« À moi la liberté » : libres incantations
Une excellente compilation célèbre la folle effervescence créative du raï dans l’Algérie des années 1980.
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À moi la liberté. Early Electronic Raï, Algérie 1983-1990 / Born Bad Records.
Depuis son apparition, vers les années 1930 dans la région de l’Oranie (dans l’ouest de l’Algérie), le raï – que l’on peut voir comme un genre de blues du Maghreb – n’a cessé d’évoluer musicalement, en particulier à partir des années 1950, qui l’ont vu s’éloigner de son milieu rural originel pour s’épanouir en terrain urbain, avec Oran comme fief principal.
Dans le même mouvement, il s’est affranchi de plus en plus de son orchestration traditionnelle et a intégré de nouveaux instruments, par exemple la guitare électrique et le saxophone, sous l’influence d’autres styles (rock, twist, variété française, pop…). Quant aux paroles, brusquant volontiers la morale et l’ordre établi, elles manifestent une grande liberté de ton – du moins, pour le raï le plus authentique, celui des bars et des cabarets, longtemps censuré par le pouvoir algérien et pris comme cible par l’intégrisme religieux.
Marquées par l’utilisation massive des synthétiseurs et des boîtes à rythmes, les années 1980 vont entraîner la consécration du raï moderne en Algérie et au-delà, à commencer par la France – où deux festivals sont organisés en 1986 (à Bobigny et à Paris).
Se révèle alors toute une nouvelle génération d’interprètes, majoritairement des hommes (souvent appelés « Cheb », mot signifiant jeune en arabe) mais également des femmes (« Cheba » ou « Chaba »).
Patrimoine mondial de l’humanité
« Au cours des années 1980, la bombe raï éclate véritablement et déferle, tel un impressionnant raz-de-marée, sur les consciences », écrit Rabah Mezouane dans le substantiel livret de l’épatante compilation À moi la liberté. Early Electronic Raï, Algérie 1983-1990, qui paraît ces jours-ci à l’initiative du toujours aussi recommandable label parisien Born Bad Records.
Aussi généreuse que judicieuse, cette sélection réunit quatorze chansons long format (entre cinq et huit minutes), entêtantes incantations hors dogme. Parmi les plus remarquables, citons « À moi la liberté » de Cheb Hindi, « Malika » de Houari Benchenet, « Lala Kusti » de Chaba Amel, « Reggae raï » de Cheb Kader et « Kikount Ouelit » de Chaba Fadila.
Ultime reconnaissance à l’échelle internationale : l’Unesco a annoncé en décembre 2022 l’inscription du raï au patrimoine immatériel de l’humanité.