À Versailles, le village SNU fait flop
Mercredi 26 avril se tenait la 11e étape de l’opération de promotion du service national universel (SNU) à Versailles. Malgré des organisateurs motivés et un dispositif des forces de l’ordre bien rodé, l’opération a réuni plus de manifestants que de visiteurs. Reportage.
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10 heures 45, place du marché Notre-Dame à Versailles (78), le village de la « tournée expérience SNU » s’installe. Onzième étape sur vingt-cinq, le circuit a débuté le 22 mars et s’achèvera le 10 juin. Le camion mascotte bleu, blanc et rouge, aux couleurs de ce projet porté par la secrétaire d’État en charge de la Jeunesse, Sarah El Haïry, sillonne les académies de France métropolitaine pour en faire la promotion. L’objectif ? Attirer le plus de jeunes dans ce programme de citoyenneté aux relents militaires qui reste, aujourd’hui, sur la base du volontariat.
Le programme du jour est chargé : quizz, parcours sportifs, rencontre avec des jeunes ayant participé au service national universel (SNU), vidéos explicatives ou encore tests de culture. Les visiteurs, eux, manquent à l’appel. « Nous avons choisi l’Île-de-France à cette période car ce sont les vacances scolaires. C’est une région dense, nous voulons avoir le maximum de personnes », affirme pourtant Marc Bost, chargé de mission au ministère de l’Éducation nationale et responsable de la communication du projet. Mais deux heures et demie après l’ouverture, seules trente personnes ont franchi les portes du « village ».
« Un gadget de la Macronie »
De l’autre côté de la place, le contraste est saisissant. Mis de côté par les policiers, dont une brigade équestre, au milieu des allées du marché, les manifestants, eux, sont venus en nombre. Une centaine de personnes, toutes fouillées et dont les identités ont été contrôlées à l’abord de la place, sont venues exprimer, à l’aide de toutes sortes de “dispositif sonores“, leur opposition à ce projet contesté. « Nous sommes là pour non-accueillir la caravane du SNU », s’exclame Marie, 29 ans, membre du syndicat Solidaires informatique.
Une action relativement rare à Versailles, où on est plus habitué au calme des jardins royaux qu’au concert de casseroles. Rapidement, plusieurs passants s’étonnent. « Qu’est-ce qu’il se passe ? C’est quoi le SNU ? » s’interroge une promeneuse venue faire ses courses. « C’est un gadget de la Macronie. Tout l’inverse de ce que l’on appelle l’éducation populaire. Le SNU militarise la jeunesse. Éduquer les jeunes ne peut pas être fait de manière si verticale », répond Seinde, une jeune écologiste de 25 ans.
Qu’est-ce qu’il se passe ? C’est quoi le SNU ?
Sa camarade, Marianne, 22 ans ajoute : « C’est, encore une fois, un budget qui va être alloué à un projet non essentiel. Il n’est pas attribué à ce qu’il devrait, à savoir l’éducation et le secteur scolaire. Les profs sont là pour ça et le font très bien, on n’a pas besoin de mettre des militaires dans le tableau ». « De l’argent pour l’école, pas pour le SNU ! », scandent d’ailleurs plusieurs fois les manifestants.
« Le SNU est à vomir »
Surtout, alors que le gouvernement semblait avoir reculé sur l’obligation du service national universel, la prise de parole d’Emmanuel Macron dans le Parisien, interroge. Un retour à une forme progressive d’obligation est sous-entendue par le chef de l’État. Et cela ne passe pas auprès des opposants, et de quelques-uns des membres de la tournée SNU. Lila*, 16 ans, a effectué un « séjour de cohésion » à Mâcon en juin dernier.
Les prénoms suivis d’un astérisque ont été modifiés.
« Enjouée » par l’expérience, elle a décidé de faire sa mission d’intérêt général – deuxième phase obligatoire du processus du SNU – au sein du SDJES (Service départemental à la jeunesse, à l’engagement et aux sports) afin de faire la promotion de ce dispositif. Elle est contre son obligation, estimant que « faire le SNU est une vraie plus-value pour Parcoursup notamment. Si c’est généralisé, ceux qui l’ont fait ne seront plus valorisés pour la suite. Il faut que chacun décide ou non d’y aller ».
Les jeunes sont rincés très vite, ça crée rapidement de la fatigue et des violences.
Une appréciation que partagent de nombreux manifestants, pour des raisons différentes néanmoins. « Pas de garde à vue, ni de garde à vous, non au SNU » : ce sont les mots inscrits au marqueur noir par Jean-Baptiste, sur une pancarte qu’il brandit fièrement face au village de promotion. Ce militant qui travaille dans le secteur de l’éducation populaire, tout juste âgé de 22 ans, est un farouche opposant au projet.
« J’ai encadré un séjour SNU. Initialement, je faisais ça pour avoir un peu d’argent l’été. Très vite j’ai compris et j’ai arrêté », déplore-t-il. « Un projet comme ça ne peut pas fonctionner. De 6 heures 30 à 22 heures 30, c’est non-stop, les jeunes sont rincés très vite, ça crée rapidement de la fatigue et des violences. Aussi bien idéologiquement qu’en pratique le SNU est à vomir » conclut-il désemparé.
Une promotion coûte que coûte
La semaine dernière, Politis publiait une enquête exclusive révélant des cas de harcèlement sexuel et de racisme lors de deux séjours de cohésion. Depuis, les affaires se multiplient pour le SNU. La dernière en date : l’hospitalisation de 17 jeunes pour insolation lors d’un séjour dans les Hautes-Alpes.
Malgré ces dérives en chaîne dans les programmes tests, la promotion du SNU ne semble pas près de s’arrêter. En franchissant les barrières ornées de banderoles avec le mot-clé #SNUjyvais, cernant le village, Marc Bost, soupire en pointant du doigt les manifestants : « Oui, notre fête est un peu gâchée. C’est dommage, nous sommes là pour montrer la réalité du SNU. La tournée est l’occasion de sortir du cadre strict de l’école et de l’Éducation nationale. Nous avons hâte des prochaines dates ». Il rappelle que d’après « une enquête usagers », 9 jeunes sur 10 sont satisfaits, voire très satisfaits, du séjour.
C’est une facilité de pensée de dire que c’est le retour au service militaire.
Un avis largement partagé par Maxence, 19 ans et Martin*, 16 ans, ayant, tous les deux, expérimenté le séjour de cohésion : « Ceux qui critiquent sont ceux qui ne l’ont pas fait. C’est une facilité de pensée de dire que c’est le retour au service militaire, mais il n’y a rien de militaire dans cette expérience ». Quelques minutes après, Lila nous confie « J’ai fait le SNU en étant encouragée par ma mère. J’étais intéressée car je voulais découvrir ces valeurs militaires… [elle se coupe, et se reprend en regardant Marc Bost présent à ses côtés, NDLR] … ces valeurs de solidarité et de cohésion ». Le lapsus est savoureux.
Sarah El Haïry en catimini
Dans la foulée, le chargé de la communication institutionnelle du dispositif reprend : « Le but de la journée est aussi de répondre à des craintes, de vous présenter ceux qui participent au SNU, c’est l’occasion de combattre les idées reçues. On veut dire aux jeunes que le SNU ce n’est pas exclusivement ce qu’ils ont vu dans les médias et les vidéos ». Lorsque Politis demande à rencontrer des membres de l’encadrement ou des chefs de centre, aucun n’est présent sur place.
13 heures 30, les manifestants sont inépuisables et les visiteurs toujours absents. Le livre d’or des impressions sur la tournée reste d’un blanc immaculé et les stands sont vides. Sarah El Haïry, en charge du projet SNU, fait un passage express sur le village. Quelques temps avant son arrivée, un proche de la secrétaire d’État nous confiait : « Les manifestants sont relativement calmes, elle ira sûrement leur parler, c’est l’occasion ».
Mais dès son arrivée, son programme est tout autre. Elle entre en cachette par l’arrière du dispositif, serre quelques mains et prend la pose pour quelques photos. Quinze minutes après une rapide session de quizz avec les jeunes ayant déjà expérimenté le SNU, elle repart comme elle est venue, en s’adressant à un jeune de la tournée : « Je file vite. Vous pouvez tous les convaincre ! » Face à une foule d’opposition et d’interrogation, le gouvernement ne semble pas prêt à s’adapter ni s’expliquer.
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