À Rennes, opération « ville morte » contre la réforme des retraites
Pour la 11e journée nationale de grève et de manifestation contre la réforme des retraites, près de 20 000 personnes ont défilé dans les rues de Rennes selon les chiffres syndicaux. Avec certains collectifs peu habitués des mobilisations. Reportage.
À Rennes, la manifestation de ce 6 avril – la 11e au niveau national à l’appel des syndicats – avait beau commencer à 11 heures, certains étaient mobilisés à l’aube pour mener une opération « ville morte ». Dès 7 heures, le collectif de la Maison du Peuple bloque un rond-point au sud de la capitale bretonne. Un emplacement stratégique, très fréquenté des automobilistes, qui permet de rejoindre la rocade qui entoure la ville.
Les gens détestent tellement Macron. Ils nous disent qu’ils comprennent ce qu’on fait.
En contrebas, d’autres militants ont installé un barrage filtrant directement sur la quatre-voies, à l’aide de barrières et de caddies enflammés. Voitures et camions s’agglutinent sur la rocade, formant un bouchon dans lequel plusieurs automobilistes affirment avoir été bloqués pendant plus de deux heures.
Furieux, certains franchissent le barrage à toute allure en faisant vrombir leur moteur et crisser leurs pneus. Preuve des vives tensions, un chauffeur manque même de renverser des militants avec son camion. Mais d’autres, nombreux, affichent leur solidarité. « Les gens détestent tellement Macron que même après avoir attendu des heures dans leur voiture, ils nous disent qu’ils comprennent ce qu’on fait », plaisante Camille* au passage d’un automobiliste qui franchit le barrage aux cris de « Macron démission ».
Les prénoms ont été modifiés.
Au-delà des syndicats
Sur le rond-point, aucun drapeau syndical. Le blocage est porté par la Maison du Peuple, un collectif né au début des mobilisations contre la réforme des retraites. « L’idée c’était d’occuper un lieu pour former un QG des luttes à Rennes. Nous avons essayé d’investir la salle de la cité, puis le cinéma l’Arvor, mais nous avons rapidement été délogés. Donc le collectif poursuit ses assemblées hors les murs », explique Camille. Depuis, le groupe a organisé six opérations « ville morte » en coordination avec les assemblées générales étudiantes des universités de Rennes 1 et Rennes 2.
À force d’étaler les rendez-vous, on risque de perdre des plumes.
Laurent, enseignant chercheur, observe depuis un pont le barrage filtrant installé par ses camarades en contrebas. « L’objectif, c’est de rendre la contestation plus visible en organisant un blocage économique. Les manifestations, c’est bien mais c’est davantage symbolique. Maintenant, il faut passer à l’action », défend-il.
Ben, ouvrier dans une usine, partage le même constat mêlé d’inquiétudes : « J’ai l’impression que le mouvement perd de l’ampleur, que la mobilisation syndicale ralentit. Il ne faudrait pas faire seulement une manifestation par semaine, mais bloquer le pays plusieurs jours d’affilée. À force d’étaler les rendez-vous, on risque de perdre des plumes. »
Blocage historique à la fac de droit
À 6 heures du matin, Juliette* ne bloquait pas les ronds-points. Mais, avec un petit groupe, elle initiait le premier blocage de la faculté de droit de Rennes. « Des enseignants sont passés nous voir pour nous soutenir en nous disant qu’en 40 ans, ils n’avaient jamais vu ça », se réjouit l’étudiante en première année de licence de droit. Historiquement classée à droite, la faculté de droit de Rennes prend le même chemin que le campus parisien de Panthéon-Assas, bloqué le 23 mars pour la première fois depuis le début du mouvement.
Principale revendication des étudiants mobilisés : dispenser les étudiants de présence en cours au moment des manifestations, pour leur permettre de s’y rendre sans être pénalisés par des absences injustifiées. « C’est difficile de mobiliser autour de cette question. Dans mon groupe de cours, les étudiants sont assez peu politisés. Il y a un grand désintérêt pour l’actualité et la mobilisation en cours ne les atteint pas », déplore Juliette.
Sur le chemin vers la place de Bretagne, où débute la manifestation à 11 heures, le cortège des étudiants de la faculté de droit croise celui d’un autre établissement peu habitué des mobilisations : l’INSA Rennes, une école d’ingénieurs.
« Les gens ont sérieusement commencé à se mobiliser après le 49.3, le déni de démocratie inacceptable a réveillé tout le monde », raconte Titouan, étudiant de 2e année. « Notre mobilisation en tant qu’étudiants ingénieurs, dans un milieu peu politisé, créé aussi un cercle vertueux. J’ai plein d’amis de l’école qui ont fait récemment leur première AG et leur première manif », s’enthousiasme Nelly, également étudiante en 2e année.
À la faculté de Rennes 2, plus habituée à participer aux mouvements sociaux, les cours sont supprimés les jours de manifestation pour permettre aux étudiants et aux personnels de s’y rendre. « Le reste du temps, il y a des cours et des événements organisés par l’AG. Si on bloquait la fac tout le temps, les étudiants ne viendraient pas et on ne pourrait pas organiser nos ateliers et y tenir nos assemblées. Ça rendrait impossible la création d’espaces de politisation dont on a besoin », explique Hugo, étudiant en mathématiques et sciences sociales et membre de l’Union Pirate, syndicat majoritaire de l’université.
À Rennes, la réforme des retraites rassemble contre elle des collectifs de plus en plus variés, pas toujours habitués des manifestations. Ceux qui, parmi les élus et éditocrates, parient sur un essoufflement des mobilisations, risquent d’être déçus.
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