Retraites : la rue s’embrase contre Macron le pyromane
La 9e journée de mobilisation contre la réforme des retraites a été spectaculaire partout en France, avec des cortèges massifs et de nombreuses violences sur tout le territoire. La faute à un président de la République qui cristallise désormais toutes les colères.
Ce jeudi 23 mars, 17 heures, boulevard Montmartre à Paris. La police procède à une charge extrêmement violente du cortège parisien. Les forces de l’ordre frappent au hasard à grand coups de matraque des manifestants agglutinés et acculés. De nombreuses images de cette charge tournent aujourd’hui sur les réseaux sociaux (voir ici, ici ou encore ici).
Ce qu’on n’y voit pas, en revanche, c’est la suite. Après le retrait des forces de l’ordre, tout le cortège s’est époumoné d’une seule voix : « Macron démission ». Un slogan repris pendant plusieurs minutes par tous et toutes, comme rarement. Une allégorie de ce qu’est devenue, en cette 9e journée de manifestation nationale, la bataille des retraites. Une mobilisation d’envergure qui cible désormais directement le président de la République.
Avant sa prise de parole, mercredi dans les 13 heures de TF1 et France 2, Emmanuel Macron était resté discrètement derrière sa première ministre, Élisabeth Borne, et son ministre du Travail, Olivier Dussopt. Mais après le recours au 49.3, vécu par les syndicats, de nombreux parlementaires et une bonne partie de la population comme un véritable « déni de démocratie », le président de la République se devait de sortir de l’ombre. Et c’est peu dire qu’il l’a fait avec fracas.
Au terme de 35 minutes d’un entretien que Philippe Martinez, le leader de la CGT, a qualifié de « lunaire », Emmanuel Macron n’a fait aucune autocritique. Pis, il a balayé la plus grosse contestation sociale du XXIe siècle en France d’un revers de main, renvoyant syndicats et contestataires à de vulgaires extrémistes ne comprenant rien à rien.
Un succès incontestable
Dans le cortège parisien, extrêmement fourni, les mots manquent parfois aux manifestants pour qualifier comment ils ont vécu cette prise de parole. « Un mépris immense », glisse François, un ancien jardinier municipal, activité qu’il a dû cesser à cause d’un problème de dos. « J’ai pleuré de rage en l’écoutant, assure Léa, étudiante en sciences sociales. Comment peut-on être aussi déconnecté du monde dans lequel on vit ? »
S’il pouvait prendre la parole avant chaque manifestation, ça nous aiderait à battre à chaque fois nos records.
Jeudi soir, le communiqué publié par l’intersyndicale souligne que le succès incontestable de cette mobilisation (3,4 millions de manifestant.es selon les syndicats, 1,09 selon les autorités) est « une réponse aux contre-vérités exprimées par le président de la République et son entêtement incompréhensible ». « S’il pouvait prendre la parole avant chaque manifestation, ça nous aiderait à battre à chaque fois nos records », raille Dominique Corona, secrétaire général adjoint de l’UNSA.
Au fil des journées de mobilisations interprofessionnelles qui se succèdent, cette bataille des retraites est devenue une véritable course de fond, qui a rythmé l’hiver et dont l’arrivée marquera certainement un printemps 2023 dont on se souviendra, quelle qu’en soit l’issue.
On sent désormais que le sprint final n’est plus très loin. Car après des manifestations historiques, calmes et bon enfant, le mouvement social s’est indéniablement durci cette semaine. La faute, à un gouvernement toujours plus radical, usant de tous les pouvoirs dont il dispose pour passer en force.
Une répression croissante
L’institutionnel déjà. Depuis le début de l’examen parlementaire du projet de loi, le gouvernement a utilisé tous les dispositifs constitutionnels possibles pour passer outre la représentation nationale. Le point d’orgue de cette méthode systématique : le recours à l’article 49.3, permettant d’adopter la réforme des retraites sans vote à l’Assemblée nationale, où l’exécutif ne disposait pas de majorité.
Le répressif, ensuite. Depuis une semaine, les images de violences policières se déversent sur les réseaux sociaux de manière ininterrompue. À Paris, des policiers de la BRAV-M en moto roulent volontairement sur un manifestant, un passant reçoit un coup de poing d’une violence inouïe en pleine tête qui le laisse inconscient de longues minutes, tandis qu’une jeune femme se fait matraquer contre une vitrine sans raison, et sans volonté d’interpellation. À Lille, un policier écrase d’un coup de pied volontaire la tête d’un manifestant. À Rouen, une contestataire a eu son pouce arraché par une grenade. La liste pourrait encore longuement s’allonger.
Depuis le recours au 49.3, les chiffres d’interpellations atteignent des sommets, sans que les traductions judiciaires de ces arrestations suivent. L’immense majorité des manifestants interpellés repartent libres et sans poursuite des cellules de garde à vue. « Il y a une multiplication des violences policières, constate Simon Duteil, co-secrétaire national de Solidaires. Le gouvernement a fait le pari fou de l’essoufflement du mouvement en le cassant, et en le violentant pour le décrédibiliser. C’est totalement fou. Ça renforce juste la colère et la détermination. »
Casser les grèves
Mais ce n’est pas tout. Le pouvoir répressif dispose d’un autre volet, moins en vue, mais pourtant tout aussi violent. Celui des réquisitions des personnels grévistes. Depuis plusieurs jours, les préfets n’hésitent plus à user de l’article L. 2215-1, 4° du code général des collectivités territoriales qui permet « en cas d’urgence, lorsque l’atteinte constatée ou prévisible au bon ordre, à la salubrité, à la tranquillité et à la sécurité publiques l’exige » de « requérir toute personne nécessaire au fonctionnement de ce service ou à l’usage de ce bien ». Une pratique très décriée. Elle avait fait grand bruit lors de son usage, à l’automne, pour réquisitionner des salariés des raffineries en grève pour la hausse de leur salaire.
Le gouvernement a fait le pari fou de l’essoufflement du mouvement en le cassant.
En ce début de printemps, le gouvernement prend moins des pincettes pour casser toute tentative de grève susceptible de paralyser quelque temps le pays. Plusieurs éboueurs ont été réquisitionnés de forces pour ramasser les déchets qui s’amoncellent dans les rues de la capitale. Des agents des raffineries de Fos-sur-Mer et de Total Normandie ont également reçu des réquisitions ces derniers jours, alors que de plus en plus de stations-essence se trouvent à court de carburant.
L’irruption de la jeunesse inquiète en haut lieu
Face à cela, la contestation s’est donc, forcément, durcie. Depuis le recours au 49.3, chaque soirée est marquée par des manifestations spontanées partout sur le territoire. Dans la capitale, de nombreux cortèges de quelques dizaines de manifestants sillonnent les rues jonchées de déchets. Des poubelles sont embrasées, du mobilier urbain détruit.
Un durcissement qui s’explique aussi par l’entrée en force de la jeunesse dans le mouvement, après un début de mobilisation où elle était restée plutôt en retrait. Une donnée qui inquiète particulièrement en plus haut lieu.« Il n’y a rien qui fasse plus peur au gouvernement que la jeunesse », note Catherine Perret, secrétaire confédérale de la CGT. Pour de nombreux interlocuteurs, cette entrée soudaine de la jeunesse risque de faire basculer, dans sens ou dans l’autre, le mouvement.
« Soit les étudiants rentrent chez eux et ça risque de s’essouffler, soit ils continuent de nous rejoindre comme ces derniers jours, et là, on peut vraiment entrer sur une configuration CPE », analyse Simon Duteil, évoquant la mobilisation contre le contrat première embauche, retiré après son adoption en 2006.
J’étais la première à condamner les violences, mais là, on se sent tellement impuissants…
Ce jeudi 23 mars à Paris, pour la première fois depuis le début de cette contestation, le « cortège de tête » devançant celui des syndicats est massif. S’y mélange des éléments assumant la violence comme mode d’action et des personnes simplement venues crier leur colère. « J’étais la première à condamner les violences, mais là, on se sent tellement impuissants… Y’a que ça qui les fait réagir », confie Nathalie*, étudiante en master 2 à Nanterre, après avoir renversé plusieurs poubelles rue de la Roquette lors d’une manifestation sauvage, en fin de soirée. Allégorisant cet état d’esprit, on pouvait lire sur une pancarte, dans la foule, « LCP et Public Sénat m’ont radicalisé ».
Prénom modifié.
Le mécontentement devient colère et rage
Les syndicats comptent s’appuyer sur ce net rebond de la mobilisation pour poursuivre le mouvement. Réunies en intersyndicales, les organisations professionnelles et de la jeunesse ont appelé à une nouvelle journée de mobilisation interprofessionnelle dès ce mardi 28 mars. D’ici à là, elles appellent « à des rassemblements syndicaux de proximité ce week-end ».
Dans ce sprint final, le mouvement a basculé dans une forme inédite, où grèves, manifestations syndicales ou spontanées, blocages et actions coup de poing se conjuguent. « L’appel à une date de mobilisation interprofessionnelle est un moyen de continuer à avoir un mouvement social de masse. Mais il faut aussi qu’on continue de multiplier les actions, les blocages économiques tous les jours », souffle Simon Duteil. Déjà ce vendredi matin, les réseaux sociaux appelaient à de nombreuses manifestations spontanées, à Nantes ou à Paris par exemple.
Il faut aussi qu’on continue de multiplier les actions, les blocages économiques tous les jours.
Ce regain de mobilisation aurait surpris le gouvernement, selon plusieurs médias, notamment BFM TV ou France Inter. Pourtant, comment en être surpris ? Car c’est peut-être cela qui s’est joué ces derniers jours. D’un mécontentement contre une réforme jugée « injuste et brutale », bon nombre de contestataires ont basculé dans une colère et une rage à l’égard d’un gouvernement « sourd et méprisant ». Des sentiments que les organisations syndicales ont désormais toutes les peines à contenir.
« Quoi qu’il arrive, le plus important reste le retrait de la réforme des retraites. C’est évident que, désormais, cela va plus loin, mais on n’a pas de mandat, au sein de l’intersyndicale pour dire qu’il faut abattre le gouvernement », souligne Simon Duteil, pour qui une victoire sur les retraites pourrait ensuite permettre d’ouvrir un « nouveau front social ». Dans les cortèges, beaucoup le souhaitent. Mais personne n’oublie l’objectif premier : gagner sur les retraites.
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