La Macronie et la tentation de l’extrême banalisation du RN
En diabolisant systématiquement les gauches, Emmanuel Macron, le gouvernement et la majorité présidentielle en viennent à acter la normalisation du Rassemblement national. Un pari dangereux.
C’est une stratégie complètement dingue : « Ce qui nous arrangerait, c’est une dissolution et un score suffisamment haut pour le RN, pour qu’on puisse mettre Le Pen à Matignon. Qu’on montre qu’elle est incompétente, comme ça on la décrédibilise pour 2027. Et elle devient inopérante. Donc plus de problème. »
Cette idée folle, délivrée sous couvert d’anonymat, vient d’un membre à la tête d’un bureau départemental en région parisienne de Renaissance et, par ailleurs, conseiller national du parti présidentiel. Il ne fait pas partie du petit état-major rassemblé autour d’Emmanuel Macron, mais quand même.
Cette courte séance de politique-fiction peut paraître anecdotique. Elle ne l’est pas. Imaginer qu’installer l’extrême droite au gouvernement permettrait de trouver une voie de sortie potable pour Emmanuel Macron et Renaissance dans la perspective de 2027, est-ce un dérapage isolé ? C’est tout le contraire. La petite réflexion est à l’image d’un élément de langage désormais répandu au sein de la majorité : le danger, c’est tantôt La France insoumise, tantôt la Nupes, toujours Jean-Luc Mélenchon. Mais jamais Marine Le Pen.
Le chef de file de La France insoumise est devenu celui qui mettrait le feu aux poudres, qui instrumentaliserait le mouvement social toujours d’actualité en appelant à la « censure populaire », qui exhorterait les manifestants à la violence dans la rue pour affronter celle du gouvernement. La candidate du Rassemblement national pour la présidentielle ? Forcément moins pire. On y est : dans le camp d’Emmanuel Macron, l’extrême droite est dédiabolisée, banalisée, normalisée. En clair, le RN n’est plus considéré pour ce qu’il est.
Et tout le gouvernement chante cette même musique. Le 28 mars à l’Assemblée nationale, le ministre du Travail Olivier Dussopt cible la députée LFI Clémentine Autain : « Votre politique, Madame la députée, est une politique antisociale. Votre objectif est un objectif de chaos. Et en réalité, vous ne souhaitez qu’une chose, c’est que la misère prospère. Parce que sur la misère, c’est vous qui prospérez ».
Attaques frontales et confusions idéologiques
Le même jour, en sortie de conseil des ministres, le porte-parole du gouvernement Olivier Véran soutient que le « projet politique sous-jacent [de Jean-Luc Mélenchon, NDLR] est mortifère pour la stabilité de nos institutions et pour notre pays ». La veille, devant les ténors de la majorité, le Président attaque frontalement La France insoumise : « Il y a un réel projet politique mené par La France insoumise qui tente de délégitimer l’ordre raisonnable, nos institutions ».
Le 29 mars au micro de RTL, c’est au tour de Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur et potentiel candidat à Matignon en cas de démission d’Élisabeth Borne, de mettre dos-à-dos la LFI et le RN en cas d’hypothétique second tour Mélenchon-Le Pen en 2027 : « Je veux tout faire pour que ça ne soit pas le choix entre la peste et le choléra ». Tout en rangeant ces deux partis dans « l’ultra-gauche et l’ultra-droite ».
Derrière les manœuvres politiques se cachent bien souvent des confusions idéologiques. Sur un possible élargissement de la majorité, Bertrand Mas-Fraissinet, membre du bureau exécutif de Renaissance, explique que tout le monde est le bienvenu pour travailler aux côtés de Renaissance, du Modem ou d’Horizons : « Le sujet droite/gauche ne nous intéresse pas. Il faut rassembler les gens de bonne volonté qui veulent réformer le pays. S’il y en a qui veulent aujourd’hui continuer à avancer dans ce sens-là avec nous, il n’y aura pas d’ostracisme ». Avant de se reprendre : « Évidemment dans le champ républicain. À l’exclusion de l’extrême gauche et de l’extrême droite ». Le message est passé : il faut désormais mettre un signe égal entre la Nupes et le RN.
Vu la manière dont la LFI pousse les gens à la sédition, il n’y a pas de discussion.
Même son de cloche du côté du député Renaissance de Moselle Ludovic Mendes. Lui estime que « l’idée d’une Ve avec une coalition, c’est jouable ». Avec des députés EELV, PS, certains LR ou Liot, « mais je n’inclus pas La France insoumise ou le Rassemblement national dans cette logique parce que ce sont des extrémistes. Et vu la manière dont la LFI pousse les gens à la sédition, il n’y a pas de discussion. Et le RN ? Parce que c’est le RN, c’est l’extrême droite. Donc on est loin de nos valeurs républicaines et démocratiques ».
Cynisme et vieilles rengaines
À croire que l’extrême droite est passée au second plan. Dans le camp du parti présidentiel et du gouvernement, la réflexion est dorénavant systématique. La gauche, surtout La France insoumise, est agitée comme un épouvantail. Elle est exclue du champ républicain. La stratégie est claire : camper l’ordre après les manifestations contre la réforme des retraites ou les mégabassines à Sainte-Soline, dans les Deux-Sèvres. Cynisme ou position révélatrice de l’impasse politique dans laquelle se trouve actuellement Emmanuel Macron et le gouvernement ?
Dans les deux cas, le jeu est plus que dangereux. Et certaines figures du gouvernement se mettent à gratter sur le terrain idéologique du Rassemblement national. La secrétaire d’État chargée de la Citoyenneté Sonia Backès en fait partie.
Envoyée sur tous les plateaux télé pour faire la promotion de la loi séparatisme, votée il y a un an et demi, elle a pu lister une série d’évolutions comme la fin de l’autorisation du burkini dans les piscines à Grenoble, ou le retrait des financements publics pour le mouvement écolo Alternatiba qui « organisait des stages de désobéissance civile » à Poitiers… Tout en rappelant que la loi séparatisme « s’applique » pour ces associations et collectifs qui ont manifesté à Sainte-Soline car elles « organisent une forme de séparatisme et considèrent qu’une cause passe au-dessus des lois de la République ».
Dans la droite lignée de l’annonce de Gérald Darmanin, le 28 mars devant l’Assemblée nationale, d’une procédure de dissolution des Soulèvements de la Terre, l’un des collectifs organisateurs des cortèges dans les Deux-Sèvres. De vieilles rengaines d’extrême droite. La direction prise par Emmanuel Macron, sa majorité et le gouvernement ressemble étrangement à une pente glissante. De la banalisation aux partages des mêmes thèmes… Le pari pourrait être sinistre.
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