Réaction française

Le ministre de l’Intérieur, très occupé à taper sur la gauche, a soudainement demandé aux préfets d’interdire les manifestations extrême droitières, dont il était aisé de deviner que la justice les autoriserait. Façon de s’acheter à peu de frais une conduite de contempteur d’extrême droite ?

Sébastien Fontenelle  • 15 mai 2023
Partager :
Réaction française
Le ministre de l'Intérieur, en novembre 2022.
© Ludovic MARIN / AFP.

L’on se rappelle que M. Darmanin, ministre de l’Intérieur, a produit naguère (1) quelques articles, à titre gracieux, pour le mensuel Politique magazine, « organe de presse lié au mouvement Restauration nationale dirigé par Hilaire de Crémiers, lui-même figure de l’Action française (2) » – organisation monarchiste qui perpétue le souvenir de Charles Maurras, inventeur de l’« antisémitisme d’État ».

(1) C’était en 2008.

Et l’on a plus récemment vu que M. Darmanin avait peut-être gardé quelque restant de cette – point si lointaine – époque, lorsqu’il a très tranquillement cité, en décembre dernier (3), lors d’une intervention à la tribune de l’Assemblée nationale, une autre haute figure de ladite Action française : l’historien antisémite Jacques Bainville.

Dans le cours des dernières semaines, M. Darmanin s’est plus spécialement dédié à la fustigation de ce qu’il appelle « l’extrême gauche » – successivement accusée par lui de verser dans « l’écoterrorisme », puis de « bordéliser le pays », puis de s’adonner au « terrorisme intellectuel » – et à l’interdiction de moult rassemblements pacifiques against la réforme des retraites. M. Darmanin s’est même si pleinement investi dans cette détraction (de la gauche) et dans cette compression (de sa liberté de manifester) qu’il n’a pas trouvé le temps d’apporter son soutien au maire de Saint-Brevin-les-Pins (Loire-Atlantique), victime d’une très violente campagne d’intimidation de l’extrême droite.

3

Quelques mois plus tôt, M. Darmanin s’était laissé aller, dans son livre consacré à ce qu’il appelle « le séparatisme islamiste », à d’édifiantes considérations, témoignant peut-être d’une inclination bonapartiste (what else ?), sur « les difficultés liées à la présence de dizaines de milliers de juifs en France » à l’époque napoléonienne.

Mais voilà que, la semaine dernière, M. Darmanin, constatant qu’il avait soulevé un début de scandale en tolérant un rassemblement néonazi, le 6 mai, dans les rues de Paris, a très soudainement demandé aux préfets d’interdire à l’avenir toutes les manifestations d’extrême droite. Et de prévenir : « Nous laisserons les tribunaux juger de savoir si la jurisprudence permettra en effet de tenir ces manifestations. »

Sur le même sujet : Gérald Darmanin a-t-il milité à l’Action française ?

Aussitôt, le préfet de Paris, en qui M. Darmanin tient assurément un fidèle exécutant, a prononcé l’interdiction d’un colloque et d’un défilé parisiens de l’Action française. Aussitôt, cette double interdiction a évidemment été annulée par la justice, qui a jugé que rien ne les justifiait – exactement comme l’avaient pronostiqué plusieurs juristes.

De sorte que nous voilà en droit de nous demander si M. Darmanin (que l’on sait conseillé de près, et dont rien ne permet par conséquent de supposer qu’il serait particulièrement ignorant de la réalité du droit) n’aurait pas délibérément demandé l’interdiction de ces manifestations – dont il était donc aisé de deviner qu’elles seraient finalement autorisées – pour se défausser sur des juges de la responsabilité de leur autorisation, tout en s’affichant à très peu de frais en très tardif contempteur d’une extrême droite dont, trop occupé sans doute à vilipender la gauche, il tarde souvent, depuis 2020, à dénoncer les exactions.

Recevez Politis chez vous chaque semaine !
Abonnez-vous
Publié dans
De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

Temps de lecture : 2 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don