La macronie, un monde parallèle où les casseroles deviennent des armes de guerre
Totalement esseulé dans l’opinion publique comme en déplacements, le camp présidentiel se débat vainement pour ouvrir une nouvelle séquence politique. En n’hésitant plus à nier et mépriser la réalité la plus évidente.
« Du fascisme à l’état pur. » C’est par ses mots que l’ancien porte-parole du gouvernement d’Édouard Philippe, Benjamin Griveaux, a qualifié la mésaventure qui est arrivée à l’actuel ministre de l’Éducation nationale, lundi 24 avril au soir. De retour d’un déplacement chahuté à Lyon, Pap Ndiaye a été accueilli à son retour dans la capitale par plusieurs centaines de manifestants, casseroles à la main.
Ne voulant pas passer devant ces personnes opposées à la réforme des retraites, il a préféré se faire exfiltrer discrètement par les sous-sols de la gare de Lyon. Politis était sur place et a pu constater qu’il aurait pu, s’il l’avait souhaité, passer devant les manifestants, bruyants mais pacifiques, encadrés par quelques dizaines de policiers. Ce serait donc ça, le « fascisme à l’état pur » ?
Cet exemple n’en est qu’un parmi tant d’autres. Depuis quelques jours, les membres de la macronie tentent, par tous les moyens possibles, de discréditer les dizaines d’actions qui ont lieu partout sur le territoire lors de leurs déplacements. Au risque de perdre tout sens de la réalité. Ainsi, les différents ministres n’hésitent plus à qualifier de « violences » des concerts de casseroles.
Les préfets n’ont pas d’atermoiements pour recourir aux lois antiterroristes afin d’interdire des rassemblements et les « dispositifs sonores portatifs », novlangue administrative pour qualifier des casseroles. La majorité présidentielle n’a pas de remords quand elle use du classique argument d’une « minorité bruyante et politisée » face à une majorité silencieuse qui condamnerait ces actions. Au fil des jours et des prises des paroles, la macronie se transforme en absurdie.
C’est bien de ça dont il s’agit. Une transformation méthodique de la réalité qui vise à rendre toute opposition minoritaire, violente et fascisante. Nous obligeant, donc, à rappeler les faits. Non, un concert de casseroles contre un pouvoir sourd et autoritaire n’est ni violent ni fasciste. Oui, les arrêtés préfectoraux pris à la va-vite pour les déplacements présidentiels sont illégaux, la justice administrative les suspendant un par un. Non, la contestation contre la réforme des retraites n’est pas minoritaire. Les nombreuses enquêtes d’opinion – où les Français s’opposant au report de l’âge légal de départ à 64 ans sont largement majoritaires – en témoignent.
Un concert de casseroles contre un pouvoir sourd et autoritaire n’est ni violent ni fasciste.
Surtout, cette escalade verbale et répressive démontre l’esseulement dans lequel s’enfonce, semaines après semaines, la macronie. Car on peut regarder aussi le revers de la médaille. Si ces actions sont aussi visibles et bruyantes partout sur le territoire, c’est qu’il n’y a personne pour la cacher. « Ce qui a changé, c’est qu’auparavant, au moins jusqu’à Jacques Chirac, les présidents avaient une implantation locale forte et un parti avec beaucoup de militants », expliquait la semaine dernière dans Politis, le sociologue au CNRS, Nicolas Mariot, qui a travaillé sur les voyages présidentiels.
Des facteurs qui leur permettaient d’organiser des voyages « à succès » où les médias n’hésitaient pas à montrer et à raconter les « vivats » de la foule. Sauf qu’aujourd’hui, le constat est là : « Il n’y a personne, ou presque personne, pour accueillir Emmanuel Macron et donner ce sentiment de réussite », poursuit le sociologue. Et les images deviennent tout de suite moins reluisantes pour l’exécutif : bronca, colère et casseroles.
Un esseulement dont Emmanuel Macron en est l’unique responsable, même si ses ministres et autres soutiens ont accepté de le suivre dans ce cheminement solitaire. Un acharnement aveugle à faire passer une réforme, elle, bien violente pour de très nombreux travailleurs et travailleuses. Une volonté obtuse de faire reposer sur les classes populaires et moyennes les économies de dépenses publiques. Une surdité aigue à l’égard du plus grand mouvement social de ces dernières décennies et d’une intersyndicale soudée et unie.
Doigt(s) d’honneur
Les concerts de casseroles ne sont que l’aboutissement de cette insensée obsession présidentielle dans une période où les inégalités se creusent et où le pouvoir d’achat se restreint pour de nombreux ménages. Ce nouveau mode d’action dans cette mobilisation ne témoigne ni d’une violence accrue, ni d’une radicalisation du mouvement social.
Au contraire, il expose sa vivacité sans faille et son originalité malgré la promulgation de la loi et les gesticulations de l’exécutif accompagnées à grand renfort d’éditorialistes, qui accumulent les erreurs de pronostics depuis le début du mouvement. Et c’est cela qui prête à rire : leurs efforts pour faire passer des concerts de casseroles en putsch fasciste et actions anti-démocratique les décrédibilisent toujours plus. Alors, disons-leur : non, le mouvement ne faiblit pas, oui la colère croît.
Non, le mouvement ne faiblit pas, oui la colère croît.
Mais peu importe finalement pour ce gouvernement qui opère désormais dans une réalité parallèle. « Ceux qui ont le temps d’accueillir des ministres de 14 heures à 18 heures en pleine semaine, a priori, ce ne sont pas les Français qui travaillent, qui ont des difficultés à boucler les fins de mois », lâchait Gabriel Attal, ministre du Budget, mardi 25 avril, en marge d’un déplacement dans l’Hérault, .
Un nouveau bras d’honneur (on ne les compte plus) au 90 % des actifs opposés à la réforme des retraites. Un crachat sur les milliers de grévistes qui ont perdu plusieurs centaines voire milliers d’euros au cours des douze journées de mobilisations interprofessionnelles et plus pour les secteurs en grève reconductible. Au point que la question préliminaire mérite d’être renversée. Qu’est ce qui est le plus fasciste ? Des concerts de casseroles ou la volonté d’un seul homme ?
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