RSA « sous conditions » : haro sur les plus pauvres
Dès avril, certains allocataires vont voir leur revenu de solidarité active soumis à un engagement d’activité de 15 à 20 heures par semaine. L’inquiétude des premiers concernés grandit, d’autant que les contours de cette expérimentation demeurent flous.
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Au terme de bénéficiaire, Y. préfère celui d’allocataire. Le revenu de solidarité active (RSA), d’un montant de 598,54 euros pour une personne seule, « n’est pas un bénéfice, c’est plutôt de la survie », considère le trentenaire.
Comme plus de 2 700 habitants des cinquième et septième arrondissements de Marseille, il devrait être convoqué dans les prochaines semaines pour signer un nouveau contrat d’engagement réciproque (CER) lui imposant 15 à 20 heures d’activité hebdomadaires sous peine de perdre son allocation. « J’ai suivi un dispositif “Boost emploi”, personne ne m’en a jamais parlé, ni ma conseillère Pôle emploi, ni le pôle insertion du conseil départemental », déplore-t-il.
Le Haut-Rhin, fusionné depuis le 1er janvier 2021 en tant que collectivité territoriale avec le Bas-Rhin dans la Collectivité européenne d’Alsace (CEA), est l’un des départements précurseurs du RSA sous conditions, lancé en 2017 par Éric Straumann, à l’époque président (LR) du conseil départemental. Certains allocataires s’engagent alors à effectuer sept heures de bénévolat par semaine.
Une plateforme en ligne dédiée à ces activités à destination des allocataires fonctionne toujours. « Sur la plateforme, il est parfois apparu des propositions qui s’apparentaient plutôt à des emplois », témoigne Laurent Schneider, du collectif « RSA – Revenu de base », qui évoque aussi la pression ressentie par certains allocataires.
« Toutes les personnes qui se trouvent aujourd’hui en capacité de travailler devront impérativement sortir du dispositif [du RSA]. Si elles n’acceptent pas les offres qui leur sont faites, en correspondance avec leurs compétences, elles seront sanctionnées », écrivait en juillet 2022 Fatima Jenn, vice-présidente de la CEA, aux professionnels de l’insertion.
Contactée, la CEA souligne que Frédéric Bierry, son président, « insiste sur la nécessité de travailler au cas par cas sur la notion de bienveillance responsable, de réciprocité choisie : la Collectivité s’investit pour tirer les gens vers le haut, mais il faut aussi que, de leur côté, ils contribuent à leur reconstruction sociale, d’où le volontariat et le bénévolat ».
Selon elle, le nombre de foyers allocataires serait passé de 46 160 en décembre 2020 à 39 924 en juillet 2022. Mais cette baisse est-elle liée au dispositif « RSA et bénévolat » ? Actuellement, l’« engagement citoyen » décrit par la CEA ne concerne que 305 personnes.
Y. doit déjà régulièrement attester qu’il postule sans succès à des offres d’emploi parfois bien loin de son secteur professionnel. Cette fois, celui qui a été invité mi-février par Pôle emploi à « une journée de coconstruction » de « l’offre de service des bénéficiaires du RSA dans le cadre de l’expérimentation France Travail », aura le droit à un « diagnostic » avant d’être orienté vers un « accompagnement personnalisé et intensif », selon une présentation diffusée au sein de l’établissement public que Politis a pu se procurer.
Les agents de Pôle emploi mal informés
Mais les contours de ce nouveau « RSA sous conditions », lancé dans le cadre de la refonte du service public de l’emploi et dont la généralisation progressive est prévue d’ici à 2027, demeurent flous et dilués dans des spécificités départementales. La Seine-Saint-Denis, qui avait démenti, en décembre 2022, figurer parmi les 19 départements expérimentateurs, serait en réalité « activement engagée », selon le haut-commissariat à l’emploi et à l’engagement des entreprises, même si le département affirme ne pas avoir encore tranché.
Au sein de Pôle emploi, des agents se plaignent du manque d’information. « Pour certains, la condition [au versement du RSA], c’est par exemple un travail d’intérêt général à mi-temps ; pour d’autres, c’est un accompagnement. À Pôle emploi Paca, ils ne parlaient que d’accompagnement », relate Éric Almagro, délégué syndical SNU-FSU Paca, qui ajoute : « La manière dont ils nous ont présenté cela est ambiguë, et la direction régionale nous a bien fait comprendre que les choses allaient se jouer entre le département et la préfecture. »
Les agents ne seraient alors que « des auxiliaires, chargés de faire le sale boulot, de dire aux allocataires : “Vous n’êtes pas venus, on vous radie et le département suspend votre RSA.” » Une perspective inquiétante selon le syndicaliste, alors que Pôle emploi manque déjà de moyens humains et que l’on peut s’attendre à une hausse des bénéficiaires du RSA avec l’entrée en vigueur de la réforme de l’assurance-chômage.
Face à ces préoccupations, le département des Bouches-du-Rhône se veut rassurant. Les 15 à 20 heures d’activité sont celles « que vous trouvez dans l’accompagnement à l’emploi qui existe déjà. C’est le rythme, l’encadrement, l’individualisation qui vont changer », assure Sabine Bernasconi, vice-présidente (LR) du conseil départemental, qui réfute tout travail non rémunéré. « Quand vous entrez en chantier d’insertion ou en formation, vous avez soit le RSA, soit un salaire qui correspond aux heures travaillées ».
L’élue concède que certaines personnes seront dans l’impossibilité d’effectuer ces heures pour des raisons médicales ou d’autres contraintes. Parmi les deux millions d’allocataires du RSA répertoriés par l’Insee fin 2020, un tiers était des familles monoparentales. Les plus de 60 ans pourraient également, dans certains départements, être épargnés, selon un document consulté par Politis. Mais aucun critère n’a été fixé au niveau national, laissant craindre des inégalités de traitement.
Du travail gratuit
Opposée à cette expérimentation, la CGT Chômeurs et précaires a organisé un rassemblement devant les locaux du conseil départemental des Bouches-du-Rhône le 3 février. « Nous comprenons que ce dispositif va s’inspirer du contrat d’engagement jeune qui est passé il y a un an », présage Chloé Brocquet, secrétaire départementale de ce comité CGT.
Destiné aux jeunes de 16 à 25 ans, ce contrat propose un accompagnement individuel et un « programme intensif de 15 à 20 heures par semaine composé de différents types d’activités », comme indiqué sur le site du ministère du Travail, en échange d’une allocation pouvant aller jusqu’à 520 euros par mois. « Ils ont des activités de recherche d’emploi et des stages dans certaines entreprises qui sont vraiment du travail gratuit », dénonce la militante. Le haut-commissariat à l’emploi et à l’engagement des entreprises confirme bien une démarche dans la « philosophie du contrat d’engagement jeune » pour les allocataires du RSA.
Ils ont des activités de recherche d’emploi et des stages dans certaines entreprises qui sont vraiment du travail gratuit.
Longtemps envisagé au 1er mars, le lancement officiel de l’expérimentation du nouveau RSA est acté pour le mois d’avril, annonce François Sauvadet (UDI), qui préside l’Assemblée des départements de France. Dans sa collectivité de la Côte-d’Or, les premiers concernés seront les allocataires inscrits à compter du deuxième trimestre, puis tous ceux qui renouvelleront leur CER. Pour le centriste, « ce ne sont pas des heures de travail à proprement parler », mais « des heures d’accompagnement et éventuellement de travail en collectivité au sein d’une association ».
Les allocataires du RSA ont besoin, dit-il, d’être « sortis de leur cadre, de leur logement », et cela dans la perspective de créer les bases d’un « retour vers l’activité et vers l’emploi ». Les seuls points négatifs, selon François Sauvadet, sont les moyens alloués. Il demande à l’État davantage que la vingtaine de millions d’euros prévue pour l’année 2023, et un allongement de la période d’expérimentation à trois ans au minimum.
Une allocation de survie
Allocataire du RSA, Isabelle Maurer n’a pas le sentiment d’avoir besoin de « sortir de son cadre ». Ses journées sont bien remplies. Quand elle ne garde pas ses petits-enfants, elle est bénévole, notamment au sein du Mouvement national des chômeurs et précaires à Mulhouse. Sinon, « je cherche du boulot et, de temps en temps, il m’arrive par chance de bosser encore », assure la presque sexagénaire, qui a vu son allocation suspendue en 2022 après avoir travaillé.
Dans le Haut-Rhin, où elle vit, un dispositif « RSA et bénévolat » a été lancé il y a six ans (lire l’encadré). « Le RSA était pour subvenir à nos besoins minimums, nous les plus précaires. En mettant des obligations, on nous faisait perdre un acquis », s’indigne celle qui a commencé à travailler à 17 ans dans une usine de chocolat et a élevé seule ses trois enfants.
Vouloir emmener les gens vers l’emploi, c’est une belle chose, mais encore faut-il le faire dans de bonnes conditions.
Un rapport de la Cour des comptes relevait en janvier 2022 : « De manière constante depuis 2010, 65 % des bénéficiaires du RSA vivent sous le seuil de pauvreté monétaire. » Et selon une étude de la Drees, parmi les allocataires de fin 2018, 39 % avaient travaillé au cours de l’année 2019. Des emplois souvent précaires.
Ce nouveau « RSA sous conditions » ? « Je le refuse catégoriquement, donc ils vont sûrement m’éjecter, je m’y attends. Vouloir emmener les gens vers l’emploi, c’est une belle chose, mais encore faut-il le faire dans de bonnes conditions, rigoureusement et en prenant soin des gens, pas en les prenant pour des idiots », tempête Isabelle Maurer, en invitant les députés « très virulents envers les petits précaires [à essayer] de vivre avec 500 balles par mois pour voir comment ils feraient ! ».
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