Une escroquerie politique
Les événements institutionnels qui se succèdent et se précipitent depuis deux mois pour la réforme des retraites sont un véritable plaidoyer pour une sixième République.
dans l’hebdo N° 1750 Acheter ce numéro
Combien de fois l’a-t-on entendu, cet argument : le 49-3 est démocratique parce qu’il est dans la Constitution ? Plutôt que d’accepter bouche bée ce postulat, ne doit-on pas le retourner : une constitution qui comporte un tel article, permettant à l’exécutif de s’émanciper du vote des députés, est-elle vraiment démocratique ?
En fait, les événements institutionnels qui se succèdent et se précipitent depuis deux mois sont un véritable plaidoyer pour une sixième République. En effet, tout ce qu’il y a de plus contestable dans la Constitution a été mis en œuvre dans cette affaire : le 47.1 qui a permis de raccourcir la durée des débats ; le 44.3 qui autorise le vote bloqué d’un texte n’intégrant que les amendements retenus par le gouvernement ; et, enfin, ce 49.3.
Je pourrais ajouter qu’il a d’abord fallu, contre toute évidence, intégrer la réforme au projet de loi de financement de la Sécurité sociale. Ce que les spécialistes appellent le « cavalier législatif », qui tient plus de la contrebande que de la démocratie parlementaire. Le gouvernement nous a infligé un véritable cours de droit constitutionnel pour nous révéler à quel point cette République porte en elle des antidotes à la démocratie.
Tout ce qu’il y a de plus contestable dans la Constitution a été mis en œuvre dans cette affaire.
Deux chiffres résument toute l’imposture : de l’aveu même de plusieurs ministres, la réforme aurait été repoussée de deux voix si elle avait été soumise au vote le 16 mars, et elle est « considérée comme adoptée » après que la motion de censure eut été repoussée de neuf voix, selon un procédé qui considère, de fait, les abstentionnistes comme des partisans de la réforme.
C’est pourquoi il n’est pas exagéré de parler de véritable escroquerie politique. À réforme injuste, procédure injuste ! J’entends bien, ensuite, que l’article maudit a été déjà été utilisé cent fois depuis Michel Debré, en 1958, et que c’est un Premier ministre de gauche, Michel Rocard, qui a en usé le plus souvent (28 fois).
Mais cet argument est faisandé comme tous les autres. Car le recours au 49.3 ne peut être jugé en dehors du contexte politique et social dans lequel il est utilisé. S’il n’est qu’un procédé de cuisine parlementaire pour faire passer des textes réputés progressistes, ou qui laissent l’opinion indifférente, il n’y a pas de quoi en faire un drame. La démocratie est égratignée, pas dévastée.
Les Français, d’ailleurs, n’en ont pas fait une histoire lorsque Rocard l’a utilisé pour créer le Conseil supérieur de l’audiovisuel ou pour faire passer la loi de programmation militaire, ou la réforme du statut de la Régie Renault, ou encore la CSG. C’est un fait que ces textes n’ont pas mis la France à feu et à sang. C’est tout le contraire dans le cas présent.
Élisabeth Borne, ombre portée de son chef, a accumulé toutes les arguties juridiques pour imposer un texte qui touche à l’intime de chacun, décide de nos vies, méprise les millions de salariés qui souffrent au travail, pénalise les femmes, et vole des années de repos à celles et à ceux qui ont commencé à travailler jeunes et parfois très jeunes.
Le 49.3 ne s’exerce pas seulement contre une opposition parlementaire récalcitrante mais aussi contre toute une population.
Le 49.3, ici, ne s’exerce pas contre une opposition parlementaire récalcitrante, ou pas seulement : il s’exerce contre toute une population. Voilà ce qui fait que l’argument sur le 49.3, « arme démocratique parce que constitutionnelle », est, en l’occurrence, insupportable et révoltant.
Cet entassement de procédures antidémocratiques sur un sujet aussi sensible produit une situation explosive.Qui peut dire quand et comment les effets s’en feront sentir ? Immédiatement, par une violence de rue, et une répression policière qui s’inscrit dans la logique du déni démocratique ? Nous y sommes déjà. Par une épreuve de force sociale allant jusqu’à paralyser le pays ? C’est possible. Ou, demain, par un désenchantement démocratique qui nous livrera à toutes les aventures ? Avec le fort risque que pointait, dans Politis, le rappeur Médine : « Donner les clés de l’Élysée au Rassemblement national ». À moins que la gauche…
En vérité, il n’y aurait qu’une bonne solution pour rattraper tant de fautes, et apaiser le pays : le retrait de la réforme. Mais de Macron, qui s’est s’exprimé mercredi à la télévision, on n’attendait rien de tel (1). Tout au plus, un plaidoyer pro domo, encore une promesse de changement, et un peu de pommade compassionnelle pour « ceux qui souffrent », mais dont tout montre qu’il n’a que faire. Cette obstination idéologique doublée d’un ego surdimensionné fait de lui un étranger à son peuple.
Le billet a été écrit avant l’interview d’Emmanuel Macron de ce mercredi 22 mars.
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