À bas tous les privilèges !
La première aiguille pour diagnostiquer le cancer de la richesse doit piquer en profondeur sur la fiscalité des hauts revenus et la reproduction intergénérationnelle. Mais la biopsie doit concerner une zone beaucoup plus vaste : les privilèges de toutes natures.
dans l’hebdo N° 1752 Acheter ce numéro
Nous sommes à six mois du 4 août, mais l’enflure constante de la bulle des privilèges demande qu’on se prépare à la dégonfler avec une batterie de petites épingles fichées dans son ventre repu, jusqu’au pétard final. Il n’est pas de jour en France, il n’est pas de nuit de l’autre côté de l’Atlantique ou de l’Oural où les tenants du CAC 40 et les oligarques abreuvés des scories du communisme n’alignent des chiffres à faire tourner les têtes.
Ils sont classés et se classent entre eux pour savoir quel homme est le plus riche du monde. En 2023, la palme revient à Bernard Arnault, détenant une fortune évaluée à 174,87 milliards d’euros, raflant la première place des fortunes mondiales à Elon Musk.
En outre, ces premiers de leur classe suscitent et entretiennent une conjoncture inflationniste mise à leur profit, comme le souligne Romaric Godin : « Les marges bénéficiaires des entreprises sont passées de 31,3 % au premier trimestre 2022 à 32,2 % au troisième trimestre 2022. Autrement dit : les marges ont progressé avec l’inflation. Reuters signale aussi que les profits de 106 grandes entreprises du secteur de la consommation en zone euro ont progressé de 10,7 % en 2022 au regard de 2017 (1). »
« L’inflation persiste sous la pression des profits », Romaric Godin, Mediapart, 3 mars 2023.
Pour les gens ordinaires, impossible de se représenter un tel univers, tout en éprouvant au plus profond de soi un choc sidéral face à cet accaparement continu des richesses. On peut décrire ce phénomène en termes de financiarisation du capitalisme, mais cette description savante ne traduit ni l’écart abyssal ni la dépossession dont font l’objet la majorité des personnes dans le monde, à qui est promis un « ruissellement » de pièces d’or caracolant enfin jusqu’à elles.
On peut écrire utilement des biographies de riches et de leur entre-soi pour incarner l’accès à la richesse, mais l’urgence commande de restituer leur position dans la structure des inégalités entre classes sociales et de porter au jour les logiques du système qui les soutient.
Aucune chance n’existe hors des mobilisations des dépossédé·es.
À l’instar de Thomas Piketty, la première aiguille pour diagnostiquer le cancer de la richesse doit piquer en profondeur, là où ça fait mal, sur la fiscalité des hauts revenus et la reproduction intergénérationnelle par l’héritage. Mais la biopsie doit concerner une zone beaucoup plus vaste, celle des privilèges de toutes natures et de tous ordres : de race, d’âge, de genre et de cisgenre, et privilège savant déguisé en mépris de classe.
La liste serait longue comme le jour sans pain des pauvres à qui il était conseillé de manger de la brioche. Oui, comme le dit la chanson, « À bas tous les privilèges/La liberté reconnaîtra les siens/La chance doit changer de main (2) », tout en sachant qu’aucune chance n’existe hors des mobilisations des dépossédé·es et hors d’une réflexion politique sur nos possessions individuelles, auxquelles on doit s’arracher dès lors qu’elles participent à alimenter le système des inégalités.
« À bas tous les privilèges (nuit du 4 août 1789) », opéra rock La Révolution française, livret d’Alain Boublil et Jean-Max Rivière.
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