Derrière les retraites, une bataille constitutionnelle
La proposition de loi du groupe Liot veut abroger la réforme de Macron pour remettre à plat notre système de retraite par « une vraie concertation ». Pour le gouvernement, prêt à s’y opposer par tous les moyens, c’est « inacceptable ».
dans l’hebdo N° 1760 Acheter ce numéro
À l’Assemblée nationale, les opposants au recul de l’âge de départ en retraite vont tirer cette semaine leur dernière cartouche. C’est en effet ce mercredi 31 mai que la proposition de loi du groupe indépendant Liot (Libertés, indépendants, Outre-mer et territoires) visant à abroger la réforme macroniste doit être examinée en commission des Affaires sociales avant un débat dans l’Hémicycle, le jeudi 8 juin. Mais le débat pourra-t-il seulement avoir lieu ? Élisabeth Borne juge ce texte « dangereux et irresponsable », à l’instar de toute la Macronie qui entend bien empêcher son adoption.
La proposition de loi du groupe Liot, portée par son président Bertrand Pancher et 19 de ses députés (sur 21), auxquels se sont joints 150 députés des groupes de la Nupes, ne contient que trois articles. Le premier prévoit de revenir à la retraite à 62 ans et « rétablit également le calendrier initial de la hausse de durée des cotisations ». Le deuxième propose « la tenue d’une conférence de financement du système de retraite » avant le 31 décembre.
Si notre proposition de loi […] n’est pas mise au vote, alors plus aucune proposition de loi ne pourra plus l’être désormais.
Cette conférence, à laquelle serait conviés « l’État, les représentants des organisations syndicales de salariés, les représentants des organisations professionnelles d’employeurs, ainsi que des citoyens et des personnalités qualifiées », permettrait d’engager « une vraie concertation » autour de l’objectif d’« envisager de nouvelles pistes de financement ».
Remettre à plat la question des retraites
Cet article, inséparable du premier, lui donne tout son sens et devrait interdire aux petits soldats macronistes de disqualifier la proposition de loi comme étant « irresponsable », « pas sérieuse »… Il marque bien qu’elle n’entend pas seulement abroger la loi du 14 avril pour le seul plaisir d’abroger, mais aussi surtout remettre à plat la question des retraites et du déficit de son régime, dans une perspective plus large que « le seul prisme budgétaire ».
Son exposé des motifs constate qu’il n’est « plus possible de faire reposer » son financement « sur les seuls actifs », du fait « d’un rapport entre actifs et non-actifs de plus en plus déséquilibré » et « de la part croissante du capital dans la richesse nationale au détriment du travail ». Il y est fait état de la double nécessité de « répondre au sentiment d’injustice croissant qui repose sur […] l’aggravation des inégalités de richesses et de patrimoine » et « d’une réflexion globale en matière de solidarité intergénérationnelle ».
Enfin, son troisième article « gage » très classiquement la charge que créerait l’abrogation pour les organismes de Sécurité sociale sur une « majoration de l’accise sur les tabacs ». Une astuce utilisée par tous les groupes, y compris Renaissance, pour s’assurer de la recevabilité constitutionnelle de leurs propositions de loi et amendements. Ce que le Bureau de l’Assemblée nationale a validé, le 25 avril. Au grand dam de l’Élysée et du gouvernement.
Pour la Première ministre, comme pour Emmanuel Macron, la proposition d’abrogation serait « inconstitutionnelle ». Dans une tentative fébrile d’empêcher le texte d’arriver en séance, le camp présidentiel brandit depuis plusieurs semaines l’article 40 de la Constitution. Cette arme aux mains de la majorité présidentielle stipule que « les propositions et amendements formulés par les membres du Parlement ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l’aggravation d’une charge publique ».
Financièrement, l’argument est contestable. La Cour des comptes, dans un rapport sur l’application des lois de financement de la Sécurité sociale présenté le 24 mai, note que la réforme des retraites n’aura un effet financier favorable que progressivement, générera un surcoût pour la sécu jusqu’à fin 2024, et ne permettra qu’une économie de 7 milliards d’euros en 2030. Loin de la charge 12 à 18 milliards que l’abrogation créerait, selon les macronistes ! Mais quand il s’agit de dramatiser l’enjeu, la présidente de l’Assemblée, Yaël Braun-Pivet, à qui l’on doit le chiffrage le plus élevé, n’est pas à une outrance près.
Une lutte pour les droits du Parlement
Politiquement, une application stricte de l’article 40 réduirait considérablement l’initiative parlementaire. Sur ce critère, la proposition de loi « pour bâtir la société du bien vieillir » déposée par le groupe Renaissance, et examinée partiellement du 11 au 13 avril, aurait été irrecevable au regard des « dépenses futures » qu’elle engendre, chiffrées par Bertrand Pancher « entre 7 et 8 milliards d’euros » (BFMTV, 18 mai).
Il en est de même pour la proposition de loi visant à rendre obligatoire le pavoisement du drapeau européen sur les mairies, dont un article additionnel demande « d’accompagner » les communes qui n’auront pas pu se conformer à la loi « pour des raisons financières ». Une source parlementaire, citée par le Huffington Post, juge que « 90 % des PPL et des amendements subiraient le même sort si l’article était appliqué de façon bête et méchante ».
Dans une tribune au Monde, Éric Coquerel, président (LFI) de la commission des Finances, se dit partisan de « l’abrogation de cet article » qui « instaure une inégalité entre l’exécutif […] et le législatif ». Contraint de faire avec – il est dans sa fonction de juger de la recevabilité financière des propositions de loi et amendements –, il défend « une appréciation souple de l’article 40 ». Saisi d’une demande d’invalidation par Fadila Khattabi, présidente Renaissance de la commission des Affaires sociales, il a donc logiquement refusé, mardi 30 mai, de déclarer irrecevable la proposition de loi Liot.
Dès lors, la Macronie envisage de supprimer en commission l’article premier du projet de loi. À condition d’y réunir une majorité. Elle y a 32 députés, les oppositions 40 incluant 8 LR dont le vote sera décisif. Si le camp présidentiel y parvient, il est hautement probable que cet article serait réintroduit en séance plénière par un amendement similaire, auquel cas la présidente (Renaissance) de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, convoquerait un bureau en urgence pour déclarer l’amendement irrecevable au titre de l’article 40.
Face à cette perspective Bertrand Pancher avertit : « Si notre proposition de loi […] n’est pas mise au vote, alors plus aucune proposition de loi ne pourra plus l’être désormais. » Une application brutale de l’article 40 pourrait en effet être opposée aux initiatives des députés du camp présidentiel. La bataille parlementaire sur les retraites est aussi une lutte pour les droits du Parlement, qui sont d’abord ceux de l’opposition.
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