Macronie : la République en panne
Emmanuel Macron rêve de dessiner un « cap » et les idées pleuvent pour chercher à éteindre le feu de la crise des retraites. Mais elles sont révélatrices d’un vide idéologique profond au sein de la majorité et du parti présidentiel.
Quelle histoire écrire ? La question trotte dans la tête des conseillers, députés, ministres et peut-être même d’Emmanuel Macron lui-même. Alors que l’épisode de la crise des retraites n’est pas fini, toute la Macronie phosphore, relit les programmes du candidat en 2017 et en 2022, se force à se souvenir des déclarations médiatiques du Président.
Il faut « tracer ce cap ». Cette nouvelle direction qui permettrait de sauver un quinquennat, d’oublier cette réforme et le passage en force du 49.3. Révolution, publiait-il en 2017. Qui aurait pu croire… Un « cap », tout le monde a ce mot à la bouche. Et il prend parfois des airs de formule magique pour certains. Mais que désigne-t-il vraiment ?
Ce mercredi 22 mars aux JT de 13 h, Emmanuel Macron a lancé quelques mots comme « plein emploi », « ordre républicain », « mieux vivre ». Sans se risquer à développer le contenu de ces sujets. « Il faut qu’il y ait une réponse politique à cette crise », expose un conseiller ministériel. Les éléments avancés ressemblent à des promesses pas véritablement engageantes. Quel est le plan ?
Au fond des tiroirs, il y a ces idées qu’on n’a jamais pu appliquer et qu’il faut bien ressortir parce qu’il y a urgence. La réforme des institutions en fait partie même s’il ne l’a pas évoquée à l’occasion de son interview. Se garderait-il cette carte-ci en cas de nécessaire nouvelle allocution présidentielle ? Déjà promise en 2017, elle a vite été abandonnée après l’affaire Benalla.
« Certains pensent que ce n’est pas le bon timing, mais je suis convaincu que c’est le moment de s’y confronter. C’est fondamental », estime Martin Garagnon, conseiller national de Renaissance. Sur la table ? La question de la proportionnelle, le changement du Conseil constitutionnel en une Cour Suprême à l’américaine, le découplement des législatives et de la présidentielle, une réflexion sur le 49.3 et le droit d’amendement.
Il ne faut plus de petites révisions constitutionnelles. On peut parler de VIe République.
En clair, beaucoup de pistes. Mais rien n’a encore été tranché. En coulisses, on promet une réforme d’ampleur : « Il ne faut plus de petites révisions constitutionnelles. On peut parler de VIe République », ose même un conseiller de Renaissance. Une réforme qui serait ensuite soumise au Parlement ou par référendum.
Et puis il y a les chantiers annoncés, à commencer par la très controversée loi Immigration ? Le projet de loi sera décalé de quelques semaines, et découpé en plusieurs textes. « Si le texte n’avait pas bougé, la partie intégration n’aurait pas convaincu la droite et la partie immigration n’aurait pas obtenu les voix à gauche », juge un conseiller. Une bien timide réponse à la situation. Preuve que l’heure est désormais à l’improvisation.
Navigation à vue
En attendant de trouver les réformes, il est donc surtout question d’ajustements. Et après ? « Il y a l’école, il va falloir mettre le paquet sur le sujet. Il faut absolument qu’on ait une loi sur l’école. Et il y a la santé et une loi sur le plein emploi qui arrive cet été, estime un membre de cabinet au ministère du Travail. Il faut retrouver l’image d’un président européen, libéral, qui marche sur ses deux jambes. » Emmanuel Macron doit retrouver sa ligne. En attendant, il navigue à vue.
Il faut retrouver l’image d’un président européen, libéral, qui marche sur ses deux jambes.
Il y a aussi ces idées que les Macronistes pourraient aller puiser ailleurs, à l’instar d’une possible réforme sur le partage de la valeur. Un accord national interprofessionnel a été signé le 27 février par le patronat et la CFDT, FO, la CFTC et CFE-CGC, après des négociations engagées à la demande du gouvernement.
« Pendant que les syndicats étaient vent debout contre les retraites, ils ont signé cet accord, raconte Martin Garagnon. Pourquoi ne pas le reprendre en loi et le porter à l’Assemblée ? Ce n’est pas parce qu’on était opposés avec Berger sur les retraites qu’on va lui rendre la pareille. » Une manœuvre qui permettrait à Emmanuel Macron de faire revenir le patron de la CFDT à sa table.
Mais rien de nouveau là encore : Élisabeth Borne annonçait déjà une « transcription fidèle et totale dans la loi » de cet accord le 20 février lors du grand raout de la convention sur le partage de la valeur organisée par Renaissance. Évacuant par la même occasion la proposition d’une distribution d’une « superparticipation » obligatoire des entreprises qui réalisent des profits supérieurs de 20 % à la moyenne des cinq dernières années à destination de leurs salariés.
Une idée qui vient pourtant des rangs du parti présidentiel en la personne de Pascal Canfin, l’un des hommes forts sur le sujet. Ce 22 mars, Emmanuel Macron a évoqué une « contribution exceptionnelle » des grandes entreprises dégageant d’importants bénéfices. On n’en saura pas plus.
Une « nouvelle méthode » : c’est aussi la promesse présidentielle. À chaque allocution, l’hôte de l’Elysée promet du changement comme lorsqu’il avait annoncé la création du Conseil national de la refondation pour mettre tous les acteurs « autour de la table » mais qui n’avait pas convaincu. L’expression avait déjà été utilisée en avril 2019 lors d’une conférence de presse à l’Élysée pour faire le bilan du Grand débat post-Gilets jaunes et en avril 2022 dans son discours de victoire au Champ-de-Mars.
Flou artistique et panne sèche
Cette méthode serait déjà en place, selon Bertrand Mas-Fraissinet, membre du bureau exécutif du parti : « Avec l’annonce des conseils nationaux de la refondation sur plusieurs thématiques, c’est quelque chose qui a été lancé, qui existe ». Mais il le concède : « c’est sous les radars complet, même s’il y a des consultations dans les départements pour avoir des propositions ».
On n’a plus de bouée de sauvetage.
« Là, on n’a plus de bouée de sauvetage. Le changement de méthode a deux options : les petits calculs politiciens avec LR, ou il faudra être capable de trouver une formule magique pour gouverner autrement », imagine un conseiller Renaissance. On y est : plus question de piloter à coups de 49.3. La méthode a créé une fracture au sein de la majorité, divisée entre ceux qui banalisent l’usage de cet article et ceux qui la considèrent comme une « faute démocratique ». Opération « élargissement ».
Des alliances pour chaque texte ou un contrat de gouvernement ? Selon les conseillers et membres de la majorité sondés, plusieurs options sont sur la table, même les plus étonnantes. Un accord avec des individualités venues de la gauche « hors Nupes », « un gouvernement d’union » – où même des communistes ont été évoqués d’après un conseiller –, un accord de coalition avec les Républicains – bien que les LR l’aient d’ores et déjà exclu –, « ce qui sous-entendrait éventuellement un remaniement », selon un état-major de Renaissance, ou des alliances texte par texte plus discutées. « Notre ADN, c’est l’élargissement. S’il y a des gens qui veulent réformer le pays sur notre projet, ils sont les bienvenus », explique Bertrand Mas-Fraissinet.
Élisabeth Borne sort affaiblie de cette séquence et tout le monde s’accorde à dire que ses jours sont comptés. Qui pour la remplacer ? Gérald Darmanin, Sébastien Lecornu, ou « s’il faut du renouveau, quelqu’un d’inconnu à la Castex ou un ancien ministre comme Julien Denormandie qui remplit beaucoup de cases », tente un conseiller de Renaissance.
Il faudra qu’il annonce des grandes consultations, avec les syndicats, les élus, les partis, les Français. Sinon, ça sera la dissolution.
Et surtout quand ? Lors de la prochaine prise de parole d’Emmanuel Macron, prévu dans moins d’un mois – sans doute après l’avis du Conseil constitutionnel sur la réforme des retraites – ou plutôt avant les sénatoriales en septembre « pour que Borne puisse avoir un point de chute en sortant de Matignon », selon les pronostics de ce même conseiller ?
« Il faudra qu’il annonce des grandes consultations, avec les syndicats, les élus, les partis, les Français. Sinon, ça sera la dissolution », prédit un membre de l’aile gauche. En clair, personne ne sait ce que désigne ce « cap ». Entre le flou artistique et la panne sèche.
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