Retraites : faites vos jeux, rien ne va plus !

Alors que la contestation se poursuit contre la réforme des retraites, le gouvernement s’en remet à la décision du Conseil constitutionnel comme à un pouvoir magique. Quelle qu’elle soit, elle ne sifflera pas la fin de la lutte.

Denis Sieffert  • 5 avril 2023
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Retraites : faites vos jeux, rien ne va plus !
Affiche de rue contestant le recours au 49.3 pour imposer réforme des retraites.
© Guillaume Deleurence

Ainsi, le sort de la réforme des retraites dépendrait désormais d’une décision du Conseil constitutionnel attendue pour le 14 avril. Il y a quelque chose d’hallucinant dans cette situation. Je ne vais pas redire ici combien cette réforme est calamiteuse pour la vie de tout un chacun. Ni souligner la gravité d’une crise qui plonge le pays dans la violence, à commencer par une violence policière rarement atteinte.

Or, voilà qu’en dépit d’une mobilisation qui ne faiblit pas, l’issue dépendrait d’une institution qui, pour nous autres pauvres citoyens, a toutes les apparences d’une « boîte noire ». J’emploie à dessein cette expression qui désigne généralement les pouvoirs opaques, propres aux régimes autoritaires. Ces lieux cadenassés dont les citoyens n’ont pas à connaître les règles.

L’issue dépendrait donc d’une institution qui a toutes les apparences d’une « boîte noire ».

Bien entendu, il n’est pas question de mettre en cause l’esprit démocratique des membres de cette honorable institution. Mais force est de constater qu’on ignore les critères selon lesquels ils vont statuer. Cette incertitude alourdit un peu plus la chape de plomb qui s’est abattue sur notre démocratie tout au long de ce conflit. Officiellement, ils vont dire le droit.

Mais il suffisait d’entendre un récent débat entre deux éminents constitutionnalistes, dont l’excellent Dominique Rousseau, pour comprendre que ce n’est pas si simple (1). Lui, plutôt de gauche, sa contradictrice, Anne Levade, visiblement de droite, mais tous les deux compétents dans leur discipline, parvenaient à des pronostics diamétralement opposés.

1

France Inter, matinale du 30 mars.

Pour l’un, il est probable que le Conseil retoque la réforme ; pour l’autre, il va la valider sans coup férir. À les entendre, on se disait qu’au final, ce qui les séparait, c’était moins leur interprétation du droit que leurs opinions. Après toute cette science, on en revenait à un bon vieux clivage politique. Et il n’y a pas de raison qu’il en aille autrement à l’intérieur de la « boîte noire ».

Si l’on ne se référait qu’à l’esprit démocratique, on conclurait, comme Dominique Rousseau, que le gouvernement ayant abusé des arguties juridiques les plus scabreuses, la procédure a été globalement insincère. Le tout parsemé de quelques beaux mensonges qui ont trompé le public. Mais on peut aussi se dire, option de droite, qu’il n’y avait rien d’illégal dans tout ça, puisque la Constitution permet ces tripatouillages.

Et puis, on sait que « les sages de la rue de Montpensier », comme on les appelle, répugnent à donner tort à l’exécutif. Ne pas embarrasser un gouvernement est leur règle de conduite ! Mais de bons connaisseurs du sérail introduisent d’autres critères qui compliquent le jeu. On dit, par exemple, que l’ancien Premier ministre Alain Juppé, qui est l’une des éminences du Conseil, est sans doute favorable à la réforme, mais qu’il n’apprécie pas beaucoup Emmanuel Macron.

Lui qui a dû capituler devant le mouvement social de 1995 sera-t-il tenté de ramener l’hôte de l’Élysée à plus de modestie ? Et le président du Conseil constitutionnel, Laurent Fabius, pourrait avoir les mêmes mauvaises pensées. En attendant, le malheureux a été privé du voyage à Pékin pour lequel il était prévu. Trois jours au côté de Macron auraient par trop éveillé les soupçons.

Mais revenons à l’essentiel. Après les manifestations les plus massives que notre pays ait connues depuis 1968, on en est donc à scruter un pouvoir à bien des égards occulte. Qu’est-ce qui va l’emporter ? Le droit, stricto sensu ? La tradition conservatrice d’une institution qui n’a pas été inventée pour semer la « zizanie » ? Des règlements de comptes personnels d’anciens politiciens qui n’ont pas eu la carrière espérée ?

La lutte de classes ne s’arrêtera pas sous les ors de la rue de Montpensier.

Faites vos jeux ! Rien ne va plus ! Nous sommes en pleine « absurdie ». Ce suspense résulte d’une politique marquée de bout en bout par le mépris social. Après avoir multiplié les passages en force et répandu la violence, le gouvernement s’en remet au Conseil constitutionnel comme à un pouvoir magique. Un arbitre insondable, plutôt que le fruit d’une vraie négociation avec l’intersyndicale.

Si bien que, quelle que soit l’issue de cette partie de roulette, on peut prédire que la lutte de classes ne s’arrêtera pas sous les ors de la rue de Montpensier. Même si, par extraordinaire, le Conseil constitutionnel se montrait moins sourd à la colère de la rue qu’un président irascible. Qui sait, d’ailleurs, si quelques ministres, assignés à résidence par peur du peuple, ne rêvent pas secrètement que l’on sorte de cette crise, fût-ce par la plus petite porte.

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