Écologie : Macron et Fesneau, bon flic/mauvais flic

Sobriété en eau, réduction des pesticides, changement de modèle agricole : les discours du président de la République sonnent creux face aux prises de position de son ministre de l’Agriculture.

Pauline Gensel  • 12 avril 2023 abonné·es
Écologie : Macron et Fesneau, bon flic/mauvais flic
Emmanuel Macron et Marc Fesneau (à gauche) en visite au Salon de l’agriculture le 25 mars 2023.
© Christophe PETIT TESSON / POOL / AFP.

C’était presque une image de carte postale. Emmanuel Macron, devant les reflets bleutés du lac de Serre-Ponçon (Hautes-Alpes), le jeudi 30 mars, répondait aux questions des journalistes avant sa prise de parole. À ses côtés, le ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, Christophe Béchu, à qui devait initialement revenir la présentation du « plan eau ». Mais au vu du contexte politique et de sa chute de popularité, le chef de l’État a préféré saisir l’occasion de se présenter sous un jour plus positif.

Un homme manquait à l’appel pour parfaire le panorama : Marc Fesneau. Tiraillé, le ministre de l’Agriculture a finalement opté pour le congrès de la FNSEA, à Angers. « Lambert 1 – Macron 0 », se réjouissait Christiane Lambert, la présidente sortante du syndicat agricole.

Alors que le chef de l’État détaillait les axes de son plan de sobriété, parmi lesquels celui d’accompagner les transformations du modèle agricole, Marc Fesneau rassurait les troupes : « On ne redemande pas un effort supplémentaire » aux agriculteurs. Même si le secteur est le premier consommateur d’eau en France.

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L’intervention du ministre de l’Agriculture est venue torpiller les annonces du chef de l’État. « Le discours du Président allait plutôt dans le bon sens, vers une remise en cause de notre modèle agricole et un meilleur stockage de l’eau, constate Alexis Guilpart, animateur du réseau “eau et milieux aquatiques” de France nature environnement. Mais la prise de parole de Marc Fesneau a douché tous les espoirs. » Avec une répartition des rôles selon la méthode éprouvée du « bon flic, mauvais flic » : « On a d’un côté celui qui annonce des mesures, de l’autre celui qui rassure et cajole l’acteur de l’eau qui sera finalement le moins mis à contribution. »

Mégabassines et pesticides

Tandis qu’au congrès de la FNSEA Christiane Lambert faisait applaudir les agriculteurs des Deux-Sèvres et huer la Confédération paysanne, syndicat minoritaire qui avait appelé à la mobilisation contre les mégabassines, Emmanuel Macron tentait de temporiser sur le sujet des retenues d’eau, arguant qu’elles doivent être « conditionnées à des changements de pratiques significatifs et individualisés, notamment des économies d’eau, la réduction des pesticides, et donc des schémas de transition agricole ».

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Un non-sens pour Sarah Champagne, chargée de campagne agriculture aux Amis de la Terre. « On reste dans un modèle d’épuisement des nappes phréatiques, qui ne peut pas être résilient sur le long terme et qui ne va pas dans le sens de l’agroécologie, des petites cultures et d’un usage raisonné de l’eau. » Une fausse solution qui risque d’accentuer la dépendance des agriculteurs envers les prélèvements d’eau, plutôt que d’inciter au changement des pratiques et à la sobriété.

L’effet de miroir inversé entre Emmanuel Macron et Marc Fesneau se poursuit dans la journée, lorsque le ministre de l’Agriculture annonce avoir demandé à l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) de revenir sur sa volonté d’interdire les principaux usages du S-métolachlore, herbicide classé comme « substance cancérigène suspectée » par l’Agence européenne des produits chimiques et dont les dérivés toxiques ont été détectés au-delà des limites autorisées dans des eaux souterraines.

C’est un choix cynique que fait le ministre, mais ça n’a pas l’air de l’empêcher de dormir.

« Le S-métolachlore va très certainement être interdit en Europe, cette année ou l’année prochaine, estime François Veillerette, porte-parole de Générations futures. Marc Fesneau s’aligne sur la FNSEA et essaie de gagner du temps. Donc on va continuer à polluer les robinets de millions de personnes, avec des doses métaboliques de l’herbicide au-dessus des normes. C’est un choix cynique que fait le ministre, mais ça n’a pas l’air de l’empêcher de dormir. » On est loin de la « réduction des pesticides » mentionnée par le président de la République.

Alternatives et solutions

Dans une tribune publiée sur les réseaux sociaux le 1er avril, le ministre de l’Agriculture justifie sa décision en évoquant la nécessité de « trouver des solutions et des alternatives » aux pesticides avant de les interdire. Un discours qui ne tient plus, selon Philippe Camburet, président de la Fédération nationale d’agriculture biologique : « Les solutions, on les connaît. L’agriculture biologique est présente sur le territoire depuis des décennies, et elle est capable de produire sans avoir recours au S-métolachlore, au glyphosate ou aux néonicotinoïdes. »

Dans un rapport de juin 2022, la Cour des comptes rappelle que le développement de l’agriculture biologique reste « le meilleur moyen de réussir la transition agro-environnementale ». Elle alerte sur l’insuffisance des aides de la politique agricole commune (PAC) que la France consacre à ce type d’agriculture : depuis 2017 et la suppression de l’aide au maintien en agriculture biologique, priorité est donnée à la « conversion », privant d’aides un quart des agriculteurs bio.

« Aujourd’hui, on a beaucoup moins de demandes de conversion, note Philippe Camburet. On risque d’être en sous-consommation budgétaire sur cette enveloppe, et de nombreux acteurs lorgnent cet argent qui restera dans les caisses. Nous n’avons aucune assurance qu’il sera bien destiné à l’agriculture biologique au bout du compte. »

Au contraire, la PAC 2023-2027 et sa déclinaison française – le plan stratégique national (PSN) –, qui structure le modèle agricole, encouragent encore et toujours l’agrandissement des exploitations, synonyme de simplification des cultures, de mécanisation du travail et d’utilisation d’engrais et de pesticides.

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« Il faut sortir de cette PAC qui rémunère les exploitations en fonction de leur surface, pour aller vers des financements en fonction du nombre d’agricultrices et d’agriculteurs dans les campagnes, pointe Mathieu Courgeau, paysan et coprésident du collectif Nourrir, qui vise la refonte du système agricole et alimentaire. Rémunérer, aussi, les services environnementaux rendus par les agriculteurs. Sur ces deux aspects, rien n’a changé. »

« Surtranspositions » et « souveraineté alimentaire »

Dans sa tribune, Marc Fesneau alerte contre le risque de « distorsion de concurrence » qui menacerait notre « souveraineté alimentaire », enjeu sans cesse mis sur le devant de la scène depuis le début de la guerre en Ukraine.

« Cette volonté de présenter la souveraineté alimentaire comme une sorte de service d’intérêt général qu’il ne faudrait pas entraver, sans jamais la définir, permet de justifier la défense du modèle de l’agriculture intensive », constate Alexis Guilpart, de France nature environnement. En 2022, l’excédent des échanges agroalimentaires français atteignait son plus haut niveau depuis dix ans, avec 1,3 milliard d’euros (+ 27 %), d’après les chiffres du ministère de l’Agriculture.

Présenter la souveraineté alimentaire comme une sorte de service d’intérêt général permet de justifier la défense du modèle de l’agriculture intensive.

Pas de quoi rassurer le ministre, qui veut « sortir de la logique infernale des surtranspositions » de directives qui « ne s’applique[nt] pas aux producteurs des autres pays européens ». Donc, pas d’interdiction du S-métolachlore tant que la Commission européenne n’aura pas statué sur le sujet.

Pour Dominique Potier, député (PS) de Meurthe-et-Moselle, les décalages de temporalité méritent d’être soulevés, « mais ils ne doivent pas être un prétexte pour remettre en cause l’expertise scientifique et les décisions qui en découlent. Marc Fesneau n’est pas sans savoir que l’histoire de l’interdiction de produits et de molécules est le fruit d’un va-et-vient permanent entre les pays membres, les instances scientifiques et l’Europe. En aucun cas il ne faut redonner la main à quelque lobby économique que ce soit sur des décisions qui relèvent de la science et de l’intérêt général. »

La FNSEA, de son côté, se réjouit des récentes prises de position de Marc Fesneau. Dans le bilan de son 77e congrès, elle salue « la détermination du ministre », qui « redonn[e] de la visibilité [aux agriculteurs] en évitant des décisions de retrait de molécules les laissant sans solution et en évitant des distorsions de concurrence au sein même du marché unique européen ». Aux beaux discours d’Emmanuel Macron, Marc Fesneau semble avoir préféré les éléments de langage de la FNSEA. Lambert 2 – Macron 0.

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