« Nos corps empoisonnés » : mémoire de cellules
Marine Bachelot Nguyen raconte le parcours de la Vietnamienne Tran To Nga. Une femme dont les combats et les maladies témoignent de tragiques pages de l’histoire.
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Nos corps empoisonnés / Du 20 au 25 mars aux Plateaux sauvages / Paris 20e / Également le 6 avril à la Sorbonne Nouvelle à Paris, le 11 avril à Guingamp (22), le 14 avril au festival Mythos à Rennes (35), les 2 et 3 mai au festival Eldorado à Lorient (56).
« J’ai 79 ans. Ce combat, on l’a attendu pendant des années. » Dans la bouche d’Angélica Kiyomi Tisseyre-Sékiné, cette phrase qui ouvre Nos corps empoisonnés amuse et étonne. D’origine japonaise et vietnamienne, la comédienne a peut-être le tiers de l’âge de celle qu’elle incarne dans Nos corps empoisonnés. Soit Tran To Nga, que l’autrice et metteuse en scène Marine Bachelot Nguyen voit comme une « femme-monde », tant ses engagements sont étroitement liés à des pages majeures de l’histoire contemporaine, parmi les plus sombres.
La pièce commence par la dernière lutte en date de la Vietnamienne, née pendant la guerre d’indépendance de son pays : son procès en 2021 contre une vingtaine de sociétés agro-industrielles américaines. Celles-ci ont fourni à l’armée américaine l’agent orange, herbicide ayant empoisonné des millions de personnes pendant la guerre du Vietnam.
Grâce au théâtre, Marine Bachelot Nguyen fait renaître l’espoir suscité par ce procès perdu. Elle réactive aussi la mémoire de tous les combats menés auparavant par Tran To Nga, installée depuis les années 1990 en France, où elle continue de militer auprès de ses compatriotes, notamment les jeunes du collectif Vietnam Dioxine.
Plus riche sur le fond que sur la forme
Ces derniers, apparaissant sur un écran où sont aussi projetées des images d’archives, sont de la génération d’Angélica. Sa position au carrefour des époques et des résistances avait un fort potentiel de jeu. Elle est hélas assez peu exploitée.
Face à la figure imposante de Tran To Nga, le théâtre a tendance à faire profil bas.
Après l’introduction, qui semblait annoncer un décalage entre l’histoire vraie au cœur du spectacle et la forme choisie pour la raconter, le récit prend vite un tour classique. Face à la figure imposante de Tran To Nga, le théâtre a tendance à faire profil bas.
Pour nous donner à comprendre comment la Vietnamienne touchée dans son corps, dans ses cellules, par l’histoire (elle a développé plusieurs pathologies liées à l’agent orange) s’est retrouvée à la tête d’un procès sans précédent, la comédienne remonte jusqu’à l’enfance de cette héroïne. Le récit qu’elle déploie est nettement plus riche sur le fond que sur la forme.
Écrit dans un français très neutre, son récit aborde la guerre contre les Américains vécue par Tran To Nga dans le maquis, puis l’installation du communisme au Vietnam après 1975. Par respect sans doute pour la militante, la pièce documente sa force sans s’autoriser à avoir recours à la fiction ou autre ressort stylistique pour la donner à sentir au plateau. C’est un regret que l’on peut avoir.