Européennes : l’ombre de l’éparpillement à gauche 

Les insoumis plaident pour une liste unique en 2024. Mais ils sont bien seuls : écologistes et communistes tenteront probablement leur chance en solitaire. Si leur appel à débattre de l’Europe n’est pas entendu, les socialistes se prépareront à se lancer séparément.

Lucas Sarafian  • 26 avril 2023 abonné·es
Européennes : l’ombre de l’éparpillement à gauche 
Pour certains, l’élection du Parlement européen en 2024 est un tremplin pour la présidentielle de 2027.
© Frederick FLORIN / AFP.

Le grand écart est vertigineux. Il y a un an, c’était l’idylle. La Nupes se créait en treize jours, mettant fin à des années de guerres intestines et de haines profondes. La grande famille de la gauche signait un bail pour la même maison. Depuis, les meetings unitaires contre la réforme des retraites s’enchaînent et la colocation semble plus soudée que jamais. Pourtant, 2024 est un sujet qui crispe. Car tout le monde se rend bien compte que les chances de se présenter unis aux européennes se sont réduites au fil des congrès.

La faute au scrutin ? La proportionnelle n’incite pas au rassemblement. C’est la principale excuse des écologistes. « Au Parlement européen, les coalitions se font dans l’hémi­cycle après le vote, surtout avec ce type de scrutin », explique l’eurodéputé David Cormand. « C’est une élection différente, affirme le député EELV Jérémie Iordanoff, qui a été l’un des négociateurs de la Nupes. Au moment de la construction de cette alliance, on avait acté que chacun était libre pour 2024. »

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Les écolos sont donc partis pour une aventure en solitaire pour défendre leur ligne fédéraliste et espérer atteindre leur score de 2019, quand la formation avait dépassé 13 %. Seuls quelques députés comme Sandrine Rousseau dérogent à la ligne officielle. En interne, on a déjà planché sur le processus de désignation. Les candidatures potentielles pourraient être connues en juillet et la tête de liste en octobre. Mais des noms ressortent déjà avec insistance, comme ceux des eurodéputés Marie Toussaint ou David Cormand.

Au moment de cette alliance, on avait acté que chacun était libre pour 2024.

« Ce n’est pas pour tout de suite. Mais il y aura bien une liste écologiste dont l’ensemble des candidats élus siégeront dans le groupe des Verts à Strasbourg et Bruxelles », assure Cormand, qui ne reconnaît pas l’enjeu national de ce vote pour la suite : «Je vois que La France insoumise met la pression pour nationaliser ce scrutin. Mais on ne va pas céder aux injonctions. »

Les insoumis plaident en chœur pour une liste commune qu’un écologiste pourrait conduire, proposent-ils. « Il faut que l’enjeu de cette élection l’emporte sur les places », estime le député Paul Vannier. D’autant plus que, pour certains, 2024 est un tremplin pour la présidentielle trois ans plus tard. « Nous voulons gouverner ensemble et avoir un candidat commun pour 2027. Il faut renforcer cette possibilité à chaque fois qu’on en a l’occasion », réclame l’insoumise Raquel Garrido.

Logiciel international et européen

Mais pour les écologistes et certains socialistes, les divergences sont trop profondes sur la question européenne. « Dans la Nupes, il y a un bloc social-écolo plutôt pro-UE. Et un autre plus eurosceptique », analyse un socialiste. « Ce serait une erreur stratégique de considérer que 2024 est un rendez-vous contre l’Europe libérale, annonce Christophe Clergeau, “monsieur Europe”du PS et ami de trente ans d’Olivier Faure. Avec les écologistes, on pourrait se mettre d’accord. Mais il faudrait que LFI change son logiciel international et européen. »

Pourtant, la formation de Jean-Luc Mélenchon a fait évoluer sa langue, et le sujet de la sortie de l’Europe s’est évaporé. « Personne ne parle de Frexit, lance Leïla Chaibi, eurodéputée insoumise. De toute façon, au Parlement européen, on ne débat pas de la sortie de la France de l’UE. Ça, c’est un sujet national. » Même un membre de la direction socialiste le reconnaît : « Quand on voit que [les insoumis] ne font pas de la tête de liste un prérequis et qu’ils ont évolué sur certains sujets parce que leur électorat est maintenant pro-européen, je ne vois pas pourquoi on crée de l’insurmontable. »

Chez LFI, on force tout le monde à se souvenir de juin 2022. « La création de la Nupes prouve qu’il y a un socle partagé entre nous, y compris sur le non-respect des traités, avance Paul Vannier. Certains parlent de désobéissance, d’autres de dérogations transitoires. Il n’y a plus de fracture aussi nette que par le passé. » Argument appuyé par Romain Jehanin, porte-parole de Génération·s : « Le programme de juin dernier montre qu’on est capable de s’accorder sur la bifurcation écologique, la lutte contre la fraude fiscale ou le dumping social… »

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Du côté des socialistes, la situation est compliquée. Olivier Faure doit composer avec un ennemi intérieur : le numéro deux du parti, Nicolas Mayer-Rossignol, et sa petite boutique Refondations, très critique envers l’accord conclu avec LFI. Pour éviter que le sujet ne revienne sur la table, le patron socialiste avait bien une idée en tête : Paul Magnette, le patron du PS belge.

La création de la Nupes prouve qu’il y a un socle partagé entre nous.

Une option qui aurait permis de rassembler au-delà des socialistes. Proposition déclinée en mars par l’intéressé. Faure lui avait déjà fait la même offre en 2018 avant de se rabattre sur son plan B : Raphaël Glucksmann et son mouvement Place publique.

Il y a quelques jours, dans Le Journal du dimanche, le secrétaire général du PS a fait entendre un nouveau son de cloche en proposant à « l’ensemble de la gauche un débat à la rentrée de septembre jusqu’en novembre » pour mettre sur la table les propositions, convergences et divergences. « À la fin de ce débat, nous verrons si un rassemblement est possible », assure le socialiste.

« C’est la bonne méthode car elle nous permet de tirer le bilan de nos combats communs au niveau européen, d’identifier les grands dossiers qui animeront la campagne et d’aller au fond des sujets identifiés comme problématiques. Cette proposition de discussion nous permet d’être à la hauteur de l’attente populaire qui aspire à voir la Nupes passer devant l’extrême droite et le macronisme en 2024 », répond de son côté Paul Vannier à l’offre de débat ouverte par le PS.

Autre hypothèse qui contenterait la vieille maison socialiste, celle d’un accord négocié avec les écologistes. « Tout le monde convergerait sur l’idée d’une liste PS-EELV. Mais avec LFI, il y a plus de débats », rapporte Laurent Baumel, conseiller d’Olivier Faure. Et si, en plus, certains insoumis laissent entendre que Jean-Luc Mélenchon pourrait mener cette liste unique tant rêvée ? « Impossible ! » s’étrangle un socialiste. Si personne n’arrive à signer le même programme, « on considérera qu’on a des candidats en place qui ont un bilan sérieux comme Glucksmann », souffle un membre de la direction du PS.

Pourquoi pas une primaire ?

D’autres socialistes chuchotent que les échanges ne sont pas rompus avec les écolos. Loin de là. « La position officielle du PS, c’est de répéter qu’on va préparer notre candidature parce que c’est ce que font les écologistes, confie un socialiste. Mais une partie de la majorité est convaincue qu’il ne faut pas refermer la porte trop vite à une liste commune. Certains en discutent. »

Même position du côté du mouvement fédéraliste Place publique : « Chacun est en train de définir sa propre position, expose l’eurodéputée Aurore Lalucq. Tout le monde se parle cordialement, mais chacun travaille sur son projet d’abord. » Cependant, dans l’état-major socialiste, certains poussent pour un débat sur l’Europe à la sortie de l’été en conviant toute la gauche. Tout ça avant, pourquoi pas, une primaire de la Nupes pour 2027. « Il faut organiser une confrontation démocratique, débattre de nos visions et faire le point sur nos convergences », ose Christophe Clergeau.

Dans le camp communiste, le refrain ressemble à celui chanté par EELV : l’autonomie sinon rien. « On est les seuls à avoir une position claire sur l’orientation libérale de l’UE depuis Maastricht », avertit d’emblée Guillaume Roubaud-Quashie, membre de l’exécutif du parti. Le PCF tient à son discours sur la souveraineté et il n’est pas question de lui tourner le dos.

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« Et pour défendre ce projet, on n’a pas d’autre option que d’avancer une liste communiste », indique Léon Deffontaines, porte-parole de Fabien Roussel. Et pour la conduire, Ian Brossat comme en 2019 ou alors lui-même ? Il en rit avant de botter en touche : « Ce sera en tout cas une personne qui a été impliquée dans la campagne de Roussel. » Heureux hasard : ces deux options sont proches du secrétaire national.

« Ils vont y aller seuls. Les communistes n’ont pas réussi à faire élire un eurodéputé en 2019, c’est un coup dur pour eux, juge un socialiste. Ou ils pourraient se rallier à Emmanuel Maurel. » L’eurodéputé, qui a rompu avec LFI en 2019 avant de soutenir Roussel en 2022, penserait à présenter une liste souverainiste pour 2024.

Il faut qu’on se parle, mais on a le temps.

En parallèle, le Parti radical de gauche (PRG) assume son rapprochement avec l’ex-Premier ministre Bernard Cazeneuve et son mouvement, La Convention. « On aura une liste pour défendre une gauche crédible et pro-européenne », défend Guillaume Lacroix, le président du PRG, qui indique que le choix de la tête de liste n’a pas été tranché. « Est-ce que Cazeneuve pense à 2024 ? Ce n’est pas une hypothèse totalement exclue », croit savoir un socialiste.

Mais au milieu de cette gauche éparpillée en cinq listes potentielles, la parole la plus sereine vient certainement d’un homme qui a l’expérience de la Nupes. Le socialiste Sébastien Vincini est l’un des artisans de cet accord il y a un an : « Tout le monde vient de sortir de son congrès. Il faut qu’on se parle, mais on a le temps. L’idée d’une liste de rassemblement n’est pas encore à enterrer. Dans quelques semaines, il y aura les universités d’été de chaque formation. Les choses risquent de bouger, certainement après l’été… » Rendez-vous noté. 

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