« Les Éclats » : raconter la ville
Le nouveau livre de Bret Easton Ellis est une ode douce-amère à Los Angeles.
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Les Éclats / Bret Easton Ellis / Traduit de l’anglais (États-Unis) par Pierre Guglielmina / Robert Laffont / 630 pages / 26 euros.
Sur Los Angeles, Louis Malle avait ces mots inspirés : « Los Angeles est une ville proustienne. » Par proustienne, il entendait une mégapole où la mémoire est un enjeu constant, une cité qui ne veut qu’aller de l’avant, où l’urbanisme détruit tout sur son passage, mais où les habitants s’accrochent à des bribes de leur passé, des sensations, des impressions qu’ils chérissent.
Récemment, Los Angeles s’est trouvée au cœur d’œuvres nostalgiques. Chez Tarantino, dans Once Upon a Time in… Hollywood, ce fut d’abord le Los Angeles de la fin des années 1960, puis dans Cinéma Spéculations, qu’il vient de publier et dont nous parlions il y a peu, la ville de son enfance. Même souci chez Paul Thomas Anderson, qui dans Licorice Pizza croquait le quotidien de deux jeunes dans la vallée de San Fernando au cœur des années 1970.
Après le cinéma, c’est maintenant à la littérature et à un autre artiste natif du lieu de contempler ce Los Angeles disparu. Dans Les Éclats, Bret Easton Ellis raconte l’histoire de Bret, un jeune homme de 17 ans, livré à lui-même dans une maison vide sur Mulholland Drive. Nous sommes en 1981, ses parents voyagent en Europe depuis des mois.
Il est élève dans un lycée privé, enquille alcool et cachets de Valium, aime le cinéma, lit Joan Didion et Stephen King, et a une petite amie, Debbie, l’une des filles les plus populaires du lycée. Une jeunesse plutôt lisse en apparence, mais Bret joue un rôle.
Entre récit et autofiction
Homosexuel, il entretient plusieurs relations avec des garçons qui, comme lui, le sont en cachette. Auteur – le Bret du livre est en plein dans la rédaction de Moins que zéro, premier roman publié par Bret Easton Ellis à 21 ans –, il vit la tête dans les histoires qu’il ne cesse de s’inventer.
Tout au long du livre, Ellis mêle, avec son habituel savoir-faire, récit et autofiction. Il décrit avec délicatesse l’attitude ambivalente de son narrateur, tantôt mal à l’aise et en décalage avec son environnement, tantôt nihiliste, affabulateur et calculateur. Chemin faisant, il propose un portrait vivant du Los Angeles des années 1980.
Comme toujours chez lui, le texte fourmille de détails : les marques de vêtements, les cinémas aujourd’hui fermés ou devenus monuments historiques, les noms des avenues, les trajets pour aller d’un quartier à l’autre et la musique qu’on écoute sur la route. Autant de madeleines, qu’il accumule avec délectation. Mais, au-delà des souvenirs, le livre est aussi un regard acerbe sur la bourgeoisie d’alors et sur le pouvoir intemporel de l’argent. Si on est riche, on peut commettre le pire et s’en sortir.