelle ? Les ouvriers ne sont-ils que des travailleurs jetables ? Non, M. Ramalho n’est pas mort de son fait, mais de conditions de travail désastreuses sur ce chantier et d’un manque de formation. »

L’argumentaire ne suffira pas à convaincre le tribunal. Uperio sera finalement relaxée des faits d’homicide involontaire. Le parquet n’a pas fait appel. Huit ans après, dans un anonymat total, l’entreprise est définitivement mise hors de cause.

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Travail
Publié dans le dossier
Morts au travail, impunité patronale
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