« Le Procès Goldman », de Cédric Kahn (Quinzaine des cinéastes)
Un film de grande intensité, avec deux formidables acteurs dans la peau de Pierre Goldman et de Georges Kiejman.
Le Procès Goldman, Cédric Kahn, 1h55. En salles le 27 septembre.
Le 9 mai disparaissait à 90 ans un très grand avocat pénaliste et spécialisé en droit d’auteur, Georges Kiejman. Celui-ci a eu toute sa vie un lien fort avec le cinéma, ayant été le conseil de Godard, Truffaut, Costa-Gavras, Yves Montand ou Jeanne Moreau.
Or, quelques jours seulement après son décès, il apparaît à l’écran sous les traits d’un comédien, Arthur Harari, dans Le procès Goldman, de Cédric Kahn, qui inaugure la sélection de la Quinzaine des cinéastes 2023, due à son nouveau délégué général, Julien Rejl. L’avocat a pu voir le film avant de mourir. Gageons qu’il a approuvé une œuvre aussi juste et forte.
Le Procès Goldman raconte en réalité le second procès intenté à Pierre Goldman, en 1976, après décision de la cour de cassation annulant le premier jugement qui le condamnait à la réclusion perpétuelle pour avoir tué deux pharmaciennes dans leur magasin du boulevard Richard Lenoir à Paris.
Pierre Goldman n’est peut-être pas un nom qui évoque grand-chose chez les lecteurs les plus jeunes. Les autres se souviennent de cet homme, de 31 ans au moment de son second procès, figure de l’extrême gauche, qui a tenté de se mêler à la guérilla au Venezuela après s’être lié avec Régis Debray, et publié en 1975 un formidable livre sur son itinéraire, que l’on ne saurait trop recommander encore aujourd’hui : Souvenirs obscurs d’un juif polonais né en France (1).
À lire dans la collection de poche « Points » du Seuil.
Cédric Kahn a choisi le huis-clos. Hormis une brève scène inaugurale dans le cabinet de maître Kiejman où celui-ci échange avec son jeune collaborateur – scène plutôt comique, qui informe d’emblée sur les relations conflictuelles que Goldman (Arieh Worthalter) entretient avec lui – l’action se déroule uniquement dans l’enceinte de la cour d’assises. Autrement dit : Le Procès Goldman est un film concentré, à l’énergie puissante et continue, à l’image de ce lion en cage qu’est l’accusé.
Dans cet espace contraint de jeu, beaucoup reposait sur la performance des comédiens : ils sont extraordinaires. Arieh Worthalter est un Goldman indiscipliné, parlant fort, d’une intelligence explosive, animal blessé, profondément admiratif de son père (Jerzy Radziwilowicz, l’acteur de L’Homme de marbre, de Wajda, et de Passion, de Godard, qu’on est toujours heureux de retrouver), juif polonais auteur de hauts faits d’arme dans la Résistance, présent au procès. Arthur Harari (qui est aussi réalisateur) est un Kiejman stratège, tout en retenue, d’une rationalité redoutable, le verbe précis et intransigeant.
Méthodes contraires et identité commune
Goldman et Kiejman s’emploient au même objectif, avec des méthodes quasi contraires. On sourit au moment où Kiejman, excédé, glisse sous cape « Faites-le taire ! » alors que son client est en train de répondre avec véhémence aux accusations de la partie adverse, portées par maître Garaud (Nicolas Briançon). Les deux hommes ont toutefois une identité commune, leur origine juive polonaise, qui, le temps d’une plaidoirie, parviendra à les unir.
Cédric Kahn filme le théâtre du prétoire avec fluidité, en ne respectant pas toujours les lois du réalisme. Ainsi, plutôt que d’accumuler les champs/contre-champs, un système invisible de miroir permet de montrer un témoin à la barre en même temps que le reflet de Goldman dans son box.
Autant dire que comédiens, mise en scène et dialogues ne laissent pas un instant de répit dans ce film d’une intensité inouïe. Que ce soit au sujet de l’affaire elle-même ou sur des questions plus larges, les débats semblent davantage menés par la personnalité tranchante de Goldman que par le président du tribunal (Stéphan Guérin-Tillié).
L’accusé déclare être la victime d’une machination policière et judiciaire, dénonce le racisme et l’antisémitisme systémiques de la police – ce qui n’est pas sans écho avec notre époque –, et associe « nègres » et juifs dans le même stigmate subi. Cédric Kahn s’intéresse depuis longtemps à des formes de marginalité qui passent parfois par la violence, quelle qu’elle soit : notamment avec Roberto Succo (2001) ou Vie sauvage (2014). Il montre ici un Goldman flamboyant dans sa grandeur politique comme dans ses errements de gangster, éperdu d’héroïsme dans une époque qui n’en offre plus, la Résistance appartenant au passé et la révolution n’ayant plus d’avenir.
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