« The Harlem Suite » : raconter Harlem
Le saxophoniste Jacques Schwarz-Bart livre un album personnel, ode au quartier new-yorkais.
dans l’hebdo N° 1759 Acheter ce numéro
The Harlem Suite / Jacques Schwarz-Bart / Ropeadope.
The Harlem Suite, onzième album du saxophoniste Jacques Schwarz-Bart, s’ouvre par un morceau virevoltant intitulé « Sun Salutation ». Le musicien y clame sa joie, enthousiasmé par le retour du soleil et la fin de l’hiver. Il dialogue avec ses complices, Marcus Gilmore à la batterie, Matt Penman à la basse et Victor Gould au piano, et le quartet déroule ses influences hard bop avec un naturel admirable.
Toutefois, au cœur du morceau, le son s’alourdit et la musique se dote d’un vernis funk. « Le jour où le soleil est revenu, a expliqué Jacques Schwarz-Bart sur France Culture, est aussi celui où j’ai appris que j’allais jouer avec D’Angelo. » Schwarz-Bart s’apprête à partir en tournée avec ce musicien emblématique de la néo-soul des années 2000, et c’est à cet épisode de sa vie qu’il rend hommage avec cet interlude tout en décalage.
Retour sur les dix-huit années passées par le saxophoniste français dans l’enclave new-yorkaise de Harlem, le disque est, à l’image du morceau qui l’introduit, une série de petites histoires racontant à la fois la vie du musicien, son attachement pour le quartier et la grande histoire qui le caractérise. Né en Guadeloupe en 1962, fils des écrivains Simone et André Schwarz-Bart, aujourd’hui professeur au Berklee College de Boston, Jacques Schwarz-Bart aime utiliser son propre parcours pour évoquer des thèmes qui le transcendent.
Diaspora africaine
En 2014, son disque Jazz Racine Haïti se fondait sur une exploration de ses origines caribéennes pour discuter les relations de l’île à l’Afrique et à la mémoire de l’esclavage. Plus récemment, en 2018, l’album Hazzan retraçait, lui, son ancestralité hébraïque.
Aujourd’hui, avec The Harlem Suite, c’est l’histoire des États-Unis, son pays d’adoption, que Schwarz-Bart évoque, mettant en musique les caractéristiques des communautés de la diaspora africaine et les injustices dont elles sont les victimes.
Au long de l’album, les messages et les ambiances alternent. « Sun Salutation » est suivi par le classique « Butterfly », chanté par Malika Tirolien, accompagnée par l’immense Terri Lyne Carrington à la batterie et le toujours subtil Sullivan Fortner au piano. Vient ensuite « Twisted », peut-être le petit joyau du disque, dans lequel Fortner, Carrington et Schwarz-Bart échangent avec verve et malice.
Plus tard dans l’album, Jacques Schwartz-Bart raconte l’allégresse de la rencontre entre personnes et cultures, dans un duo avec la chanteuse Stephanie McKay (« Look No Further »), la frontière entre le quartier et le reste de la ville dans le mélancolique « Central Park North », et les multiples influences des populations de Harlem, Babel africaine dont l’héritage tragique converse avec une constante créativité (« From Gorée to Harlem »). Périple fait de morceaux heureux et tristes, de mélodies enlevées et éplorées, le disque s’achève avec le titre « Dreaming of Freedom », où le saxophoniste retrouve Reggie Washington à la basse et les Français Arnaud Dolmen et Grégory Privat.
Album personnel et politique
Ode à la libération des peuples africains-américains, le titre porte également un autre message. Interviewé pour l’« Open Jazz » d’Alex Dutilh sur France Musique, le saxophoniste a raconté comment le morceau est venu conclure une longue conversation téléphonique avec un amateur de sa musique qui, pendant une journée, lui avait raconté un épisode de son existence. Comme nombre d’Africains-Américains des États-Unis, celui-ci s’était retrouvé victime de l’hyper-puissant système carcéral qui se déploie dans le pays. Emprisonné par erreur, il avait raconté au musicien sa détresse, ses peurs et son espoir de retrouver un jour la liberté.
Jacques Schwarz-Bart a tiré de cette conversation un morceau qui, là encore, excelle, dans son habileté à faire dialoguer un vécu individuel et une situation socio-historique dont on parle trop peu. Aux États-Unis, les Africains-Américains représentent 13 % des habitants. Pourtant, ils sont 38 % de la population carcérale. Une réalité dramatique qui vient clore un album aussi personnel que politique