L’installation des paysans, grande cause nationale

Cet été, une nouvelle loi d’orientation de la politique agricole française sera proposée à l’Assemblée. Clotilde Bato, co-présidente du collectif Nourrir, alerte sur les enjeux historiques de ce texte.

Clotilde Bato  • 24 avril 2023
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L’installation des paysans, grande cause nationale
© Chris Ensminger / Unsplash.

Cet été, une nouvelle loi d’orientation de la politique agricole française sera proposée à l’Assemblée. Les consultations publiques pour son élaboration se terminent le 30 avril. Clotilde Bato, co-présidente du collectif d’organisations paysannes et citoyennes Nourrir, alerte sur les enjeux historiques de cette loi, face à l’urgence climatique et à l’effondrement du nombre d’agriculteurs.


Sans mobiliser les attentions, le plus grand plan social que la France ait connu se déroule en continu sous nos yeux. C’est dans le domaine agricole qu’il survient. La baisse du nombre d’agriculteurs est une hécatombe. Ils étaient 1 590 000 en 1970, il n’en reste aujourd’hui que 496 000, dont près de la moitié partira à la retraite durant la prochaine décennie.

C’est d’abord une catastrophe pour le monde paysan lui-même, liée à la dégradation accélérée des conditions d’exercice des métiers agricoles. Les suicides se succèdent en silence, souvent dans une indifférence d’autant plus coupable qu’elle méconnait les conséquences globales de cette crise. Car c’est en réalité toute notre société qui est affectée par l’effondrement de la population agricole de notre pays.

Moins de paysans, ce sont des campagnes dont le tissu social et économique s’effiloche.

Moins de paysans, ce sont des campagnes dont le tissu social et économique s’effiloche encore un peu plus. Ce sont des fermes toujours plus grandes, une mécanisation accrue, des haies arasées, des productions moins diversifiées. En un mot, une agriculture de plus en plus industrialisée, et son inquiétant corollaire : une alimentation standardisée et de moindre qualité.

Moins de paysans, ce sont des paysages qui s’uniformisent, des savoir-faire locaux et des produits du terroir qui disparaissent et, avec eux, un peu de nos identités. Moins de paysans, ce sont des menaces accrues sur le vivant, au moment même où notre modèle agricole devrait impérativement se réinventer pour faire face aux défis du climat déréglé et de la biodiversité menacée.

Prétendument conscient de la catastrophe en cours, le président de la République a solennellement annoncé en septembre 2022 le lancement d’un Pacte Loi d’Orientation et d’Avenir Agricole (PLOA). Mais au moment où j’écris ces lignes, l’inquiétude l’emporte sur l’espoir.

Pourquoi cette peur du débat ?

La méthode proposée était celle d’une large consultation, d’une construction collective de ce « pacte d’avenir ». Pourtant, si les objectifs affichés sont louables, la réalité interroge. Que penser d’une consultation citoyenne lancée en catimini, avec trois mois de retard, pendant les vacances scolaires, pour une durée de quinze jours et dont les questions permettent toutes les interprétations possibles 

Que dire des consultations régionales organisées par des Chambres d’Agriculture présidées presque exclusivement par la toute puissante FNSEA, dont la proximité avec l’agro-industrie s’incarne dans la figure de son nouveau président ?

Qu’espérer de cette façon de conduire les débats en évitant au maximum la confrontation d’idées et en refusant la juste confrontation des modèles agricoles ? Que conclure du manque de transparence quant à l’utilisation des conclusions de ces consultations ? Pourquoi cette peur du débat ?

À ce jour, le PLOA semble ne se fixer aucun autre cap clair que la recherche de la continuation pure et simple de l’existant.

Pourtant, nous connaissons notre histoire : nous savons que des politiques publiques ambitieuses peuvent avoir un impact massif sur les évolutions des mondes agricoles. Ainsi, les Lois d’Orientation Agricole de 1960 et 1962 (qui répondaient à un but précis : nourrir la France d’après-guerre) ont conduit à une transformation profonde de l’agriculture française. Si elles ont su atteindre leur objectif en termes de niveaux de production, les effets sociaux et environnementaux de cette agriculture productiviste ont été considérables.

Dès 1967, Henri Mendras annonçait « la fin des paysans » dans son livre éponyme. L’ouvrage fit date et alimenta de vives controverses. Ce qui est certain c’est que nous vivons aujourd’hui les limites et les conséquences du modèle agricole productiviste, adopté dans les années 1960. Il faut d’urgence ouvrir un nouveau cycle. Le PLOA doit impérativement relever les défis de notre époque. Notre ambition collective doit être d’assurer le renouvellement des générations paysannes sans lesquelles rien ne sera possible et d’accélérer la transition agro-écologique pour faire face au changement climatique.

L’agriculture, c’est la vie. Ni plus, ni moins. Paysan.nes, organisations de la société civile, citoyen.nes, nous avons tous notre mot à dire sur les sujets agricoles et alimentaires. SOL et les 54 organisations qui composent le collectif Nourrir, fortement mobilisé depuis le lancement du processus, appellent ensemble à l’adoption d’un PLOA à la hauteur des enjeux du monde agricole et de notre société.

En premier lieu, le PLOA doit intégrer les enjeux alimentaires, car ils concernent le plus grand nombre. Ensuite, parce que l’agriculture est l’affaire de tous et toutes, ce pacte doit transformer les modalités de gouvernance d’un monde agricole qui exclue les citoyen.nes de la prise de décision.

Demain, il sera trop tard.

Surtout, il doit faire de l’installation massive de paysannes et paysans un enjeu majeur en prenant la panoplie de mesures ambitieuses que demande la situation. Il s’agit notamment de soutenir et d’accompagner les transmissions d’exploitations, moments-clés de transformation des activités et levier essentiel pour des installations nombreuses.

Demain, il sera trop tard. Nous devons donc faire de cette LOA, une « LOA du siècle ». En d’autres termes, l’installation des paysans doit enfin être traitée comme il se doit, c’est à dire comme une grande cause qui engage l’avenir de notre pays et demande la mobilisation de toutes les énergies. Faites entendre la voix des paysan-nes et des citoyen-nes sur l’avenir de l’agriculture et de l’alimentation et participez à la consultation publique, sur le site du ministère de l’Agriculture, jusqu’au 30 avril.


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