Quentin Tarantino : au tout début du film
Le réalisateur retrace son parcours cinéphile, entre regard de cinéaste, œil du critique et habitant de Los Angeles.
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Cinéma spéculations / Quentin Tarantino / traduit de l’anglais (États-Unis) par Nicolas Richard / Flammarion, 448 p., 25 euros.
Cinéma spéculations s’ouvre par un chapitre où l’on découvre Tarantino enfant accompagnant sa mère au cinéma. À la condition de respecter quelques règles – ne pas se plaindre, ne pas poser de questions pendant la séance –, il peut découvrir de nouveaux films. Les projections sont suivies de discussions dans la voiture, où le jeune homme, sa mère et ses compagnons débriefent la séance.
Quentin voit des films d’adultes – Délivrance, de John Boorman, MASH, de Robert Altman –, mais au cinéma il aime être le seul enfant parmi les grands. « Pourquoi me laisses-tu voir les films que mes camarades n’ont pas le droit de regarder ? » demande Quentin à sa mère. « Je suis plus inquiète quand tu regardes les informations, lui dit-elle. Un film ne peut pas te faire de mal. »
Cinéma spéculations se construit comme une série d’essais où le cinéaste s’exprime sur certains films qui l’ont marqué. On oscille entre 1971 avec L’Inspecteur Harry, de Don Siegel, et 1979 avec L’Évadé d’Alcatraz, du même réalisateur.
Chemin faisant, Tarantino développe des analyses précises – un passage remarquable sur les premiers films de Brian De Palma, quelques pages enthousiasmantes sur Steve McQueen.
Il s’adonne à des spéculations excitantes – et si, comme cela aurait pu être le cas, Taxi Driver avait été réalisé non pas par Scorsese mais par De Palma ? – et rend hommage aux lectures qui ont accompagné sa formation de cinéphile : Pauline Kael, journaliste du New Yorker, à laquelle il s’apprête, paraît-il, à consacrer son prochain et ultime film, et Kevin Thomas, critique du Los Angeles Times, au cœur d’un des plus beaux chapitres du livre.
Une expérience de la ville
À chaque fois qu’il mentionne un film, Tarantino le situe dans l’espace de son existence. Il a vu Where’s Poppa ?, de Carl Reiner, au Tiffany, cinéma underground du Sunset Strip. Il a découvert The Wild Bunch (La Horde sauvage), de Sam Peckinpah, au Tarzana Six, premier multiplexe du quartier. Pour lui, le cinéma est une expérience de la ville et c’est à un parcours dans le Los Angeles de son enfance qu’il nous invite.
Mais les films, les textes, sont aussi des éléments annonciateurs de sa carrière. Tarantino explique ses choix pour Kill Bill en évoquant Sisters (Sœurs de sang), de De Palma (encore lui). Il montre le lien entre sa collaboration avec Robert Forster sur Jackie Brown et un article de 1980 où Kevin Thomas s’enthousiasmait pour sa performance dans Alligator (L’Incroyable Alligator). D’anecdotes en réflexions, Cinéma spéculations raconte alors aussi la genèse de Tarantino, de son œuvre et de sa pensée, toujours stimulantes.