Pour les jeunes, « malgré les obstacles, il faut durcir le mouvement »
Après plusieurs journées de blocage et de manifestations, les étudiants et lycéens engagés contre la réforme des retraites espèrent une massification du mouvement d’ici au 15 mars.
Fatigués, mais déterminés. À l’université de Nanterre, jeudi matin, quelques heures avant la manifestation à l’appel des organisations de jeunesse, les étudiants ont des mines marquées par les trois blocages consécutifs. Depuis mardi, les actions qui commencent dès 6 h 30 s’enchaînent. Mais l’esprit combatif demeure.
« On est jeune, déter et révolutionnaire », selon l’adage scandé dans les cortèges. De quoi enthousiasmer la soixantaine de personnes dispersées en assemblée générale dans le grand amphithéâtre de droit. « On peut être fiers de nous. Trois jours de blocages, trois jours de manifs, bravo à toutes et tous ! », lance Sélim, étudiant adhérent à l’Unef et militant au NPA jeunes.
Pourtant, ce vendredi, jour de manifestation pour le climat, il n’y aura pas de grilles et de tables devant les portes des bâtiments de sciences humaines, barricadés depuis le début de la semaine. Soumis au vote, le blocage n’a pas été adopté. « Il faut savoir préserver nos forces », glisse une étudiante en lettres, entre deux interventions.
Ce n’est que partie remise en vue de la semaine prochaine. Pour plusieurs étudiants rencontrés, le plus gros est à venir. « Le mouvement étudiant contre les retraites n’a jamais été aussi fort et le blocage des universités s’installe », estime L’Alternative, dans un communiqué publié hier.
Tiédeur de l’intersyndicale
De quoi créer un décalage avec le calendrier de l’intersyndicale ? Alors qu’elle annonçait, après la massive journée de manifestation mardi, deux nouvelles journées de mobilisation samedi 11 et mercredi 15 mars – date de l’entrée du texte en commission mixte paritaire -, de nombreux étudiants aimeraient durcir le mouvement.
Certains sont même surpris de la tiédeur du communiqué signé par les organisations syndicales. C’est le cas de l’Unef Nanterre. Son président, Victor Mendez, voit cette attitude comme une forme de « déconnexion » entre les personnes à la tête des syndicats et « celles et ceux qui font vivre le mouvement au quotidien, à savoir les grévistes. »
« Le gouvernement fait passer sa loi en force en première lecture de l’Assemblée nationale, le Sénat durcit le texte et face à une situation qu’elle considère comme « explosive », l’intersyndicale annonce deux journées de manifestation dont une le samedi, et exhorte Macron à les rencontrer. Si pour elle, la situation est bel et bien ‘explosive’, alors il faut ramener les conditions nécessaires pour la faire exploser ! », poursuit celui qui est « déçu de la position de l’Unef national ».
Si pour l’intersyndicale la situation est « explosive », il faut ramener les conditions nécessaires pour la faire exploser.
Convaincu que la jeunesse peut prendre le relais de la mobilisation, Victor Mendez espère que la coordination nationale étudiante, prévue ce week-end, aboutira à des actions massives. Depuis mardi, entre trente et quarante lieux d’étude sont bloqués en France. Un chiffre qui a légèrement décru tout au long de la semaine. Toujours le 7 mars, la Fidl comptait des blocages dans 200 lycées.
Quoiqu’assez stable, ce chiffre reste très positif selon le député insoumis, Louis Boyard. Contacté, le lanceur du défi du #BlocusChallenge, au cours duquel l’élu du Val-de-Marne invitait les jeunes à se filmer devant leur blocus pour leur permettre de visiter l’Assemblée nationale, estime que le nombre d’universités bloquées est « le même que celui du mouvement contre le CPE à ses débuts ». Il appelle à rester vigilants sur le « regard trop parisien » des commentateurs, en insistant sur la mobilisation des étudiants dans tout le pays ainsi qu’aux mots d’ordre qui dépassent le seul enjeu des retraites.
Relais stratégique
Perçue comme un passage de relais stratégique, l’implication des jeunes dans le mouvement contre la réforme des retraites est scrutée avec attention. Surtout lorsque d’autres dossiers brûlants s’ajoutent à celui des retraites, comme la réforme des bourses ou l’obligation du SNU en temps scolaire. « Notre mot d’ordre, c’est le refus de la précarité. Ça englobe la retraite mais ça ne s’y résume pas », expliquait Imane Ouelhadj, présidente de l’Unef, à la conférence de presse de l’intersyndicale, mardi.
S’ils sont de plus visibles dans les manifestations, notamment celle de mardi où ils étaient 250 000 selon L’Alternative, l’horloge tourne et le calendrier parlementaire, au sujet de la réforme des retraites, pourrait les prendre de court. Ce jeudi, le même syndicat avait compté 10 000 personnes entre le parvis de la gare Saint-Lazare et la place de la République, à Paris.
« On est sûrement un peu moins », estimait un témoin quand le cortège s’élançait dans la rue Chateaudun, sous les regards curieux des employés de bureau, très nombreux dans ces quartiers haussmaniens. Et celui, plus attentifs, des forces de l’ordre. Lors de cette journée de manifestation, la police encadrait les personnes présentes, à l’avant et sur les côtés d’un cortège de tête assez fourni. Selon nos informations, un manifestant aurait été interpellé.
Une présence policière qui fait écho à la répression dont sont victimes les étudiants depuis plusieurs semaines dès qu’une action est discutée ou réalisée. C’était le cas au campus Condorcet, le 23 janvier, à Aubervilliers, où une petite trentaine d’étudiants ont passé une nuit en garde-à-vue après une tentative d’occupation. Quelques jours plus tôt, des CRS sont entrés dans l’université de Strasbourg pour évacuer les étudiants présents, après le feu vert du président de l’établissement. Le 7 février, c’est à Lille 2 que la police vidait les lieux.
Trois jours plus tard, même opération à l’université Victor Segalen, à Brest. Le 16 février, les forces de l’ordre ont entouré l’université de Tolbiac à Paris et procédé à l’interpellation de plusieurs étudiants, dont certains venaient du campus voisin de La Sorbonne.
Des atteintes au droit de se mobiliser
Tout est fait pour éviter que les étudiants se réapproprient leur lieu d’étude. L’autre moyen consiste, pour les présidents d’université, à décréter une fermeture administrative. C’était le cas de l’université Paul-Valéry, à Montpellier, le 7 mars. « C’est une répression qui ne dit pas son nom », dénonce Imane Oulhadj.
Pour elle, cette procédure est « plus simple à mettre en place » que de faire appel aux forces de l’ordre. Une décision qui va de pair avec la systématisation des cours à distance les jours de manifestation. Pour le collectif Université ouverte, ces deux pratiques contribuent à « priver les étudiant·es et les personnels d’espace d’élaboration collective, de moyens de mobilisation ».
À l’initiative du syndicat Le Poing Levé, une tribune publiée dans Libération, signée par un collectif d’universitaires et d’élus syndicaux, pointe des « atteintes au droit de se mobiliser à l’université », dont le seul objectif est de « freiner la participation étudiante au mouvement en cours. » Car « au bout de trois absences, tu deviens ‘défaillant’ et tu pars direct au rattrapage », explique Théo, en licence administration économique et sociale, qui rappelle que des partiels se tiennent au mois de mars.
Pour les lycéens, les épreuves de spécialité du bac se déroulent dès le 20 mars. Le site Academia évoque la possibilité de faire des recours au tribunal administratif afin de contester les conditions qui permettent de déclencher le distanciel. Lundi prochain, un conseil d’administration se tiendra à l’université de Nanterre où il sera question des cours à distance.
De quoi lancer la semaine, alors que des assemblées générales sont prévues dans de nombreuses facs ce jour-là et le lendemain, en prévision de blocages massifs le mercredi 15 mars.
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