À bas la mauvaise Constitution et vivement la 6e République
TRIBUNE. Après le naufrage démocratique de la loi sur les retraites, réfléchir à ce que serait le meilleur régime politique est un devoir républicain pour Raquel Garrido, députée LFI de Seine-Saint-Denis et membre du groupe de travail « 6e République » de l’intergroupe parlementaire Nupes.
Le conflit des retraites revêt une dimension démocratique que nul ne peut plus ignorer. Dès le départ, la mobilisation contre la loi instaurant la retraite à 64 ans était particulièrement forte dans la France des sous-préfectures, et rassemblait des corps de métiers que l’on était peu habitué à voir se mettre en mouvement. Les études d’opinion confirmaient les observations de chacun sur le terrain, à savoir le caractère ultra-majoritaire de l’opposition à la retraite à 64 ans.
Ainsi, quand, en janvier, le gouvernement a finalement déposé son projet de loi sur le bureau de l’Assemblée nationale, les syndicats avaient la prescience que si l’opinion majoritaire était partagée sur tout le territoire, alors la bonne logique démocratique commandait que les représentants de la nation votent contre la loi, et ce quelle que soit leur affiliation politique.
Un test démocratique
L’examen de la loi retraites n’allait pas être seulement un traditionnel conflit politique entre des options programmatiques distinctes, mais bien un test démocratique en soi. Les syndicats, composantes essentielles de la vie démocratique, mettaient les élus à l’épreuve de la qualité démocratique. On allait voir si les représentants, dont la fonction est de re-présenter – c’est-à-dire de présenter-à-nouveau –, allaient voter conformément à la volonté des habitants de leur circonscription. Vu sous cet angle, le suspens ne résidait pas tant dans le vote des députés de la Nupes, dont on connaissait par avance le vote, vu qu’ils ont été élus sur un programme clair de retour à la retraite à 60 ans, mais sur le vote de tous les autres.
C’est bien la Constitution de 1958 qui octroie au président le pouvoir d’abuser de son pouvoir.
Le président Macron avait visiblement aussi l’intuition que l’acquisition d’une majorité à l’Assemblée serait difficile. C’est exactement pour cela qu’il a opté pour une procédure bâillon (article 47-1 de la Constitution) rendant impossible l’examen approfondi de la réforme et permettant, in fine, son adoption sans vote (article 49 alinéa 3 de la Constitution). Et ce qui devait arriver arriva.
Sous la pression des mobilisations, les députés de droite issus des circonscriptions les plus populaires n’ont pas voulu voter la loi. Ainsi, le 16 mars, alors que les députés étaient convoqués pour le vote ultime de la loi, la première ministre Borne a dégainé le 49.3. Le test démocratique a eu lieu. De l’avis général, la France a lamentablement échoué.
Le pouvoir du président
La faute à qui ? La faute à quoi ? À la Constitution. C’est bien la Constitution de 1958 qui octroie au président le pouvoir d’abuser de son pouvoir. La chose est désormais limpide. L’antisocial naît dans l’antidémocratique. Déjà, lors de l’examen du budget de l’État à l’automne, nous l’avions constaté. Les mesures de redistribution fiscale, comme la taxe sur les super-dividendes, qui avaient été votées majoritairement par l’Assemblée nationale, ont été réduites à néant par des 49.3 successifs. Mais ce n’est pas tout.
L’anticlimat naît aussi dans l’antidémocratique. Preuve en est l’annulation, par 49.3, du budget de 12 milliards d’euros que l’Assemblée avait voté à la majorité pour la rénovation thermique des bâtiments.
La décision du Conseil constitutionnel, le 14 avril, n’a fait qu’envenimer les choses. Pauvrement fondée en droit, cette décision a été comprise pour ce qu’elle est : le choix, de la part du Conseil constitutionnel, de ne pas contredire la volonté présidentielle.
La porte ouverte à la violence
Aujourd’hui, chaque Français est devenu un petit constitutionnaliste. L’expression « faire un 49.3 » est devenu une locution familière et même humoristique pour dire « faire fermer la bouche », ou « passer en force ». Quand un copain impose aux autres le film qu’on va voir, il fait un 49.3 ! Partout dans les mobilisations on voit les pancartes arborant les jeux de mots et les revendications autour du 49.3.
Le conflit des retraites n’est pas fini car il a pris une dimension démocratique qu’il serait dangereux d’ignorer. La démocratie, parce qu’elle permet de purger les conflits politiques, est facteur de paix. À l’inverse, si toutes les voies de passage pacifiques sont bloquées par des portes blindées constitutionnelles, alors c’est la porte ouverte à la violence.
La France peut s’appuyer sur son histoire républicaine pour trouver le sursaut.
Dans ces circonstances, il faut juger avec bienveillance les expressions multiples et populaires d’exigence démocratique. Rien ne serait plus terrible que la fin du rêve démocratique. Heureusement, la France peut s’appuyer sur son histoire républicaine pour trouver le sursaut. Le principe de la France républicaine est le suivant : gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple. Cette formule n’est pas un slogan populiste. C’est, verbatim, l’alinéa 5 de l’article 2 de la Constitution ! Injonctions contradictoires que ces proclamations constitutionnelles alors que les articles suivants forgent l’armature d’un régime désormais qualifié de monarchie présidentielle.
Il faut une constitution de rechange
Mais attention, la chute de la monarchie présidentielle n’est pas un horizon à lui seul. Si nous voulons la paix, il faut une constitution de rechange. Ainsi, il ne suffit pas de dire « à bas la mauvaise Constitution », ou « à bas la monarchie présidentielle », il faut dire en même temps, « vivement la VIe République ». Le processus d’abolition de ce qui est condamné à devenir « l’ancien régime » doit être concomitant avec le mouvement de passage à la 6e République. Car ne soyons pas naïfs. Albert Camus nous avertissait : « Quand la démocratie est malade, le fascisme vient à son chevet mais ce n’est pas pour prendre de ses nouvelles. » C’est si vrai dans la France de 2023.
Le premier devoir républicain est de réfléchir à quel serait le meilleur régime politique.
Le premier devoir républicain est de réfléchir à quel serait le meilleur régime politique. C’est un travail sérieux auquel nous nous attelons déjà au sein de l’intergroupe parlementaire Nupes. Un groupe de travail a déjà commencé des auditions avec des députés des quatre groupes. Elles sont publiques et disponibles en ligne. Avec patience et détermination, nous allons ronger l’os. Tous les groupes politiques devraient faire de même. Les citoyens aussi, dans leurs territoires. La crise de régime est bien là. L’avenir sourira à celles et ceux qui trouveront le chemin pacifique pour passer à la nouvelle ère démocratique.
Des contributions pour alimenter le débat, au sein de la gauche ou plus largement, et pour donner de l’écho à des mobilisations. Ces textes ne reflètent pas nécessairement la position de la rédaction.
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