Violences sexuelles, racisme, dysfonctionnement : le SNU peut-il tenir ?
Après la révélation de nombreux incidents lors des séjours de cohésion, la question du maintien du service national universel, dans sa formule actuelle, se pose. Politis lance une invitation à Sarah El Haïry, secrétaire d’État à la Jeunesse, pour venir répondre aux questions de plusieurs opposants au SNU.
À partir de combien de gouttes le vase finit-il par déborder ? Alors que les incidents se multiplient depuis le début de l’expérimentation du service national universel, en 2019, les fonctionnaires œuvrant, tant bien que mal, à sa mise en place, tirent la sonnette d’alarme. « Nous ne sommes pas à l’abri d’un accident majeur, comme la mort d’un volontaire sur le terrain », souffle un représentant national du Syndicat de l’encadrement, de la jeunesse et des sports, qui demande un « moratoire » à la secrétaire d’État à la Jeunesse, Sarah El Haïry.
Face à cette colère qui gronde de la part des éducateurs, en passant par les personnels de l’Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports comme des jeunes eux-mêmes et de leurs parents, Politis a proposé à Sarah El Haïry de répondre aux questions de plusieurs opposants au SNU.
« L’ambiance est au grand silence »
Mardi matin, nous révélions des cas de harcèlement sexuel, d’agression et de racisme lors de deux séjours de cohésion dans un centre francilien, à l’été 2022, qui auraient été commis par un commandant et un lieutenant-colonel participant à l’encadrement. Suite à ces informations, le cabinet de Sarah El Haïry a annoncé avoir saisi le procureur de la République, ainsi que l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche, pour qu’elle engage une enquête.
Soit près de huit mois après les faits. Comment expliquer un tel délai ? Selon nos informations, plusieurs services n’auraient pas été mis au courant, comme c’est le cas habituellement. Notamment au niveau régional, par l’intermédiaire de la Délégation régionale académique à la jeunesse, à l’engagement et aux sports (Drajes), comme à la direction de la jeunesse, de l’éducation populaire et de la vie associative (Djepva), située rue de Grenelle. Ou bien font-ils mine de ne pas savoir ? « L’ambiance est au grand silence », nous chuchote-t-on au ministère de la Jeunesse et des Sports.
Les canaux de remontée d’informations du SNU fonctionnent sur l’omerta.
D’après plusieurs sources, l’enquête administrative aurait stagné au sein du service départemental à la jeunesse, à l’engagement et au sport (SDJES). C’est lui qui a mené les auditions avec le personnel d’encadrement, dont plusieurs membres étaient pourtant les premiers témoins des allusions sexuelles et des propos racistes tenus par l’un des deux gradés.
Pourquoi une telle inertie ? Les deux militaires à la retraite auraient intégré l’équipe du centre après une demande formulée expressément par le délégué militaire départemental. Un piston qui aurait limité le service dans son action, le conduisant à étouffer l’affaire localement. Contactés, ni le SDJES, ni le directeur académique n’ont souhaité répondre à nos sollicitations, nous renvoyant vers le cabinet de la secrétaire d’État.
Alors que les canaux de remontée d’informations pour les accueils collectifs de mineurs plus classiques, comme les colonies de vacances, sont plutôt rodés, ceux du SNU fonctionnent sur une logique toute particulière : l’omerta. « Il ne faut pas faire de vague », nous dit-on au sein d’une Drajes. Certains rapports d’incidents seraient même modifiés par l’administration pour que des passages trop sensibles n’apparaissent pas. « Des collègues s’autocensurent, aussi », regrette une source syndiquée chez Solidaires Jeunesse et sport.
Juges et parties
Un des problèmes majeurs réside dans le fait que les SDJES sont « juges et parties ». « Les inspecteurs sont chargés d’une mission régalienne de contrôle d’accueils collectifs de mineurs et, en même temps, ils doivent participer au pilotage sur le terrain », explique le Syndicat de l’encadrement, de la jeunesse et des sports. Une pression qui a contribué au départ de la moitié des chefs des SDJES depuis janvier 2021.
En 2022, dans le Vaucluse, une tutrice aurait été victime de harcèlement sexuel et un autre de harcèlement moral.
Cette difficulté se répercute incident après incident. Comme le week-end du 15 et 16 avril, où les jeunes de la zone B devaient rejoindre leurs centres SNU. « Une vraie panique générale », souffle une source qui a reçu des échos du terrain. Plusieurs cars, censés récupérer des volontaires, ne sont pas passés ou sont arrivés très en retard. Des problèmes d’horaire de trains ont aussi été rencontrés, obligeant des familles à rester plusieurs heures avec leurs enfants jusqu’à ce qu’une solution soit trouvée.
Résultat : des personnels des SDJES ont dû « improviser » et entrer en contact avec la SNCF, des transporteurs locaux, voire des VTC. « Ces soucis logistiques révèlent un système complètement artisanal », grince le syndicat, qui ne s’oppose pas complètement au SNU mais en critique sa « profonde désorganisation ».
À ces soucis logistiques s’ajoutent les incidents liés à l’encadrement. Chaque année, plusieurs enquêtes administratives sont ouvertes suite à des signalements, qui arriveraient dans près de 10 % des séjours, selon nos informations.
En juin 2022, dans un centre du Vaucluse, une tutrice aurait été victime de harcèlement sexuel et un autre de harcèlement moral par deux cadres de compagnie. Toujours en juin, mais cette fois-ci en Martinique, le parquet a décidé d’ouvrir une enquête après qu’une agression sexuelle aurait été commise sur une volontaire de moins de 16 ans par un tuteur.
En juillet, Mediapart révélait une punition collective au cours de laquelle les volontaires avaient dû subir des séries de pompes au milieu de la nuit. La même année, plusieurs jeunes faisaient un malaise à force de rester au garde-à-vous en pleine canicule, rappelant des événements qui se sont passés à Évreux, en 2019.
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