« Mollesse » : piège sexuel
Le singulier premier roman de Franck Mignot ne se prend pas au sérieux tout en virant au drame.
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Mollesse / Franck Mignot/ POL / 138 pages, 17 euros.
Un premier roman mêlant l’anecdotique à la gravité, l’humoristique au tragique : tel est Mollesse, de Franck Mignot, qui fait une entrée saisissante sur la scène littéraire. Foin des petites histoires calibrées : l’incertitude est au rendez-vous.
Longtemps – et c’est une grande qualité ! – le lecteur ne sait pas exactement ce qu’il est en train de lire. Non seulement en termes de récit, mais aussi de ton, de registre. La dédicace, déjà, a de quoi surprendre : « À la merde qui sent toujours, quoi qu’il arrive ». Du trash ? Du punk à chien ? Du premier degré ?
On est en période de confinement (avril 2021), dans une ville côtière, en Bretagne. Les premiers chapitres ne développent pas vraiment d’intrigue. Le narrateur se promène avec ses enfants, ne s’entend plus avec sa femme, a deux amis qu’il voit le plus souvent seul.
Il y a un petit côté Houellebecq, mais un Houellebecq qui serait sympathique.
On remarque surtout sa frustration sexuelle et ses observations cocasses, frisant parfois l’absurde, de type sociologique ou sociétal. Il y a là un petit côté Houellebecq, mais un Houellebecq qui serait sympathique, jamais méprisant, sans jugement moral sur ses personnages ni posture réac. En témoignent les pages subtilement abrasives sur l’émission d’une chaîne qu’on reconnaît être C8.
Le coït comme obsession
Le coït est son obsession, lui qui n’a plus de relation de cet ordre avec sa femme. Obsession larvée, honteuse, coupable puisque synonyme d’adultère, qui donne l’occasion à l’auteur de multiplier les variations sur les rapports de domination, fantasmés ou non, que les hommes entretiennent vis-à-vis des femmes.
Le titre, Mollesse, n’est d’ailleurs pas complètement étranger à ce paradigme sexuel, avec les consonances dépréciatives qu’on peut y entendre. Quand, enfin, le narrateur passe à l’acte avec une voisine qui s’offre (trop) facilement à lui, c’est un piège…
Le roman vire alors au drame. Sans jamais se prendre tout à fait au sérieux, au fil d’une écriture suffisamment souple pour passer d’un genre à l’autre, il aligne un suicide, des meurtres et des questions existentielles. Le narrateur devient aussi trouble qu’il semblait jusqu’ici transparent. Le même être moyen (sinon médiocre) sort du commun. À la fois horrible et grandiose. Et sur le point de créer, enfin, quelque chose. Mollesse, décidément, est un roman bien singulier et très prometteur.