Retraites : comment les préfets veulent museler les manifestations
À Paris, Rennes, Lyon, Dijon, plusieurs arrêtés préfectoraux d’interdiction de manifester ont été pris depuis ce week-end, parfois en toute discrétion. Une stratégie contre la mobilisation sociale, difficile à contester en justice.
Mise à jour le 4 avril 2023
Le 1er avril, le tribunal administratif de Paris a suspendu un arrêté du préfet pour « atteinte manifestement illégale à la liberté de manifester ». Ce mardi 4 avril, saisi en référé-liberté notamment par l’Association de défense des libertés constitutionnelles et la Ligue des droits de l’homme, le juge, en formation collégiale, a ordonné au préfet de police de Paris de publier les arrêtés relatifs aux manifestations sur le site internet de la préfecture, dans un délai qui permet la saisine du juge des référés. Celui-ci a constaté que ces arrêtés « n’avaient pas été publiés avant leur application ou avaient fait l’objet d’une publication tardive » et que par conséquent, cela portait « une atteinte grave et manifestement illégale au droit d’exercer un recours effectif ».
Première publication le 28 mars 2023
À Paris, tout le week-end a été émaillé de scènes nouvelles : la distribution d’amendes de 135 euros pour participation à une manifestation interdite. Or, jusque-là, les manifestations ou déambulations manifestantes appelées par certains, « manifs sauvages » étaient non déclarées mais pas interdites. Un détail qui, au regard du droit, change tout en matière de répression.
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La guerre aux manifestants « Nous sommes dans un continuum répressif » Ce que le 49.3 fait à la jeunesse Manifestations : un Belge placé abusivement en centre de rétentionCar, contrairement à ce qu’a affirmé Gérald Darmanin, participer à une manifestation non déclarée n’est pas une infraction. En revanche, se rassembler sur un lieu alors qu’un arrêté préfectoral l’interdit est passible d’une amende de 135 euros. Par conséquent, suite à la multiplication des mobilisations contre la réforme des retraites, les préfectures ont sorti le grand jeu des arrêtés d’interdiction. Parfois, en toute discrétion.
Le centre ville de Paris a ainsi fait l’objet d’interdictions de « tous les cortèges, défilés et rassemblements annoncés ou projetés non déclarés » du vendredi 24 mars à 17 h au samedi 25 mars à 3 h du matin puis, du dimanche 26 mars à 16 h au lundi 27 mars 2023 à 3 h. Et ainsi de suite, pour le moment jusqu’à mercredi 29 mars, à 3 heures du matin.
Les secteurs concernés sont immenses et sont présentés sous forme de listes à la Prévert de rues allant du quartier des Champs-Elysées à la gare de Lyon, jusqu’au secteur de la place d’Italie dans le sud de la ville. Ces arrêtés ont été pris à la dernière minute, publiés très tardivement, parfois même après le début de leur mise en application. L’un a carrément élargi le lendemain l’étendue du périmètre d’un arrêté de la veille.
Piéger et dissuader
Le dernier arrêté parisien vise directement les manifestants mobilisés ce mardi 28 mars. Publié ce matin alors même qu’il a été signé hier, il interdit notamment, sur des secteurs très élargis, de porter des « équipements de protection destinés à mettre en échec tout ou partie des moyens utilisés par les représentants de la force publique pour le maintien de l’ordre public ». Le risque pour les manifestants peu informés de se voir délivrer des amendes de 135 euros sur foi d’arrêtés illisibles est grand.
La préfecture de Paris est même aller jusqu’à changer de lieu de publication en ligne de ce dernier arrêté : les premiers étaient publiés sur le site du département de Région dans le dossier « Recueil des actes administratifs du département de Paris – 2023 » , le dernier est sur le site de la préfecture de police, dans l’onglet « actualités et presse ».
La préfecture organise un état de non-droit.
« Cette stratégie d’éviter la publicité des arrêtés est nouvelle et consternante, constate Me David Van Der Vlist, secrétaire général du syndicat des avocats de France (SAF). D’autant que la préfecture de Paris ne communique pas les cartes mais une liste de rues, illisible. Les policiers qui verbalisent ont des cartes, eux. Tout ça semble être une stratégie pour piéger les gens et les dissuader d’aller manifester ». Mais aussi « d’empêcher la contestation de ces arrêtés devant le tribunal administratif empêché de statuer puisque le temps qu’il s’organise, l’arrêté ne sera plus actif. La préfecture organise ainsi un état de non-droit ».
En effet, cette stratégie entrave la procédure de référé-liberté qui permet de contester dans l’urgence une décision qui porte atteinte à une liberté fondamentale. Le juge administratif doit se prononcer dans les 48 heures. Mais si entre temps, l’arrêté contesté n’est plus appliqué, le juge ne peut statuer.
Le SAF, la Ligue des droits de l’homme, le Syndicat de la Magistrature et Union Solidaires ont tout de même déposé un référé pour pousser la logique. Par ailleurs, un modèle de contestation d’amende sera aussi diffusé dans les prochains jours. « Il est possible d’invoquer l’absence d’entrée en vigueur de l’arrêté à cause d’un défaut de publicité adéquat : celle-ci étant régie par le code des relations entre le public et l’administration (CRPA), explique Maître Van Der Vlist. On espère aussi que le juge administratif va accélérer sa réactivité parce qu’au regard de la situation, il en va de sa crédibilité. »
Un air de gilets jaunes
Ces arrêtés d’interdiction ne concernent pas que la capitale. À Dijon, la manifestation du 25 mars « projetée par les syndicats Solidaires 21, FO, CGT et FSU, déclarée en préfecture le 24 mars 2023 » a été interdite. À Lyon, « les cortèges, défilés et rassemblements revendicatifs » ont aussi été interdits vendredi soir, samedi et dimanche de midi à 23 heures. Mais d’après la préfecture du Rhône, aucune interdiction ne s’applique le 28 mars.
Contrairement à Rennes où non seulement des manifestations ont été interdites tout le week-end mais où aussi, ce 28 mars, la préfecture d’Ille-et-Vilaine a prohibé tardivement – le jour même – « aux abords et au sein des cortèges, défilés, et rassemblements (…) le port et le transport sans motif particulier : d’artifices de divertissement et d’articles pyrotechniques», « d’équipements de protection destinés à mettre en échec tout ou partie des moyens utilisés par les représentants de la force publique pour le maintien de l’ordre public ».
De nombreux arrêtés visent aussi à éviter les blocages. Dans les Pyrénées-Atlantiques, quatre arrêtés interdisent « du 26 mars à 17 heures au 29 mars à 17 heures », « à tout véhicule et à toute personne, sans motif légitime, de stationner sur l’aire du péage ainsi que sur ses abords immédiats ». Cela concerne aussi les ronds-points adjacents. Comme un air de gilets Jaunes.
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