Et de gauche, et de gauche !
Le rapprochement Roussel-Cazeneuve a de quoi agacer, mais pose une question : comment dégager une majorité alternative de gauche, suffisamment rassembleuse et crédible, pour battre la droite et l’extrême droite ?
dans l’hebdo N° 1752 Acheter ce numéro
Dans une interview donnée à L’Express, le patron des communistes, Fabien Roussel, plaide pour un rassemblement sans exclusive à gauche, jusqu’à Bernard Cazeneuve. Le propos va agacer. Il agace. Il m’a agacé. L’éphémère Premier ministre de François Hollande porte une lourde responsabilité. Celle d’avoir trahi, avec ses amis, les attentes du peuple de gauche. Et d’assumer, aujourd’hui encore, la politique libérale qui a conduit à l’accession d’Emmanuel Macron à l’Élysée.
Comment peut-on imaginer un instant que Cazeneuve puisse être crédible auprès des sympathisants de la gauche et de l’écologie ? Comment, devant les violences policières dont le mouvement social fait l’objet en ce moment, pourrait-il incarner une alternative alors que Rémi Fraisse est mort de violences policières sous son autorité ?
Pourquoi, dès lors, Fabien Roussel voudrait-il lui tendre la main ? Sans doute parce qu’il appartient, lui aussi, à cette gauche qui regrette un abandon des classes populaires aux profits de luttes intersectionnelles ; sans doute ont-ils également en commun une même vision stigmatisante et excluante de la laïcité et de la République. Enfin, sans doute, partagent-ils le même regard sur les forces de l’ordre.
Y aurait-il des gauches irréconciliables ? Et si oui, comment dégager une majorité alternative de gauche ?
Passé l’agacement, une question se pose. Y aurait-il des gauches irréconciliables ? Et si oui, comment dégager une majorité alternative de gauche, suffisamment rassembleuse et crédible, pour battre la droite et l’extrême droite ?
Autrement dit, comment reprendre le pouvoir ? Si le numéro 1 des communistes plaide pour un rassemblement jusqu’à Cazeneuve, il prévient tout de même : « Notre programme ne saura s’accommoder du capitalisme, il portera avant tout une transformation sociale radicale. On ne peut plus doucher les espoirs du peuple. Le temps de cette gauche-là est révolu. »
Ici réside le paradoxe Roussel. Parce qu’en réalité, la question n’est pas tant celle de l’étendue du rassemblement que celle de la ligne sur laquelle s’opère ce rassemblement. Qui donne le la à gauche ? Personne à gauche, pas plus les insoumis que les écologistes, les socialistes ou les communistes, ne peut gagner seul. Personne à gauche, pas plus Mélenchon que Cazeneuve, Delga, Jadot ou Roussel, ne peut gagner seul.
La Nupes a eu le mérite de régler la question de la ligne politique. Faure a eu le courage et la lucidité de reconnaître que le PS n’était plus la force motrice à gauche. Et n’en déplaise à Cazeneuve, Delga ou Roussel, c’est bien LFI qui a redonné de la vitalité à la gauche.
Pour autant, les insoumis doivent s’interroger sur leur stratégie. Le bruit et la fureur doivent cesser. La tentation hégémonique, d’où qu’elle vienne, doit faire place au respect des sensibilités de chacun. Et si la défaite de la candidate LFI Bénédicte Taurine, à l’occasion de la législative partielle ariégeoise, au profit de la dissidente socialiste, n’est pas significative, elle vaut avertissement alors qu’un « front républicain » anti-Nupes est en train de se constituer et que celle-ci devient l’ennemi politique numéro 1 quand la violence et le discours de l’extrême droite se banalisent.
La « deuxième gauche » a dominé l’histoire politique de plus d’un demi-siècle, mais elle doit reconnaître aujourd’hui l’inversion du rapport de force. Elle ne peut s’offrir le luxe de la nostalgie et de la rancœur. Elle doit intégrer l’exigence de radicalité. Dans le même temps, la gauche radicale, aussi puissante soit-elle, ne peut composer sans elle.
Comme le rappelle l’historien Roger Martelli, il ne faut jamais oublier que « le monde populaire et le superbe mouvement social actuel ont politiquement besoin de deux choses en même temps : que se conforte le poids d’une gauche bien ancrée dans les vieilles valeurs de la “République démocratique et sociale”, et que la dynamique portant vers une majorité soit celle de la gauche dans la diversité de ses sensibilités ». C’est le défi qui attend la Nupes.
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