Info Politis / Assurance-chômage : le décret sur la présomption de démission reporté
Les organisations syndicales et patronales ont vivement critiqué la rédaction du décret relatif à la présomption de démission en cas d’abandon volontaire de poste, présenté par le ministère du Travail. Alors qu’il devait entrer en vigueur fin mars, celui-ci n’a toujours pas été publié au Journal officiel.
Au vu de l’actualité sociale du moment, c’est une information qui est passée sous les radars. Pourtant, elle dit quelque chose de l’état actuel du pouvoir face à une mobilisation sociale historique. Fin mars, un décret devait être publié au Journal officiel. C’est, du moins, ce qui avait été annoncé par le gouvernement.
Il prévoyait la mise en place d’une mesure très contestée faisant partie de la réforme de l’assurance-chômage votée en fin d’année dernière : la présomption de démission en cas d’abandon de poste. Avant la loi votée fin décembre, un abandon de poste était considéré comme un licenciement pour faute grave. Il permettait donc l’ouverture de droits à l’assurance-chômage.
Une rédaction « extrêmement lacunaire »
Mais depuis le vote de la loi, un abandon volontaire de poste est transformé en une démission présumée, ce qui n’ouvre désormais plus lesdits droits. Cette mesure a été validée le 15 décembre dernier par le Conseil Constitutionnel, qui a toutefois rappelé que « l’abandon de poste ne peut pas revêtir un caractère volontaire s’il est justifié par un motif légitime, tel que des raisons médicales, l’exercice du droit de grève, l’exercice du droit de retrait, le refus du salarié d’exécuter une instruction contraire à la réglementation ou encore son refus d’une modification unilatérale d’un élément essentiel du contrat de travail ».
Pour mettre en place cette mesure, un décret devait donc être publié avant la fin mars. À ce jour, il ne l’a toujours pas été. La faute à une proposition de rédaction du décret que tous les partenaires sociaux – hormis le Medef – ont jugé « extrêmement lacunaire ».
« À chaque décret qui concerne le monde du travail, avant publication, les partenaires sociaux représentatifs sont consultés de manière formelle. Nous devons donner un avis lors d’une réunion physique ou par mail », explique Denis Gravouil, en charge du dossier de l’assurance-chômage pour la CGT. D’habitude, cela n’est qu’une formalité consultative.
Pour ce décret, le ministère du Travail a donc demandé un simple avis par mail aux partenaires sociaux. À la lecture du texte proposé, une grande partie d’entre eux ont répondu que la copie était irrecevable. « On a dit que c’était n’importe quoi, ce décret est trop mal rédigé », raconte Denis Gravouil.
Réunion houleuse
Une réunion a donc été organisée. Elle s’est tenue début mars. De l’avis de nombreux participants, elle a été « très houleuse ». « Ça fait des années que je fais ce type de réunions, ça fait bien longtemps que je n’avais pas vu une ambiance comme ça », confie l’un des participants. En cause : une alliance de circonstances entre les syndicats et de nombreuses organisations patronales, qui fustigent une rédaction « ni faite, ni à faire ».
« Un décret qui engage la sortie de l’entreprise et un nouveau mode de rupture de contrat, ce n’est vraiment pas anodin. On aurait pu s’attendre à ce qu’il y ait plus de garantie, c’est le rôle du législateur », souligne Florian Pipard, juriste à la CFDT en charge de l’assurance-chômage.
Un décret qui engage la sortie de l’entreprise et un nouveau mode de rupture de contrat, ce n’est pas anodin.
Politis s’est procuré la version initiale du décret proposée par le gouvernement. On y lit, en premier lieu, ceci : « Lorsque l’employeur constate que le salarié a abandonné volontairement son poste, il peut, par lettre recommandée ou par lettre remise en main propre contre décharge, mettre en demeure le salarié de reprendre son poste. »
Une rédaction qui va moins loin que le texte de loi. En effet, ce dernier prévoit qu’en plus de mettre en demeure l’employé de reprendre son poste, l’employeur doit lui demander de justifier son absence. « Cette notion de justification est super importante d’un point de vue juridique », souligne Florian Pipard, qui confie que « l’administration a reconnu son erreur et qu’elle allait la prendre en compte ».
Foire aux questions
Mais ce n’est pas tout. Sur le fond, les organisations syndicales ont également critiqué le délai laissé au salarié pour répondre à l’entreprise. Tel que présenté, le décret prévoit un délai de 15 jours. Bien trop court pour les syndicats qui demandent de l’élargir à au moins un mois. Surtout, ils demandent à ce que les limites posées par le Conseil Constitutionnel énumérées plus tôt soient clairement posées dans ce décret qui reste, à ce stade, très vague.
Face à cette dernière critique, le ministère du Travail aurait proposé d’écrire une « foire aux questions ». « Mais une FAQ n’est pas une réponse juridique », s’indigne Denis Gravouil, « on leur a dit que ça ne marchait pas comme ça ! » Contacté à plusieurs reprises sur ces sujets, le cabinet d’Olivier Dussopt, le ministre du Travail, ne nous a pas répondu.
Même si ce n’est pas dans l’ADN de ce gouvernement, parfois, il faut laisser faire les partenaires sociaux.
Ce qui prête à sourire, c’est que, même du côté patronal, on juge le décret bancal. Mais pas forcément pour les mêmes raisons. « Nous, on ne veut pas avoir une situation d’exposition au risque juridique plus élevée qu’avant », souffle Eric Chevée, vice-président de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME). « Comment on s’assure que le salarié a bien été informé ? Nous, on a l’habitude des prud’hommes et on sait que si la loi est mal ficelée, on peut avoir des gros contentieux », poursuit-il avant de conclure, avec un brin d’ironie : « Même si ce n’est pas forcément dans l’ADN de ce gouvernement, parfois, il faut laisser faire les partenaires sociaux ».
Un ministère tétanisé
Côté syndical comme patronal, on ne défend d’ailleurs pas particulièrement cette disposition. Chez les représentants des salariés, on la qualifie de « purement idéologique » et de « gage aux Républicains pour que la loi soit votée ». « Cette idée de présomption de démission n’est pas très partagée dans le camp patronal non plus. Jusqu’à présent, on gérait ça dans un flou juridique assez sécurisé pour l’employeur », note, de son côté, Eric Chevée.
Les deux camps soulignent que, jusqu’ici, l’abandon de poste permettait de gérer « à l’amiable » bon nombre de départs. Pour l’employeur, ce dispositif permettait de s’éviter une rupture conventionnelle jugée coûteuse. Pour les salariés, il garantissait d’avoir droit au chômage, le temps de retrouver un emploi.
Avec la mobilisation, tous les sujets irritants et potentiellement inflammables sont mis en pause.
Près d’un mois après cette réunion houleuse, où le ministère assurait alors travailler sur une nouvelle version du texte de décret, les organisations syndicales indiquent n’avoir reçu aucune nouvelle proposition. « On a l’impression qu’avec la mobilisation, tous les sujets irritants et potentiellement inflammables sont mis en pause », confie Denis Gravouil.
Plusieurs interlocuteurs confient, sous couvert d’anonymat, qu’ils ont l’impression que le ministère du Travail est « totalement tétanisé ». Si on ne l’assume pas publiquement au gouvernement, les faits semblent clairement le dire. Nous sommes bien dans une crise sociale d’ampleur.
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