Blocage de l’AG de Total : « Les écoterroristes, c’est vous ! »
Vendredi 26 mai, 700 activistes ont tenté d’empêcher la tenue de l’assemblée générale annuelle de Total. Escortés par la police, les actionnaires du géant pétrolier ont pu se rendre à la réunion, sous les huées.
« La retraite à 60 ans, même si pour nous c’est mal barré ça serait pas mal pour Pouyanné ! » À quelques centaines de mètres de l’Arc de Triomphe, le très chic 8e arrondissement de Paris se réveille sous les chants des militants venus perturber l’assemblée générale de TotalEnergies. Ils sont près de 700 à bloquer les rues aux alentours de la salle Pleyel, où doivent se retrouver les actionnaires de la multinationale.
Une coordination d’associations (Alternatiba Paris, les Amis de la Terre, Attac, Greenpeace France, 350.org et Scientifiques en Rébellion) organise l’action depuis un mois. Dès 6 heures du matin, ils ont été accueillis par un important dispositif de police, déployé avec pour consigne de ne laisser que les actionnaires et autres personnes accréditées par TotalEnergies franchir le barrage.
Sans surprise, la répression policière est énorme.
Avenue Hoche, face à une salle Pleyel barricadée, un pick-up s’arrête pour déposer du matériel aux militants qui organisent des prises de parole. La tension monte. Des policiers accusent le chauffeur d’avoir manqué de renverser un agent, tambourinent sur sa vitre et la brisent, avant de l’embarquer. « Sans surprise, la répression policière est énorme. On se fait marcher dessus, gazer… Mais on s’y attendait, ça fait longtemps que l’État ne nous défend plus et préfère défendre des intérêts privés », lance Steven Arfeuille – porte-parole d’Alternatiba Paris – au micro, peu après l’incident.
Actionnaires escortés
À partir de 8 h 30, les premiers actionnaires tentent de rejoindre l’assemblée générale. La soixantaine – parfois bien plus –, vêtus de costumes, sacoche d’ordinateur à la main, ils sont immédiatement repérés par les activistes. Au-delà du blocage, l’objectif est aussi d’interpeller les participants à l’AG pour engager un dialogue. Pablo Flye, jeune activiste du mouvement Fridays for Future, enchaîne les argumentaires, avec pédagogie : « On essaye d’inciter les actionnaires à exprimer leurs doutes et leurs interrogations pendant l’AG, le but c’est qu’ils votent contre les résolutions climaticides de Total ».
Le pas pressé, les actionnaires coupent souvent court aux discussions et sont escortés par la police jusqu’au barrage. Certains crient au déni de démocratie : le blocage de l’AG empêcherait les actionnaires de prendre des résolutions pour protéger la planète. Face à l’hypocrisie, Hugo Raguet – enseignant chercheur en mathématiques et informatique et membre du collectif Scientifiques en Rébellion – répond par la colère : « Cette assemblée est révélatrice : le commun des mortels n’a pas son mot à dire sur l’avenir de la planète, ce sont les actionnaires qui décident. Pourtant les bombes climatiques, ces projets qui émettent plus d’un milliard de tonnes de CO2, font des victimes partout dans le monde. »
Un plan climat à coups de pipelines
L’assemblée générale du groupe pétrolier s’est tout de même tenue, à partir de 10 heures. Au programme, un vote consultatif des actionnaires au sujet de deux résolutions : un « plan climat » proposé par le conseil d’administration de TotalEnergies et un projet alternatif, défendu par le groupe d’actionnaires Follow This.
Ces derniers réclament son alignement avec l’objectif de l’accord de Paris pour limiter le réchauffement climatique sous les 2°C d’ici à 2030. Fin avril, la multinationale invitait ses actionnaires à s’opposer à cette résolution, au profit du plan proposé par le conseil d’administration. À l’issue de l’AG, la proposition de la firme, qui n’implique pas l’interruption de ses investissements dans les énergies fossiles, qui a été votée.
Cette assemblée est révélatrice : le commun des mortels n’a pas son mot à dire sur l’avenir de la planète.
Selon un rapport de l’organisation Oil Change International, les projets d’exploitation pétrolière et gazière que TotalEnergies prévoit d’approuver entre 2023 et 2025 émettront à terme 1 600 millions de tonnes de CO2. Le plus emblématique de ces projets se situe entre l’Ouganda et la Tanzanie, où le chantier a déjà débuté. La multinationale prévoit d’y forer 400 puits de pétrole, transporté ensuite via un immense pipeline nommé EACOP (East African Crude Oil Pipeline) qui, avec ses 1 445 kilomètres de long ce sera le plus grand oléoduc chauffé au monde.
Espoir européen
Avec cinq autres organisations, Les Amis de la Terre avaient assigné Total en justice pour non-respect de la loi sur le devoir de vigilance. Depuis 2017, le texte tient les grandes entreprises françaises responsables des risques sociaux et environnementaux que causent leurs activités et celles de leurs filiales, partout dans le monde. Le 2 mars 2022, le tribunal judiciaire de Paris a jugé le recours des associations irrecevable.
Sur place lors du blocage ce 26 mai, deux eurodéputées – Marie Toussaint (écologiste) et Manon Aubry (LFI) – étaient présentes pour rappeler que le combat pour la responsabilité sociale et environnementale des multinationales se poursuit aussi au niveau de l’Union européenne. Jeudi 1er juin, une directive européenne sur le devoir de vigilance doit être votée au Parlement européen. « Cette directive permettrait d’affirmer que l’économie doit réintégrer les limites planétaires, que les entreprises ne sont pas au-dessus de la nature », explique l’eurodéputée écologiste Marie Toussaint.
Mais l’espoir que le texte soit voté s’amenuise, alerte sa collègue insoumise Manon Aubry : « Total méprise le cadre démocratique et mène un lobbying intense auprès des libéraux et de la droite conservatrice au Parlement. Nous étions en mesure d’obtenir une majorité confortable, mais ce n’est plus le cas. » Dans l’attente d’une loi européenne, TotalEnergies continue de faire la sienne en toute impunité.
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