Près de Castres, une lutte festive contre « l’autoroute du désespoir »
Plusieurs milliers de manifestants ont montré, samedi 22 avril, leur détermination joyeuse au cours d’une « mobilisation historique » contre le projet de l’A69 entre Toulouse et Castres, dont les premiers travaux ont commencé en mars. Un rassemblement qui cherchait aussi à panser les plaies de Sainte-Soline.
Aux « No Bassaran » de Sainte-Soline ont répondu des « No Macadam » ce samedi 22 avril, entre Saïx et Soual, dans le Tarn. La nouvelle lutte écologique soutenue par le mouvement les Soulèvements de la terre se passait ici, entre Toulouse et Castres, à l’appel également du collectif local La voie est libre, d’Extinction Rebellion Toulouse et du syndicat agricole Confédération paysanne.
Malgré les blessés de Sainte-Soline, malgré les menaces de dissolution, 8 200 personnes ont répondu présentes selon les organisateurs – 4 500 selon la préfecture. Comme à Notre-Dame-des-Landes où des milliers de personnes ont transité et lutté pour dire « non » à l’aéroport et son monde, il s’agissait cette fois de dire « non » à l’autoroute et son monde. Dans cette campagne où ondulent de vastes plaines, ce projet d’A69 fantasmé dans les années 1990 est toujours à l’ordre du jour.
De vieux réflexes de développement
Un vieux serpent de mer dont les manifestants ont dénoncé l’inadéquation avec les enjeux écologiques actuels. « C’était déjà un projet hyper ringard il y a 30 ans, ça l’est encore plus aujourd’hui », a dénoncé Geoffrey Tarroux, membre de La voie est libre, depuis l’estrade abritée de la pluie installée sous un chapiteau monté la veille, dans un campement improvisé sur un terrain privé à Saïx, prêté par un paysan qui serait impacté. « C’est une autoroute du déni climatique et démocratique », a-t-il ajouté, mentionnant les réserves déjà prononcées par l’Autorité environnementale, le Conseil national de protection de la nature (CNPN) ou les 90 % d’avis négatifs déposés lors de l’enquête publique.
Le tracé artificialiserait 366 hectares de terres, l’équivalent de 500 terrains de foot.
Un projet critiqué aussi par le climatologue toulousain Christophe Cassou, venu ici à la fois « comme scientifique et citoyen » inquiet. « Il faut faire autrement et lutter contre les réflexes de développement », a-t-il énoncé, s’appuyant sur le consensus scientifique du dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), auquel il a participé.
Les réflexes de développement semblent pourtant toujours et bien là, pour « désenclaver Castres » comme le souhaitent les soutiens au projet : 54 kilomètres d’autoroute, dont 44 km de voirie neuve, qui s’établiraient en parallèle de la route nationale RN126 comprenant déjà des portions en 2×2 voies ou des voies de dépassement. Un tracé qui artificialiserait 366 hectares de terres – l’équivalent de 500 terrains de foot. Dont des terres agricoles, des bois et des parcs, des zones humides. Le 3 mars 2023, la préfecture de Haute-Garonne a malgré tout publié un arrêté qui a sifflé le départ des premiers travaux.
Faire pression par la foule
L’opposition s’est intensifiée dès lors. Plusieurs « écureuils », dont la figure de proue Thomas Brail, fondateur du Groupe national de surveillance des arbres (GNSA), se sont perchés dans des platanes bicentenaires pour éviter leur abattage. Celui-ci est finalement suspendu depuis un recours déposé en appel fin mars auprès du Conseil d’État, une première victoire pour les organisateurs. Un prochain recours sur le reste des travaux et l’autorisation environnementale sera également déposé dans les prochains jours, ont-ils annoncé dans la matinée.
Mais en attendant les décisions juridiques qui peuvent être longues à venir, il faut faire pression par la foule. « On espérait qu’il y ait beaucoup de monde, je suis encore plus ébahi », affirme presque avec des étoiles dans les yeux Gilles Garric, impliqué de longue date dans la lutte contre l’A69 et membre de La voie est libre. Le précédent rassemblement d’opposition fin mars avait réuni 500 personnes.
Mais comment continuer la lutte, après Sainte-Soline et ses 200 blessés côté manifestants ? Pour éviter un tel carnage et d’avoir affaire à des forces de l’ordre trop équipées et musclées, les organisateurs ont déclaré la manifestation en préfecture. Un dialogue qui a permis d’obtenir que celles-ci se tiennent le plus en retrait possible et d’insister sur le côté festif de ce rendez-vous.
Conjurer le sort des autres luttes écolo
Le cortège s’est ébranlé à 14 heures pile, comme prévu, avec une météo enfin clémente et au rythme de fanfares bien déterminées à faire monter le son – sauf à proximité de la réserve naturelle de Cambounet-sur-le-Sor, où une grande communauté de hérons était perchée dans des arbres. Cette réserve, comme le reste du trajet emprunté par la manifestation, est menacée par le tracé de l’autoroute.
La répression a renforcé leur détermination à se mobiliser.
Dans les rangs se trouvait Julien Le Guet, figure de la lutte contre les « mégabassines » du marais poitevin, toujours avec sa tenue de travail bleue en clin d’œil à la couleur de l’eau à préserver. « Je suis venu en retour du soutien incroyable dont on bénéficie. Ici, c’est la même logique délétère et écocidaire qui est à l’œuvre. » Il se réjouit du caractère festif revendiqué et permis par l’autorisation de la manifestation : « Il y a peut-être autant de personnes qui portaient le masque à Sainte-Soline qui ne le portent pas ici. »
Sasha, Éloïse et Marie n’avaient pas de masque mais ont préféré donner des prénoms d’emprunt. Âgées de 19 et 20 ans, elles ont entonné différents chants de lutte sur le trajet. Elles sont venues affirmer leur opposition contre l’A69 pour la première fois depuis Paris et Grenoble, avec des groupes d’Extinction Rebellion dont elles font partie.
C’est « l’urgence » écologique qui les a motivées, plus qu’une connaissance fine du projet. Ainsi que « la volonté de se mobiliser après la répression de Sainte-Soline », où elles étaient toutes les trois fin mars. Comme pour d’autres, la répression du mouvement écologiste qui s’est intensifiée ces derniers temps a renforcé leur détermination à se mobiliser.
Pas de police, pas de violence.
Des pancartes et des discours ont d’ailleurs rappelé avec émotion la situation de Serge Duteuil-Graziani, toujours dans le coma après avoir été blessé fin mars. Militant toulousain, ses camarades étaient nombreux sur place. Dans les mémoires aussi, la mort de Rémi Fraisse en 2014 non loin d’ici, lors de la lutte contre le barrage de Sivens. Pour conjurer le sort, il fallait donc que la mobilisation soit la plus belle possible.
Course de bolides et mur de parpaings
L’ambiance était donc potache sur le trajet. « Nous sommes tous des écoterroristes », revendiquait en chantant la foule, en pied de nez aux accusations du ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin. « Plus de 69, moins d’autoroute », clamait une pancarte. Cet esprit a culminé lors de l’arrivée sur un tronçon en 2×2 voies de la RN126. Sur place, un mur de parpaings a été érigé, pour dénoncer le mur dans lequel nous foncerions si le projet de l’A69 était mené à bien.
D’autres se sont élancés dans une course de « bolides » très inventifs, construits en matériaux de récup’ ou soudés la veille sur le campement. Y compris des « medics » qui ont cette fois eu le temps de s’amuser. La course, baptisée « Qui va gagner 12 minutes ? », faisait référence au gain de temps du trajet entre Castres et Toulouse estimé par les organisateurs. À gagner ? 17 euros, soit le prix du péage pour un trajet aller-retour.
Qui a finalement remporté le trophée ? On ne sait pas trop. Mais la manifestation, elle, a marqué les esprits et espère bien avoir le dernier mot contre le projet de l’A69. « Merci à Darmanin qui a parlé de nous, ça nous a fait un sacré coup de com’ », s’amusait dans un sourire Flavie Thebault, membre de La voie est libre.
Le ministre de l’Intérieur avait en effet déclaré lors d’une audition le 5 avril devant le Parlement que la lutte contre l’autoroute A69 faisait partie des 42 endroits en France où il y aurait « des volontés d’installer des ZAD, des volontés de manifestations extrêmement violentes ». Mais au final, comme le scandait Julien Le Guet dans son mégaphone sur le chemin du retour : « Pas de police, pas de violence. »
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