Après la colère sociale, le risque du ressentiment
L’espoir d’un épuisement du mouvement social, entretenu par Emmanuel Macron, pourrait bien se retourner contre lui et sa majorité. Car il prend le risque d’un durcissement de la mobilisation.
dans l’hebdo N° 1753 Acheter ce numéro
Une opinion publique très majoritairement hostile au projet de réforme des retraites. Plusieurs millions de Français·es mobilisés. Les rues des petites et moyennes communes de l’Hexagone noires de monde. Des ronds-points occupés. Une unité syndicale exemplaire. Des manifestations quasi hebdomadaires depuis douze semaines – parfois jusqu’à deux appels à défiler dans la même semaine.
Des grèves reconductibles dans plusieurs secteurs : les éboueurs, les dockers, les raffineries, les transports. Un mouvement social d’une ampleur jamais égalée depuis plus d’un demi-siècle. Des Français.es favorables, dans une écrasante majorité, au maintien des actions engagées par l’intersyndicale.
Face à cela, un président et un gouvernement inflexibles. Deux oppositions, qui se mesurent et dont la détermination semble intacte. Deux camps suspendus à une décision : celle du Conseil constitutionnel qui doit se prononcer sur la conformité à la Constitution de la réforme et de la méthode utilisée par le gouvernement – notamment s’agissant des procédures accélérées et du choix du PLFSS (projet de loi de financement de la Sécurité sociale) pour examiner le texte.
L’espoir d’un épuisement du mouvement social pourrait bien se retourner contre Emmanuel Macron.
À quoi bon manifester, dans ce contexte et si tout repose sur la décision du Conseil constitutionnel ? À quoi sert-il encore de prendre la rue, de se mettre en grève, de signer des pétitions ou de publier des tribunes ? Nous avons réuni deux historiennes, Danielle Tartakowsky et Mathilde Larrère, pour leur demander : face à un gouvernement sourd, à quoi sert-il encore d’aller battre le pavé ? Et les deux spécialistes de l’histoire des mouvements sociaux convergent sur une idée : « Le plus important, ce n’est pas le nombre de manifestants, mais la durée du mouvement. »
En restant les yeux rivés sur le compteur « officiel » du nombre de manifestants communiqué par le ministère de l’Intérieur, les éditorialistes, commentateurs et autres responsables politiques – qui se réjouissent des chiffres en baisse – font une erreur d’analyse majeure. Parce que le cœur de la mobilisation, son caractère sans doute inattendu, est précisément lié à la détermination à la fois de l’intersyndicale, imperturbable, et des Français·es dont la colère ne retombe pas.
L’espoir d’un épuisement du mouvement social, entretenu par Emmanuel Macron, pourrait bien se retourner contre lui et sa majorité. Il prend le risque d’un durcissement de la mobilisation, notamment si le Conseil constitutionnel n’invalide pas, ou ne valide que partiellement, sa réforme des retraites.
Il prend le risque d’une consolidation de l’unité syndicale et peut-être, faut-il l’espérer, de la construction d’une alternative de gauche – même si on en est encore loin. Mais, surtout, il prend le risque de provoquer du ressentiment. Et quand la colère sociale se transforme en ressentiment, il n’y a qu’un seul vainqueur. Ou plutôt, une seule !
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