« Music » : au fil des ondes
Angela Schanelec propose un film infiniment singulier, fondé sur les sens plus que sur la rationalité.
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Music / Angela Schanelec / 1 h 48.
Music, de la cinéaste allemande Angela Schanelec, est un film de sensations, non de rationalité. Il porte bien son titre, notamment parce que la musique est avant tout affaire d’ondes et de résonances, pas de conceptualisation. Il s’agit donc d’entrer léger dans Music et de se laisser porter.
Même le pitch annoncé est à oublier. Il serait question d’une très libre variation sur le thème du mythe d’Œdipe. Pas vraiment. Même si l’action se passe en Grèce et que le personnage principal, Jon (Aliocha Schneider), commet un homicide (involontaire) et a la vue qui baisse (corrigée par des lunettes). Mais la fausse piste n’est pas tant un leurre. Elle indique, là encore, que les sens sont primordiaux. Sauf qu’ici l’ouïe dépasse en importance la vue.
Après son meurtre, Jon va en prison, où il rencontre une des gardiennes, Iro (Agathe Bonitzer). Ils tombent amoureux. Elle va avoir un enfant. Ils se rendent chez les parents de Jon, dont on a vu, dans un premier temps, qu’ils l’ont adopté alors que, bébé, il a été retrouvé dans une ferme. Le film mêle l’archaïque à une certaine modernité, le passé au présent. On saisira ensuite que la victime de Jon est quelqu’un qui fut proche d’Iro.
Accidents et harmonies
L’intrigue n’est pas floue, elle est volontairement en retrait. Elle suggère avant tout le poids du destin, un fatum, qui pèse sur les personnages et les fait agir. Mais Angela Schanelec ne filme pas un enchaînement de situations, comme on le fait classiquement. Elle s’attarde au contraire sur ce qui résiste à l’issue fatale.
La cinéaste cadre des gestes, des regards, une attente. Et quand la musique survient – d’abord un motet de Vivaldi interprété par le contreténor Philippe Jaroussky –, celle-ci n’accroît pas l’intensité dramatique mais inonde d’émotion les scènes les plus prosaïques et semble transporter les protagonistes au-delà de leur sort.
Music est fondé sur une suite d’accidents et d’harmonies. Sans doute est-ce aussi l’expérience du spectateur tout au long de ce film qui a reçu l’Ours d’argent du meilleur scénario à la toute récente Berlinale. On s’y sent démuni puis soudain élevé et tout en vibrations. Sourd, avant d’être empli de sons. Music invite ainsi à des épiphanies.