La récupération ratée de Le Pen
Le Rassemblement national – et le Front avant lui – n’ont jamais eu leur place lors de la Journée internationale des travailleurs et travailleuses. Le banquet du Havre l’a encore confirmé.
dans l’hebdo N° 1756 Acheter ce numéro
Réussir à se faire entendre malgré le tintamarre des casseroles. Asseoir sa figure de représentante des travailleurs populaires. Endosser la cape de la meilleure opposante à Emmanuel Macron. Pour Marine Le Pen, le 1er Mai était l’occasion rêvée d’incarner cette « majorité silencieuse » que certains sondages, et beaucoup de médias de droite, semblent lui promettre. Le choix de préférer la ville ouvrière du Havre à la statue de Jeanne d’Arc à Paris allait dans ce sens. Fuir l’embarrassant souvenir paternel du fondateur de Front national pour inquiéter Édouard Philippe sur ses terres normandes. La reine d’extrême droite allait s’abattre sur ses concurrents. Et puis le château de cartes s’est écroulé.
Pas un mot n’a été dit pour décrire la saveur particulière de ce 1er Mai, celle de la treizième journée de mobilisation contre l’affront d’Emmanuel Macron.
Les 1 500 personnes que sa « Fête de la nation » a su rassembler n’étaient en rien des sympathisants locaux, encore moins des dockers tant convoités. Cadres, élus, jeunes militants : les convives, partagés entre fascination et obéissance pour leur idole, étaient alignés en rang tout autour de la scène. À table, le débat portait sur le choix du vin : rouge ou blanc ? Sinon, il fallait écouter les serviteurs de la matriarche fantasmer sur les prétendus combats sociaux menés par les 87 députés Rassemblement national. Indexation des salaires sur l’inflation ? Augmentation du Smic ? Gel des loyers ? Rétablissement de l’ISF ? Taxe des superprofits ? Régulation des yachts et des jets privés ? Ces élus, si proches du peuple, n’ont pas jugé bon de voter pour ces propositions de loi. Qu’importe : un clip résumant les meilleurs discours est censé convaincre tout le monde. Vingt euros le billet d’entrée : on en a pour son argent.
Un autre oubli s’est fait ressentir lors de ce banquet bleu-blanc-rouge. Et il est de taille : la mobilisation contre la réforme des retraites. Pas un mot n’a été dit pour décrire la saveur particulière de ce 1er Mai, celle de la treizième journée de mobilisation contre l’affront d’Emmanuel Macron. Parce que le Rassemblement national et le Front avant lui n’ont jamais eu leur place lors de la Journée internationale des travailleurs et travailleuses. Aussi parce que, depuis le 19 janvier, les figures du parti sont invisibles sur le terrain.
Marine Le Pen connaît son histoire. Ses symboles.
« Le réel est entré dans l’Hémicycle », prétendait l’ambitieux Sébastien Chenu, vice-président de l’Assemblée nationale, pour qualifier les parcours « ordinaires » des élus RN. Il est entré, mais n’est jamais ressorti. On s’habitue vite aux ors du Palais-Bourbon. Surtout lorsque la rue vous attend au tournant, déterminée à ne plus subir le refrain hypocrite de l’idylle entre l’extrême droite et le peuple. Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT, l’a rappelé au micro de Franceinfo en ce 1er Mai : « Marine Le Pen s’en fout complètement, des travailleurs. » Et de l’écologie, faut-il ajouter. Sauf lorsqu’elle est une cartouche pour tirer à balles réelles sur cette « immigration » qui menacerait la « civilisation française ».
En revanche, elle connaît son histoire. Ses symboles. Disserter sur le « sens de la famille » et sur la « paix sociale » en ce jour de « fête du travail et de la patrie » rappelle une autre chanson. Elle est sortie en avril 1941 et le maréchal Pétain en est l’auteur. La « Fête du Travail et de la Concorde sociale » fut officialisée par le chef du régime de Vichy pour affirmer sa propagande collaborationniste et sa devise – Travail, Famille, Patrie. Tout en niant la lutte des classes qui caractérise cette journée arrachée aux patrons américains en 1884. Quatre-vingt-deux ans plus tard, la forme s’est adoucie. Pas le fond.
L’actualité vous fait parfois enrager ? Nous aussi. Ce parti pris de la rédaction délaisse la neutralité journalistique pour le vitriol. Et parfois pour l’éloge et l’espoir. C’est juste plus rare.
Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.
Faire Un Don