À Bélâbre, les anti-migrants peinent à entretenir la flamme
La création d’un centre d’accueil de demandeurs d’asile (Cada) dans ce village de l’Indre est engagée depuis trois mois. Samedi 22 avril, les opposants manifestaient à nouveau leur hostilité, mais leur nombre se réduit depuis leurs précédentes sorties. Reportage.
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« Certains pensent que ‘c’est mort’, parce que le compromis de vente du bâtiment a été signé. Mais il ne faut pas baisser les bras, il y a beaucoup de failles dans le dossier du maire ». Sur la place de l’église de Bélâbre, ce matin du samedi 22 avril, Ludivine Fassiaux s’évertue à entretenir le moral de ses troupes, opposées à l’ouverture d’un centre d’accueil pour demandeurs d’asile (Cada) dans ce village de 977 âmes du sud de l’Indre.
La structure doit accueillir 38 personnes à partir de 2024, après la rénovation d’une ancienne usine textile désaffectée dont la municipalité a engagé la cession à l’opérateur social Viltaïs, spécialisé entre autres dans l’accompagnement des personnes demandeuses d’asile.
C’est le quatrième rassemblement public des « anti » depuis le vote du projet par le Conseil municipal, début février, et leurs troupes ont fondu, passées de plus d’une centaine de personnes à 70 à peine. Si la déléguée départementale du Rassemblement national dans l’Indre est toujours présente, ce n’est pas le cas de l’avocat parisien Pierre Gentillet, le référent d’extrême-droite de l’Union bélabraise.
Diatribe outrancière
Cette association, créée par Ludivine Fassiaux pour s’opposer au Cada, revendique 120 membres. Est-elle désormais réduite à un noyau dur ? Car en conclusion d’interventions fustigeant le « mépris du maire » face aux « sentiments d’inquiétude de la population » et profilant pour Bélâbre un avenir de « zone », la tête pensante de la manifestation a réservé à l’auditoire huit minutes de diatribe d’un militant particulièrement outrancier.
« Je suis un infiltré, se présente Serge Laplanche. J’ai infiltré la Pastorale des migrants de l’Église catholique, qui s’occupe de soutenir les demandes d’asile de ces personnes ». Une bande de profiteurs cyniques, à l’écouter, qui profitent de biens et services gratuits fournis par les associations de soutien ou l’État, et rompus aux subterfuges pour décrocher le sésame — détruire ses papiers d’identité pour se revendiquer sans preuve d’un pays en guerre, ou se prétendre homosexuel en provenance d’un pays où cette orientation est passible de la peine de mort, circonstances très favorables à l’octroi du droit d’asile.
« Ce sont des gens qui ont les moyens de payer des dizaines de milliers d’euros à des passeurs, mais pas de payer des frais médicaux. (…) Pendant l’occupation allemande, nos anciens ne sont pas allés se réfugier en Afghanistan, ils sont passés en zone libre ou dans la Résistance. Donc en réalité, ces gens qu’on accueille au motif de guerre, ce sont des déserteurs ! » Applaudissements. « Et puis même si on n’en a pas la nuisance de proximité, on en a la nuisance fiscale puisque c’est avec nos impôts qu’on finance cet accueil ! »
Le groupe des « anti » converge ensuite vers le parvis de la mairie pour interpeller le maire. Ludivine Fassiaux revendique « quasiment 350 signatures » de Bélâbrais·es (y compris au titre des résidences secondaires et des sièges d’entreprises), collectées afin d’exiger la tenue d’une consultation locale sur la création du Cada, aux cris de « référendum, démocratie ! »
Une vaine revendication, comme a déjà statué le préfet de l’Indre : les dispositions qui encadrent l’accord passé entre la municipalité de Bélâbre et l’opérateur social Viltaïs sont du ressort de la politique gouvernementale sur le droit d’asile, pas des élus locaux.
« Ne pas abandonner la rue aux ‘anti’. »
L’animatrice de l’Union bélabraise est-elle crédible ? Nulle liasse de signatures probante brandies devant son public. Et de toute façon, la mairie est fermée le samedi. « On vise les 400 signatures, et il nous faudra ensuite rendre les formulaires anonymes via huissier avant de les déposer devant le maire », explique-t-elle, promettant pour bientôt, « avec l’appui de très bons avocats », une offensive juridique contre le Cada.
On n’y croit pas, c’est de l’intox…
« On n’y croit pas, c’est de l’intox… », commente un « Oui au Cada ». Ce collectif d’habitant·es de Bélâbre et des environs, créé pour appuyer le projet du Conseil municipal, a décidé de ne pas « abandonner la rue aux ‘anti‘ ». Il rassemblait ce matin-là près de 120 personnes aux abords de la mairie, dont quelques élus du département, aux slogans de « Bélâbre, terre d’accueil, solidarité, fraternité, hospitalité ».
Une trentaine de gendarmes et trois de leurs fourgonnettes étaient interposées entre les deux groupes, en présence de la sous-préfète de l’arrondissement, afin de prévenir les échauffements qui ont émaillé les précédentes manifestations organisées par les « anti ».
Et quand résonne « ils viennent jusque dans vos bras, égorger vos fils, vos compagnes ! » de leur Marseillaise, se sont des « you-you-you » festifs à la mode maghrébine qui leur répondent de l’autre côté. Avant dispersion dans le calme.
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