Le double sens de l’industrie
Il y a un consensus politique sur la nécessité de réindustrialiser l’économie française. Mais la relocalisation industrielle ne peut s’envisager sans une transformation de la nature même du mode de production.
dans l’hebdo N° 1759 Acheter ce numéro
La réindustrialisation de la France serait en cours. Quelques chiffres épars sur les investissements étrangers suffisent à ce discours publicitaire. Il n’en est rien. La baisse continue, depuis quatre décennies, de la part de l’emploi et de la valeur ajoutée de l’industrie est une tendance lourde de toutes les économies occidentales. Ce ne sont pas quelques promesses d’implantation d’usines de multinationales qui pourront changer cette tendance structurelle liée à la globalisation et à la financiarisation.
Il y a un consensus politique sur la nécessité de réindustrialiser l’économie française ; ce secteur serait source de hauts niveaux de productivité et de salaires, et gage de souveraineté productive. À droite, on propose des subventions, une baisse de la fiscalité des entreprises et une diminution des protections des travailleurs pour gagner en compétitivité. À gauche, la principale proposition est la planification industrielle mâtinée d’écologie.
Pour retrouver une autonomie productive, il faut désindustrialiser la production.
Mais la relocalisation industrielle ne peut s’envisager sans une transformation de la nature même du mode de production, sinon on aura juste relocalisé le capitalisme industriel. Le mot « industrie » renvoie à deux significations distinctes, mais confondues dans les discours dominants, ce qui occulte l’enjeu politique de la relocalisation.
La première renvoie à une activité productive de biens matériels. La bataille des chiffres se rapporte à cette définition. La seconde signification est implicite dans les débats et renvoie à la puissance économique, politique et militaire d’un pays. L’industrie est un mode de production machinique fondé sur la division du travail, la haute consommation d’énergie, la forte intégration de l’organisation de travail afin d’atteindre la plus grande puissance productive, c’est-à-dire les plus hauts niveaux de productivité. Selon cette signification, l’industrie est le mode de production du capitalisme, et son histoire est l’industrialisation continue de toutes les activités productives. Celle de l’hôpital en est un exemple tragique.
Ainsi, pour retrouver une autonomie productive, il faut désindustrialiser la production. Il ne s’agit pas d’attirer quelques grandes entreprises mondiales championnes de l’exploitation, mais de construire des filières de production, des matières premières à l’objet de consommation final, fondées sur un réseau de petites et moyennes entreprises régionales.
Plus profondément, il s’agit d’une décroissance drastique de la puissance productive de la filière, d’une baisse de la division du travail, de la complexité technologique et de la consommation d’énergie. Ce sont les dimensions d’une même et unique chose : la sortie du capitalisme industriel.
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