Répression à Sainte-Soline : les trois mensonges de l’État

Depuis ce week-end et la mobilisation contre la mégabassine de Sainte-Soline, c’est un véritable tissu de mensonges qui s’est déployé dans la bouche des autorités. Politis vous résume les trois principaux.

Zoé Neboit  et  Lily Chavance  • 29 mars 2023
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Répression à Sainte-Soline : les trois mensonges de l’État
Manifestation contre la réforme des retraites, boulevard Voltaire, à Paris, le 28 mars 2023.
© Guillaume Deleurence

A-t-on déjà vu une mobilisation écologique faire l’objet d’une répression aussi massive ? Le rassemblement à Sainte-Soline contre le projet de mégabassine, ce samedi 25 mars, s’est heurté à un dispositif de 3 200 policiers, « une armée face à la foule ». Bilan : 200 blessés, un éborgné, deux personnes toujours plongées dans le coma dont l’une avec un pronostic vital engagé… Face à cette violence d’État, les autorités ont enchaîné mensonges sur mensonges, que ce soit via la préfète des Deux-Sèvres ou Gérald Darmanin lui-même. Politis a fait la chronologie de ces contrevérités éhontées.

1. « Les secours n’ont pas été obstrués dans l’exercice de leur  fonction »

Samedi après-midi, la Ligue des droits de l’homme (LDH), qui avait envoyé des observateurs sur le terrain, interpelle sur son compte Twitter la préfète des Deux-Sèvres, Emmanuelle Dubée : « Laissez passer les secours d’urgence ! Nos observateurs ont constaté l’entrave par les forces de l’ordre à l’intervention des secours pour une situation d’urgence absolue. »

L’ONG détaille les circonstances dans lesquelles le Samu a indiqué ne pas pouvoir intervenir sur ordre d’un commandement de gendarmerie sur place, et ce, alors que les victimes étaient dans une zone « parfaitement calme ».

S., l’un des deux blessés toujours plongé dans le coma, a été atteint par une grenade explosive aux alentours de 13 h 30, et il aura fallu au minimum dix appels au Samu et au numéro d’urgence européen entre 13 h 35 et 14 h 50 avant qu’une ambulance arrive, à 15 h 10.

Ce retard dans la prise en charge est pareillement constaté par plusieurs témoins, organisateurs et journalistes sur place. Dans un tweet, Marine Tondelier, la secrétaire nationale d’Europe Écologie-Les Verts (EELV) relate avoir, avec d’autres élus, tenté de protéger des blessés en se mettant devant, et avoir été prise pour cible par des policiers en quad avec des jets de grenades lacrymogènes.

Quelques minutes après, le compte de la préfète des Deux-Sèvres réagit en affirmant que « lors de l’opération d’évacuation des blessés, les gendarmes ont été attaqués par des individus armés d’engins incendiaires alors que les heurts avaient cessé ».

Il a été encore une fois établi par plusieurs témoins, vidéos et par la première synthèse des observations de la LDH, que cette affirmation de la préfecture était un mensonge.

Dimanche 26 au matin, la préfète des Deux-Sèvres publie « un point de situation » sur son compte Twitter : « La préfète Emmanuelle Dubée salue l’engagement des gendarmes et des policiers qui hier ont fait face à des individus très violents. Elle rend également hommage aux services de secours qui ont pris en charge, dans des conditions d’intervention difficiles, tous les blessés ».

De concert, le ministère de l’intérieur tout comme les forces de l’ordre ne démordent pas de cette version dans leur communication. « Une source proche de la gendarmerie » confie lundi à BFMTV que « dès qu’ils ont su qu’il y avait un blessé, ils ont engagé leur médecin gendarmerie avec un infirmier sous le feu du black bloc ».

De son côté, lundi, le Samu des Deux-Sèvres affirme au journal local Charente Libre « ne pas avoir été [obstrué] dans l’exercice de [sa] fonction ». Mathieu Violeau, médecin urgentiste au Centre hospitalier de Niort soutient lui aussi que le Samu « a bien fait son job en acheminant et anticipant la prise en charge des victimes ».

Sauf que mardi soir, alors que deux personnes sont encore dans le coma, Le Monde révèle l’enregistrement de la conversation téléphonique qui prouve le contraire. On y entend l’opérateur du Samu dire : « On n’enverra pas d’hélicoptère ou de moyen Smur sur place parce qu’on a eu l’ordre de ne pas en envoyer par les forces de l’ordre ».

Pour la préfète, nulle preuve d’un mensonge. Il n’est « pas surprenant » que « si les conditions de sécurité n’étaient pas réunies, les forces de l’ordre aient pu, pour certaines géolocalisations et dans certaines périodes de temps, indiquer qu’un envoi d’ambulance n’était pas possible dans l’immédiat », déclare-elle en toute précaution dans un droit de réponse. Elle ne s’est toutefois pas donné la peine de revenir sur la partie de l’enregistrement qui montre que le Samu avait connaissance que les affrontements avaient cessé depuis 30 minutes. 

Dernière cerise sur ce gâteau de pirouettes oratoires, Gérald Darmanin a assuré sur RTL mercredi 29 mars que « les secours sont arrivés dès qu’ils ont pu » et qu’il « n’y a pas de violences policières ». Comme ça, c’est dit.

2. « Aucun gendarme n’a utilisé de LBD en quad »

Lundi 27 mars, au lendemain du chaos de Sainte-Soline, lors d’une conférence de presse à Beauvau, le même Gérald Darmanin affirme avec assurance : « Non les gendarmes n’ont pas lancé de LBD (lanceur de balle de défense) en quad. Seules des grenades lacrymogènes ont été tirées ».

Or, dans son bilan des opérations d’ordre public du 24-26 mars, le général d’armée Christian Rodriguez, directeur général de la gendarmerie nationale, affirme que « deux tirs de LBD ont été délivrés par le peloton motorisé d’intervention et d’interposition » – les quads. L’inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN) a été saisie pour enquêter sur ces usages abusifs et proscrits.

Dimanche, la Ligue des droits de l’homme, présente sur place, avait également « observé des tirs au LBD 40 depuis les quads en mouvement ».

Un coup d’œil sur quelques photos et vidéos suffit aussi pour s’apercevoir que le mensonge du ministre de l’Intérieur est lourd. Vite contredit, c’est une heure après, sur le plateau de C à vous, que Gérald Darmanin est revenu sur ses propos, en admettant leur usage et reconnaissant, difficilement, que « des ordres n’ont pas été totalement respectés »

3. « Aucune arme de guerre n’a été utilisée par les forces de l’ordre à Sainte-Soline »

Nouvelle annonce, nouveau mensonge. Deux jours après les lourds affrontements de Sainte-Soline, alors qu’une personne grièvement blessée est toujours entre la vie et la mort, une autre dans le coma et que des centaines de blessés sont recensés, le ministre proclame avec assurance en conférence de presse le 27 mars.  : « Non, aucune arme de guerre n’a été utilisée à Sainte-Soline. Seules des armes intermédiaires ont été utilisées ».

Tout l’attirail déployé par les forces de l’ordre a été identifié par différentes personnes et confrères journalistes présents sur place. Grenades lacrymogènes, instantanées et assourdissantes – GM2L (grenade modulaire 2 à effet lacrymogène), grenades de désencerclement – GMD (grenade à main de désencerclement )… Selon leur décompte, les autorités recensent l’utilisation de plus de 5 000 grenades. Sur son site, maintiendelordre.fr, notre confrère Maxime Sirvins détaille les effets et les caractéristiques de chacune de ces techniques.

Pour autant, ces deux types de grenades – lacrymogène et de désencerclement – utilisées en maintien de l’ordre sont bien identifiées comme « matériels de guerre » et « armes à feu » dans le Code de la sécurité intérieure. L’article L311-2 y régit la classification des armes de guerre en France. Il distingue quatre catégories d’armes ainsi que leurs conditions de détention.

Dans la catégorie d’armes A « matériel de guerre », les A2 sont les armes « relevant des matériels de guerre, les matériels destinés à porter ou à utiliser au combat les armes à feu, les matériels de protection contre les gaz de combat ». La grenade GM2L, notamment, qui possède un souffle lacrymogène et assourdissant, fait bien partie du matériel de guerre utilisé ce week-end à Sainte-Soline. Pour rappel, Rémi Fraisse, avait été tué par une grenade GLI F4, arme de guerre, remplacée depuis par la GM2L.

Pour couronner cette séquence médiatique désastreuse, Gérald Darmanin a annoncé mardi 28 mars après-midi sa volonté de « dissoudre » Les Soulèvements de la terre, l’un des collectifs organisateurs de la mobilisation. Un pas de plus dans la criminalisation des militants écologistes, ou plutôt des « écoterroristes » selon ses mots.

Sur le même sujet : Qui sont les vrais « écoterroristes » ?

Au reste, il faudra qu’il s’arme de patiente. Dissoudre Les Soulèvements de la Terre ne sera pas une mince affaire. Coalition nébuleuse, elle regroupe depuis deux ans des dizaines de collectifs locaux, fermes, sections syndicales et ONGs à travers le pays.

« Mais peut-être que dans sa montée d’autoritarisme actuel, le gouvernement s’apprête effectivement à ‘dissoudre’ une bonne partie de l’opposition écologique, paysanne et syndicale du pays. Puisque celle-ci a le tort de lui faire front dans la rue, dans les campagnes et que son régime politique semble aujourd’hui réduit à l’exercice de la matraque » a déclaré le collectif dans un communiqué le soir même. 

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Avec le soutien de Politis, le documentaire De l’eau jaillit le feu de Fabien Mazzocco (76 minutes, 2023, production Mauvaises Graines & Mona Lisa Production, sortie nationale le 31 mai 2023).

Dans le marais poitevin, des milliers de personnes sont aujourd’hui engagées dans une lutte contre un projet de mégabassines. Fabien Mazzocco a filmé ce territoire et ses habitants pendant 20 ans et documente comment une zone paisible est devenue l’épicentre d’une véritable guerre de l’eau.

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