La justice suspend les réquisitions de grévistes à la raffinerie de Gonfreville
Le tribunal administratif considère que la mesure « porte une atteinte grave et manifestement illégale au droit de grève ».
Les préfectures testent-elles les limites des institutions en matière de libertés fondamentales ? À Paris, déjà, la justice administrative a dénoncé, en début de semaine, les pratiques préfectorales de publication d’arrêtés interdisant les manifestations à la dernière minute sans publicité suffisante. En Seine-Maritime, alors que les préfectures s’attaquent au droit de grève, la justice réplique également.
Le tribunal administratif vient ainsi de suspendre à partir de ce jeudi 6 avril, 12 heures 30, l’arrêté préfectoral imposant la réquisition des grévistes de la raffinerie TotalEnergies de Gonfreville-L’Orcher.
Pourtant, le même tribunal avait décrété légales ces mêmes réquisitions la semaine dernière, arguant que l’état des réserves de kérosène de l’aéroport parisien de Roissy n’autorisait un « fonctionnement raisonnable » que pendant trois jours. Qu’ensuite, il ne pourrait pas « maintenir un trafic aérien qui prévienne des perturbations de l’ordre public liées à la présence massive de passagers privés de vols » et risquait de « provoquer des incertitudes susceptibles d’impacter la sécurité aérienne ».
Pour le tribunal, la réquisition de quatre salariés sur une durée limitée n’avait pas pour conséquence de « mettre en place un service normal » mais visait « à assurer, par un nombre restreint mais suffisant d’agents et une liste réduite de tâches essentielles précisément définies, un service minimum de pompage et d’expédition ». Le tout, pour éviter un trouble à l’ordre public.
Pas de soucis de stocks
Quelques jours plus tard, changement de braquet : le tribunal administratif suspend l’arrêté. La préfecture l’avait motivé par l’imminence du week-end de Pâques et l’augmentation « prévisible de 75 % de la circulation automobile des particuliers ».
Selon la préfecture, le week-end pascal coïnciderait avec certaines vacances scolaires et provoquerait « une demande de carburant en augmentation qui ne pourra être satisfaite dans les régions Île-de-France et Centre-Val de Loire générant ainsi des files d’attente ». Selon la préfecture, pour « satisfaire les besoins des services publics essentiels et prévenir les troubles à l’ordre public, il y a lieu de procéder à la réquisition des salariés. »
Mais le tribunal administratif n’est pas d’accord. Il constate d’abord que les vacances scolaires ne sont pas les mêmes en fonction des zones, mais, qu’en plus, elles ne démarrent que le 15 avril. Par ailleurs, au regard des stocks, « aucun besoin non satisfait de carburant pour les besoins des services publics ne ressort des pièces du dossier », encore moins un approvisionnement qui « ne permettrait pas l’alimentation des véhicules prioritaires ». Le tribunal suspend donc l’arrêté pour « atteinte grave et manifestement illégale au droit de grève. »
Banalisation délirante
Pour Me Elsa Marcel, avocate de la CGT Total, « la préfecture a pris son aise en justifiant ses réquisitions par le week-end de Pâques et les vacances scolaires. Elle a voulu voir jusqu’où elle pouvait aller en terme d’entrave au droit de grève dans le cadre d’une banalisation délirante des réquisitions qui se résument quand même par la venue de la police chez vous le matin, pour vous emmener travailler », plaide-t-elle.
Pour elle, cette politique est une tentative d’appliquer, par voie préfectorale, deux propositions de loi déposées par des sénateurs de droite le 3 février et le 7 mars dernier. La première veut interdire le droit de grève aux personnels des secteurs public et privé des transports en commun « à compter de la veille et jusqu’au lendemain des jours fériés » ainsi que « les deux premiers et les deux derniers jours de chaque période de vacance des classes ».
Un très bon signal.
La seconde, ne comporte qu’un seul article : « Pour les personnels des transports de produits pétroliers et de carburants, ainsi que des usines exercées de raffinage de pétrole brut, il est impossible d’exercer leur droit de grève plus d’une fois par semaine et plus de trois jours consécutifs. » Soit exactement le nombre de jours établis dans l’arrêté de réquisitions du 26 mars, pour un fonctionnement normal des réserves de kérosène de l’aéroport Roissy-Charles-De-Gaulle.
La tribunal administratif a donc posé une limite aux tentatives préfectorales. « Un très bon signal » pour Elsa Marcel.
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