Politis a corrigé la copie du président Macron
Dans sa première prise de parole depuis le recours au 49.3, Emmanuel Macron n’a fait aucune concession, se permettant même de taper sur syndicats et oppositions, au mépris, souvent, de la réalité. Politis a corrigé sa copie, avec humour.
Emmanuel Macron : Bonjour, et bienvenue, je suis ravi de pouvoir en effet répondre à vos questions.
Politis > Bon, si vous avez la flemme de tout lire, sachez qu’en réalité, ce qui va suivre est plus un monologue qu’un jeu de questions/réponses.
La réforme des retraites va poursuivre son chemin démocratique. Ce texte a été préparé par le gouvernement après des mois de concertations, il a été ensuite porté par le gouvernement qui l’a modifié après ces concertations au Parlement, il a donné lieu à 175 heures de débats. C’est le texte issu du chemin parlementaire, enrichi par les parlementaires, qui a été adopté dans la CMP puis voté par le Sénat et en effet qui a été adopté par l’AN suite à l’utilisation de l’article dit 49.3 et donc par un vote d’une motion de censure contre le gouvernement qui a échoué.
> Définition d’un chemin démocratique selon Emmanuel Macron : un chemin démocratique s’illustre par un texte de loi soumis à aucun vote à l’Assemblée nationale, des outils constitutionnels utilisés à outrance pour contraindre les débats, des concertations syndicales – à ne pas confondre avec des négociations (faut pas déconner non plus) – réalisées pour la forme, réduites à peau de chagrin. Le tout, avec une opposition très largement majoritaire au sein de la population.
Je pense que les choses doivent rentrer en place, à la fois pour que d’ici à la fin de l’année près de 2 millions de nos compatriotes, 1,8 millions exactement, puissent avoir leur pension qui commencent à être augmentée. Environ 600 euros par an en moyenne.
> Ah, ce n’est plus 1200 euros pour tout le monde ?
Et pour qu’en effet on commence à décaler l’âge légal de trois mois par an progressivement et qu’on accélère l’augmentation du nombre de trimestres à travailler jusqu’à 43 ans à horizon 2027, hé bien il faut que ça rentre en vigueur d’ici à la fin de l’année. Mais maintenant, au moment où je vous parle, il faut attendre la décision du Conseil Constitutionnel.
> Le message est passé pour les millions de contestataires qui s’opposent, justement, à ce report de l’âge légal.
Merci de me permettre de clarifier cela parce que j’ai dit hier des choses précises à des parlementaires qui ont subi des agressions inacceptables depuis ces derniers jours.
> Rappelons, tout de même, qu’aucun parlementaire n’a subi d’agressions physiques ou ayant trait à sa vie privée. Des permanences ont été dégradées ces derniers jours et des intimidations proférées sur les réseaux sociaux.
Je vous le dis ici avec beaucoup de solennité, nous sommes une grande nation et un vieux peuple qui se dote de responsables qui ont une légitimité politique : un président de la République et des parlementaires, qui sont élus par lui. Il y a des légitimités qui existent, les syndicats ont une légitimité.
> Il suffit de parler avec eux pour voir à quel point ils se sentent respectés par l’exécutif d’ailleurs.
Quand ils défilent, qu’ils manifestent, ils sont en opposition à cette réforme, je les respecte, ils défendent leur point de vue. Et d’ailleurs, c’est protégé par la Constitution, le droit de manifester, de pétition, il y a une légitimité.
> Ça doit être pour ça que le gouvernement met tout en œuvre pour réquisitionner les travailleurs sur leur lieu de travail et casser la grève. Droit de grève, dites-vous ?
Et d’ailleurs le gouvernement, comme le Parlement, a essayé de tenir compte de ces manifestations.
> Ah bon ? Nous avons réfléchi, nous n’avons pas trouvé une seule concession faite au mouvement social.
A côté de ça, je vous le dis, dans le moment que vit notre démocratie, quand des groupes utilisent l’extrême violence pour agresser des élus de la République, qu’ils soient parlementaires aujourd’hui ou maires, malheureusement chaque semaine, quand ils utilisent la violence sans règle parce qu’ils ne sont pas contents de quelque chose, alors ce n’est plus la République.
> Avant l’usage au 49.3, le mouvement social était extrêmement calme et discipliné. Et depuis ce recours, est-ce encore la République quand des violences policières s’accumulent chaque soir ?
Ce sont des propos qui clarifient, ce sont des propos qui clarifient.
> Merci, merci.
Quand les États-Unis ont vécu ce qu’ils ont vécu au Capitole, quand le Brésil a vécu ce qu’il a vécu. Quand vous avez eu l’extrême violence en Allemagne, aux Pays-Bas ou, parfois, par le passé chez nous, il faut dire on respecte, on écoute, on essaie d’avancer pour le pays. Mais on ne peut accepter ni les factieux ni les factions.
> Jusqu’à présent, nous n’avons pas vu de putsch fasciste dans les rues de Paris. Plutôt des millions de travailleurs, jeunes, retraités responsables qui s’inquiètent pour leur avenir. Quant à l’extrême droite, autrice de ces extrêmes violences à l’étranger, elle est absente des rues. En revanche, votre majorité lui a confié deux vice-présidences à l’Assemblée nationale. Depuis que vous êtes élu, le RN a progressé de près de trois millions d’électeurs. Ne deviez-vous pas mettre un terme à son ascension ? N’était-ce pas votre engagement en 2017 et en 2022 ?
Oui, mais les millions de Français qui manifestent il faut les écouter, écouter leur colère et y répondre.
> Comment ? Parce qu’on n’a pas bien compris. Vous dites que la « foule n’a pas de légitimité ».
Alors, je voudrais essayer de dire d’abord ce que ce texte va faire et pourquoi on l’a fait.
> Ce n’est pas notre question.
Au moment où je vous parle, est ce que vous pensez que ça me fait plaisir de faire cette réforme ? Non ! Est-ce que vous pensez que je n’aurais pas pu faire comme tant avant moi mettre la poussière sous le tapis ? Oui ! Peut-être. Mais la réalité, et si y’a une chose que je regrette, c’est que nous n’avons pas réussi à partager la contrainte, plus précisément la nécessité de faire cette réforme.
> Ah non, pas encore de la pédagogie !
Au moment où je suis rentré dans la vie active, il y avait 10 millions de retraités. Il y en a aujourd’hui 17 millions. Dans les années 2030, il y en aura 20 millions. Est-ce que vous pensez qu’on peut continuer avec les mêmes règles ? On rentre de plus en plus tard dans la vie professionnelle. On vit, et c’est une chance, de plus en plus tard.
> Pourtant, depuis le XXIe siècle, le temps de travail augmente bien plus vite que l’espérance de vie qui commence à stagner.
Nous avons un système par répartition qui fait que c’est nous les actifs qui finançons aujourd’hui les retraites. On ne finance pas les nôtres. Donc oui, il n’y a pas 36 solutions si on veut que le régime soit équilibré, il ne l’est plus.
> Cela fait deux ans qu’il est excédentaire toutefois.
Et plus on va attendre, plus il se dégradera.
> « Le gouvernement fait mine de s’inquiéter d’un déficit d’environ 12 milliards d’euros à l’horizon 2027, or non seulement ce n’est pas inquiétant (on pourrait finalement s’en accommoder), mais ce déficit pourrait même être comblé assez facilement », Michaël Zemmour, économiste, le 4 janvier dernier dans Politis.
Donc cette réforme elle est nécessaire, et je le dis aux Français, ça ne me fait pas plaisir, j’aurais voulu ne pas le faire mais c’est pour ça aussi que j’ai pris l’engagement devant vous de la faire, par le sens de responsabilité.
> Vous êtes à deux doigts d’expliquer que vous vous sacrifiez pour le bien des Français ? Pas très clair. C’est flou. Et quand c’est flou…
Et c’est l’intérêt général. Qu’est-ce qu’on peut faire face à cette situation démographique qui est la nôtre ? On aurait pu dire : on baisse les pensions. La réponse est non. Nos retraités n’ont pas trop de pouvoir d’achat, on ne peut pas baisser leur pension, on va même relever celle des plus modestes.
> À 1200 euros pour tous, c’est bien cela ? Ah non, pardon.
La deuxième solution, ça aurait été d’augmenter les cotisations des actifs. Nous avons un problème de pouvoir d’achat, en raison de l’inflation.
Journalistes : ou des entreprises, monsieur le Président ?
Non ! Parce que je vais y venir, ce n’est pas comme ça que marchent les retraites. Les retraites c’est des cotisations des actifs pour les retraités.
> Un peu facile de balayer cette solution avec cet argument quand on sait qu’en 2019, le même Emmanuel Macron voulait changer en profondeur le système des retraites. Soudain, il devient un défendeur ardu du système par répartition…
La troisième solution, c’est de dire au fond, j’acte que mon système de retraites a un déséquilibre et c’est le budget de l’État qui va le financer par ailleurs. Et alors comment on fait quand c’est le budget de l’Etat ? Soit on augmente les impôts. On est un des pays occidentaux qui a les impôts les plus hauts. Moi je crois dans la réindustrialisation du pays, j’espère qu’on y reviendra, on l’a défendu, on est en train de gagner cette bataille, ce n’est pas pour faire l’inverse.
> Depuis la suppression de l’ISF, on sait bien que ce n’est pas trop à l’ordre du jour, surtout pour les entreprises.
Deuxièmement, on pourrait dire : c’est aux dépends d’autres priorités. On doit investir dans nos services publics. Notre école, notre santé.
> Donc ceux qui les détruisent depuis plusieurs années, à coup de gel des points d’indices, de fermetures de classes et de lits, s’en préoccuperaient soudainement ?
On ne peut pas prendre cet argent pour le mettre sur les retraites.
D’ailleurs, personne ne l’a proposé.
Et alors la formule magique, qui est implicitement le projet de toutes les oppositions et de tous ceux qui s’opposent à cette réforme, c’est le déficit. Et qu’est-ce que c’est le déficit ? Ça veut dire que vous choisissez de faire payer vos enfants parce qu’aujourd’hui vous refusez de décider avec clarté et courage.
> Une affirmation qui ferait bondir syndicats et partis politiques de gauche qui proposent des projets alternatifs depuis plusieurs mois.
Regardez, vos collègues du Parisien avaient fait cette petite infographie, j’ai eu envie de la convoquer. Nous sommes le pays d’Europe, qui, avec la Suède, qui a un autre système et un autre modèle, où l’âge légal est le plus bas aujourd’hui. Regardez, tous les autres sont entre 65 et 67.
> Peut-on faire argument plus ras les pâquerettes ? Pour celles et ceux qui voudraient dépasser cet argumentaire simpliste, nous vous conseillons la lecture de cet article de Basta! en accès libre : La retraite à 64 ans comme nos voisins ? Les vrais chiffres derrière les arguments du gouvernement
On n’a pas forcément envie d’entendre la réalité, mais je vous le dis cette réforme, ça n’est pas un luxe, ce n’est pas un plaisir, c’est une nécessité pour le pays. Il y a une volonté de passer à autre chose chez certains et de ne pas partager cette contrainte.
> Traduction du macronisme au Français : vous êtes tous débiles et des enfants gâtés, arrêtez de râler.
Je pense qu’on peut prendre ses responsabilités dans un système démocratique où les élections ne sont pas très tardives, ni celles des parlementaires, ni celle du Président.
> Nouvelle traduction : j’ai été élu par des électeurs responsables voulant éviter l’arrivée de l’extrême-droite au pouvoir. Je n’ai pas eu de majorité absolue aux élections législatives. Mais je m’en fiche, c’est moi le président, c’est moi qui décide.
Je pense que beaucoup de choses qui se sont dites ne sont pas sur les retraites et y compris les colères qui s’expriment aujourd’hui.
> La question des salaires ? Oui, mais vous avez refusé l’indexation des salaires sur l’inflation. Celle des conditions de travail pénibles ? Oui, mais vous avez supprimé quatre critères de pénibilité en arrivant au pouvoir.
Nos pêcheurs par exemple s’expriment à Rennes, ce n’est pas les retraites le cœur de leur problème, c’est des règlementations, des jugements qui leur tombent dessus. Bon, il faut les entendre et les aider.
> C’est vrai, mais en quoi cela voudrait-il dire qu’il y a un quelconque soutien à la réforme des retraites ?
Beaucoup des colères qui se sont exprimées ne sont pas que les retraites et je veux y revenir et pouvoir en parler.
> Parlons-en !
Mais notre système aujourd’hui, nous devons le réformer et donc je le fais en responsabilité, par le sens de l’intérêt général.
> Erreur d’analyse. L’intérêt général c’est quand on se préoccupe du plus grand nombre. C’est le rôle de l’État. Vous, vous proposez de mettre à disposition les moyens de l’État au service d’une minorité. Votre méconnaissance de la réalité du travail de très nombreux salariés du pays est votre principale faiblesse.
Il y a une partie des oppositions qui ont eu le sens des responsabilités, et je vous le dis ici aussi, il faut les respecter et les associer. La majorité au Sénat est une majorité qui ne soutient normalement ni le président de la République ni celle de l’Assemblée Nationale. Elle a enrichi ce texte, elle l’a modifié mais enfin elle a adopté quelque chose qui va dans le même sens.
> Ce qui est drôle, c’est cette faculté à déformer la réalité. Les quelques concessions faites à la droite avaient comme seul objectif d’essayer d’obtenir une majorité au Parlement. Elles n’étaient absolument pas guidées par l’intérêt général. Vous avez préféré négocier avec la droite plutôt qu’avec les partenaires sociaux comme le veut la tradition du dialogue social dans notre pays.
Plusieurs élus de l’opposition venant de la droite républicaine ont décidé de voter ce texte et de ne pas voter la motion de censure.
> Rappelons que le texte n’a jamais été voté au Parlement. Voter une motion de censure, ce n’est pas voter un texte.
Faut les respecter, essayer de les associer aussi. Ils ont le sens des responsabilités. Je regrette qu’aucune force syndicale n’ait proposé un compromis. Et c’est ça aussi, qu’il faut voir depuis le début. Là où, historiquement, des forces syndicales pouvaient proposer des compromis, peut-être pas 65 ans, mais 63 ans et demi, ou augmenter la durée. On nous a dit aucune réforme.
> Insolent ! Vous avez refusé à plusieurs reprises de rencontrer les syndicats. Par ailleurs, selon nos informations, Laurent Berger se serait transformé depuis quelques mois en un mix de Karl Marx et de Fidel Castro.
Journalistes : vous n’avez commis aucune erreur ?
De ne pas réussir à convaincre.
> Non, ce n’est pas possible, vous ne faites jamais d’erreur.
Mais en même temps…
> Ah, l’espace d’une phrase, on a eu peur.
… je constate qu’il y a une tendance dans notre démocratie de vouloir s’abstraire du principe de réalité.
> Traduction du macronisme aux Français : vous êtes tous débiles et des enfants gâtés, arrêtez de râler.
Je note que le secrétaire général de la CFDT pour qui j’ai estime et respect, était allé devant son congrès en proposant d’augmenter les durées, il n’a pas été suivi, mais il avait cette volonté de faire travailler davantage.
> Réponse du mix entre Karl Marx et Fidel Castro : « Déni et mensonge ! La CFDT a un projet de réforme des retraites. Macron 2019 l’avait compris il avait repris notre ambition d’un système universel. Macron 2023 refait l’histoire et ment sur la CFDT pour masquer son incapacité à trouver une majorité pour voter sa réforme injuste ».
D’ailleurs le gouvernement a changé les choses, on n’est plus à 65 ans en 2030 mais à 64 ans et une accélération de la durée de cotisation.
> Grand prince.
Mais il n’y a pas eu de proposition de compromis. Donc le compromis, il a été fait par le gouvernement après ces concertations, il a été fait avec le Parlement mais nous devons avancer, parce que c’est l’intérêt supérieur de la nation.
> La vision du compromis du gouvernement : t’es d’accord avec moi ? Super, tu es responsable ! Tu n’es pas d’accord avec moi ? Tu n’es qu’un extrémiste radical refusant tout compromis !
Et je vous le dis en responsabilité : moi je ne cherche pas être réélu, je ne le peux pas constitutionnellement. Mais entre les sondages et le court terme, et l’intérêt général du pays, je choisis l’intérêt général du pays, et s’il faut endosser l’impopularité aujourd’hui, je l’endosserai.
> Curieuse idée d’utiliser le futur sachant que cela fait trois mois que sa réforme est largement impopulaire.
D’abord, je le dis, il y a différentes formes de contestation que j’ai pu clarifier à l’instant. Qu’il y ait des manifestations organisées pour dire « on est contre », c’est légitime.
> Légitime mais inaudible.
Je salue d’ailleurs l’esprit de responsabilité de l’ensemble des syndicats qui n’ont pas proposé de compromis et ont été contre, avec clarté mais ça a été fait de manière calme, organisée, ils le feront demain, c’est normal.
> Traduction du macronisme en Français : vous êtes mignons à manifester de manière responsable, mais je n’en ai rien à faire.
A côté de ça, il y a des blocages, y’a des violences. Les violences il faut les condamner. Je l’ai dit, ni les factieux, ni les factions dans la République.
> Balayez devant votre porte ! Votre compagnon de route, Alexis Kohler, mis en examen pour prise illégale d’intérêt, est toujours secrétaire général de l’Elysée.
Les blocages, il faut pouvoir les lever quand ils empêchent l’activité normale et c’est pourquoi j’ai demandé au gouvernement d’essayer au maximum de négocier et ensuite de réquisitionner, ce que nous avons pu faire sur les ordures ménagères par exemple dans certaines grandes villes, ou sur les raffineries à chaque fois qu’il faut le faire.
> Oui, on avait compris dès le début du discours. Le droit de grève et le principe même de ce mode d’actions n’a pas été franchement compris pas le gouvernement.
Ça a commencé et ça sera fait pour qu’il n’y ait pas de blocages. Souvent, ce sont très peu de gens d’ailleurs.
> Les 70 % des Français opposés à la réforme des retraites apprécieront.
L’ordre républicain, c’est celui que je souhaite. Je prends un engagement sur ce qui dépend de moi, je suis un peu stoïcien en la matière. Donc je pense qu’il faut qu’il y ait un chemin qui soit maintenant trouvé et qu’on se remette autour de la table.
> Attendez STOP ! Emmanuel Macron n’est-il pas la même personne qui a refusé de recevoir l’intersyndicale il y a encore quelques jours ?
Journalistes : Les Français commencent à se lasser…
Ils ont raison.
> Non, cela n’est pas possible, monsieur le Président, les Français ne peuvent pas avoir raison. Vous venez de nous dire que 70 % d’entre eux n’avaient pas « envie d’entendre la réalité ».
Donc, je le dis, on ne tolèrera aucun débordement, on fera en sorte qu’une vie la plus normale possible puisse reprendre face à ceux qui bloquent à quelques uns l’activité.
> Traduction : nous allons réprimer, toujours plus.
Et après, c’est aussi à nous, à moi, l’exécutif d’essayer d’entendre la colère légitime, qui n’est pas la violence encore une fois, mais qui s’est exprimée au moment de ces contestations. Ces contestations, je veux ici rappeler qu’à chaque réforme des retraites nous les avons, et parfois en nombre bien supérieur.
> C’est faux, jamais au XXIe siècle, une mobilisation contre une réforme sociale n’avait rassemblé autant de personnes dans la rue.
Et dans quelle situation serions-nous si, en 1993, en 2003, en 2010, pour ne citer que quelques uns des exemples précédents, mes prédécesseurs s’étaient arrêtés devant ces contestations en reculant ? On serait dans une situation encore plus critique.
> Décidément, notre président arrive à connaître plusieurs scénarios de l’histoire, même ceux qui ne se sont pas passés. Vous prendriez-vous pour un demi-dieu ?
C’est pour ça que je vous le dis, il faut le faire. Maintenant, dans cette colère et ces voix, qu’est ce qu’il s’est exprimé ?
> Un refus de votre politique injuste ?
D’abord un sentiment d’injustice, que j’entends. Ce sentiment, c’est de dire au fond, c’est toujours nous qui bossons et à qui on demande des efforts.
> Ah, on est enfin d’accord !
Et c’est vrai qu’avec cette réforme, il ne faut pas se tromper, on demande à nos compatriotes des efforts pour pouvoir financer la protection et la préparation de l’avenir. Et donc il faut entendre ce besoin de justice, et moi je l’entends.
> Je l’entends mais je m’en tape. Allez, au boulot jusque 64 ans !
Il y a quand même un peu un cynisme à l’œuvre quand on a des grandes entreprises qui font des revenus exceptionnels et qui arrivent à utiliser cet argent pour racheter leur propres actions. Je vais demander au gouvernement de pouvoir travailler à une contribution exceptionnelle pour que cet argent, quand il y a des profits exceptionnels d’entreprises qui sont prêtes à racheter leurs propres actions, que leurs travailleurs puissent en profiter.
> Le fameux ruissellement.
Cette taxation des superprofits, nous l’avons déjà faite pour les énergéticiens. C’est ce que nous avons fait au niveau européen, c’est ce qui nous permet d’ailleurs de financer le bouclier face à l’augmentation de l’énergie et c’est ce qui fait que vous payez par mois une augmentation entre 20 et 30 euros sur l’électricité ou le gaz au lieu de 180 ou 200 euros. Ça, on l’a financé en taxant les superprofits des énergéticiens.
> Mais ne touchons pas aux superprofits de LVMH !
Mais il y aussi beaucoup de gens qui disent : « Vous nous demandez des efforts, et il y a des gens qui ne travaillent jamais et ils ont quasiment la même vie. Eux ils ne vont jamais travailler et ils auront le minimum vieillesse ».
> Pris en flagrant délit de tentative de division des classes moyennes et populaires. D’autres avant vous s’y sont cassé les dents. Relisez Marx !
C’est pour ça qu’il faut très vite engager toutes celles et ceux qui sont au RSA et les aider à revenir vers l’emploi, les aider et les responsabiliser. Ce sera dans les réformes les plus importantes à venir. C’est à dire : droits et devoirs renforcés pour les bénéficiaires du RSA, mieux les former et les accompagner, régler les problèmes de logement de garde d’enfants, de transport, mais faire revenir à l’emploi des gens qui n’y sont plus parfois depuis des années, voire des dizaines d’années. Ce sont des chantiers que je veux qu’on ouvre parce qu’il y a un besoin de justice.
> Surtout des devoirs. Les droits, vous les supprimez. Précarisons encore plus les personnes sans emploi, c’est la meilleure solution.
Ce qu’on entend dans la rue, c’est aussi des protestations sur le travail. Beaucoup de gens, à juste titre, dans l’agroalimentaire en Bretagne, dans certains métiers encore postés, les métiers du soin, les éboueurs : ces métiers difficiles, ils disent « à 60 ans on a le dos cassé ».
> Ceux-là mêmes qui exigent le retrait de la réforme des retraites.
Le vrai sujet qui a commencé à être ouvert par le gouvernement comme par les parlementaires sur le texte, c’est celui de l’usure professionnelle et des fins de carrière. Je souhaite qu’on réengage avec les partenaires sociaux des sujets très concrets : l’usure professionnelle, la reconversion de fin de carrière.
> Vous tournez autour du pot. Et vous ne voulez pas parler de « pénibilité ». Vous avez d’ailleurs supprimé, dès votre arrivée en 2017, quatre des dix critères jusqu’alors pris en compte. Ça s’appelle le déni. Ou plutôt c’est à mi-chemin entre le déni et le mépris. Est-ce votre définition du macronisme ?
Une démocratie doit entendre la colère légitime, dans un cadre républicain, et y apporter une réponse. Ces réponses ne sont pas forcément assez fortes et tangibles, on doit aller encore plus loin.
> Et la colère sera d’autant plus forte.
La deuxième chose, c’est la progression de la carrière. Beaucoup de gens qui manifestent disent : « Il y en a qui ne bossent pas ». Et c’est ce que je dis sur la loi travail et le système de droits/devoirs/formation/accompagnement des bénéficiaires du RSA. Ils nous disent aussi au fond : « Le travail ne paie pas assez ». On a fait, en 2019, la prime d’activité augmentée de 100 euros. Jamais les smicards n’ont vu leur pouvoir d’achat autant augmenter depuis des décennies. On a augmenté ces 18 derniers mois le SMIC en France de 9,5 %. C’est plus que l’inflation. Il faut entendre nos compatriotes qui manifestent sur ce sujet, qui n’est pas celui des retraites mais du travail qui doit payer. On doit travailler sur les carrières. Ce n’est pas une loi qui doit changer les carrières parce que nous ne sommes pas une économie administrée. Mais il faut remettre sur le terrain le dialogue social pour que les carrières permettent de mieux gagner sa vie.
> Le même dialogue social que celui pour la réforme des retraites ?
Le salaire médian, c’est l’un des salaires les plus proches du salaire minimum en Europe. C’est un peu désespérant pour beaucoup de nos compatriotes. On a enlevé les cotisations sociales sur les heures supplémentaires, mais il faut travailler sur les carrières pour se dire qu’à 45, 50, 55 ans, soit je change de secteur et avoir un métier qui ne me casse plus le dos, soit au moins je serai mieux payé et j’aurai des tâches qui reconnaissent mieux les choses. Ça c’est du dialogue social et c’est indispensable.
> Avoir une prime, non prise en compte dans les calculs du montant des pensions, et le dos cassé, quel pied.
Donnons-nous trois semaines pour définir ces objets et la méthode. Il ne faut pas des grandes discussions et des grandes messes. Il faut des discussions autour de la table.
> Bon courage pour ramener les syndicats, que vous avez méprisés, autour de la table. Et tout au long de cet entretien.
Il y a eu des manifestants qui disent que ce n’est pas la retraite le problème mais « on veut plus travailler du tout ». Parce qu’il y a peu, et on a cette crise dans beaucoup de pays occidentaux, on a beaucoup aidé au moment du Covid. Et donc tout s’est un peu déréglé sur les référentiels – c’est aussi pour cela que c’est plus dur de convaincre qu’il faut de la responsabilité parce qu’on a payé pendant plusieurs mois pour ne pas travailler, pour protéger le pays et on a trouvé d’autres équilibres. Et donc le rapport au travail n’est plus le même. Il faut le rebâtir. Et donner du sens.
> « Donner du sens » : expression macroniste qui signifie travailler deux ans de plus.
Lundi, il n’y avait pas de majorité alternative. Même à un moment d’incandescence politique, il n’y a pas de majorité alternative. J’ai demandé à Elisabeth Borne de bâtir un programme de gouvernement pour avoir à la fois moins de textes de loi, pour avoir des textes plus courts, plus clairs, pour aussi changer les choses de manière plus tangible – tout ne passe pas par la loi. On passe trop par la loi dans notre République.
> C’est vrai ça, à quoi bon s’embarrasser avec la démocratie. Des décrets présidentiels pour régler la crise démocratique, quelle belle idée.
Le mandat que je lui ai donné, c’est de continuer à élargir, autant qu’elle le pourra, une majorité avec les femmes et les hommes de bonne volonté, de droite, de gauche ou sur le côté de l’écologie, sur les priorités que j’ai fixées, à avancer avec elle. Peut-être texte par texte. Il y a des individualités politiques avec leur conviction qui sont prêtes à travailler avec les forces de la majorité. C’est pour cela que tant de textes ont pu passer malgré une majorité relative à l’Assemblée.
> Onze 49-3 en dix mois.
Il y aura bien une loi immigration – il y aura sans doute plusieurs texte immigration dans les prochaines semaines. Beaucoup de nos compatriotes ont peur du changement : ce monde est inquiétant. Peur du déclassement parfois. Nos services publics sont de plus en plus en difficulté : c’est le résultat de quoi ?
> De votre politique.
On n’a pas le droit. C’est d’ailleurs pour cela que j’ai été élu en 2017 et en 2022. Pendant des décennies, nous avons habitué le pays à dépenser et à ne plus produire, ou de produire de moins en moins. Nous avons, entre 1980 et 2010, avant même la crise financière, détruit 2 millions d’emplois industriels et continuer à dépenser. Nous avons habitué nos concitoyens à dire : « Tout va bien se passer, on a un modèle social formidable et vous aurez de plus en plus de droits et on va de moins en moins produire. » Et aujourd’hui, le taux de chômage des plus de 50 ans est le plus bas depuis plus de 15 ans. Le taux de chômage des jeunes est le plus bas depuis des décennies. Le taux d’activité est le plus élevé depuis qu’on le mesure.
> Le taux de chômage des jeunes est tout de même 3 fois plus élevé que celui des 25-49 ans.
Oui, on va continuer à avancer, à marche forcée.
> Au moins, c’est dit.
Deuxième cap : l’ordre républicain. 200 brigades de gendarmerie, on n’a pas besoin de loi pour faire ça. Plus de juges, plus de greffiers pour juger plus vite face la petite délinquance.
> Et supprimer la PJ, comme le souhaite Gérald Darmanin.
Et une loi de programmation militaire pour nos armées et nous protéger. Troisième priorité : c’est les progrès pour mieux vivre : l’école, la santé, l’écologie. L’école, je veux qu’à la rentrée prochaine, on puisse remplacer du jour au lendemain les professeurs dans les classes des élèves. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui dans beaucoup de collèges et lycées. Qu’on réforme le lycée professionnel, indispensable pour être juste avec nos jeunes pour les ramener vers l’emploi.
> L’avis des professeurs : « Cette réforme aura des conséquences directes sur les élèves des classes les plus populaires »
La santé, d’ici la fin de l’année, donner un médecin traitant à nos compatriotes. Ils sont 600 000 qui ont une affectation de longue durée. C’est le cœur de la convention médicale que le ministre prépare. On doit gagner la bataille pour la sobriété en matière d’eau. Faire une petite part d’effort pour préserver notre eau, mieux réutiliser l’eau de nos réseaux comme l’eau de pluie, changer les usages. L’eau, la forêt, les océans, les transports, le logement, c’est tout ça l’écologie, c’est des vies concrètes mais il faut accompagner pour une transition juste et durable. La réforme que l’on fait est une réforme très difficile. On demande un effort aux gens. Ce n’est jamais populaire. Il faut dire qu’on n’est pas concurrencé dans le sens des responsabilités. Je ne dis pas qu’on est beaucoup aidé.
Journaliste : Vous dites, à part vous, les autres ne proposent rien ?
C’est la réalité : ils disaient « Retirez la réforme » (inaudible). Donc j’assume ce moment parce qu’il permet les autres.
> C’était un effort que de vous écouter.
Si j’ai un regret, c’est de ne pas avoir réussi à convaincre sur la nécessité de cette réforme qui ne fait pas plaisir. Mais je ne vis pas de regret. Je vis de volonté, de ténacité, d’engagements. C’est un texte difficile, il est là, il faut le faire, mais ça n’emporte pas tout.
> Ne soyez pas si pessimiste, vous avez convaincu de votre brutalité. Vous aurez réussi à remettre les Français en mouvement. Vous recevrez la note de votre copie demain.
L’actualité vous fait parfois enrager ? Nous aussi. Ce parti pris de la rédaction délaisse la neutralité journalistique pour le vitriol. Et parfois pour l’éloge et l’espoir. C’est juste plus rare.
Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.
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