« The Old Oak », de Ken Loach (Compétition) & Mon palmarès idéal

Le réalisateur britannique toujours en pleine forme.

Christophe Kantcheff  • 27 mai 2023
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« The Old Oak », de Ken Loach (Compétition) & Mon palmarès idéal
© SIXTEEN OAK LIMITED, WHY NOT PRODUCTIONS

Bien sûr, les immigrés font partie de l’horizon du cinéma de Ken Loach. Présents notamment dans Just a Kiss (2004) ou It’s a Free World (2007). Mais, pour des cinéastes tels que lui, l’afflux de réfugiés dû à la répression sanguinaire du peuple syrien ne pouvait les laisser indifférents. À tel point que Loach, âgé aujourd’hui de 86 ans, est revenu sur sa décision d’arrêter de tourner pour réaliser The Old Oak, présenté en compétition.

The Old Oak, Ken Loach, 1 h 53.

La situation de départ est simple : dans une bourgade du nord de l’Angleterre, ancienne cité minière où règne le chômage et la pauvreté, des familles syriennes s’installent, avec l’aide de bénévoles. Comment réagit la population locale ?

On a au Old Oak (« Le Vieux chêne »), le dernier pub du bourg avec son enseigne branlante, un concentré des comportements possibles. Il y a la majorité des habitués, dont l’existence quotidienne ressemble à de la survie, qui peine à admettre la générosité manifestée envers des étrangers. Au contraire, certains réussissent à garder leur faculté d’entraide. Comme TJ Ballantyne, le tenancier du Old Oak, personnage cabossé et d’une grande humanité – comme Loach et son fidèle scénariste, Paul Laverty, savent en créer –, incarné par un comédien exceptionnel, Dave Turner, pompier à la retraite et syndicaliste « dans le civil ».

Une amitié naît entre lui et Yara (Ebla Mari), jeune femme syrienne passionnée de photographie, qui est justement leur premier terrain d’échanges. Dans l’arrière salle désaffectée du pub, TJ lui montre les photos exposées là depuis des décennies, où figurent les mineurs du bourg au temps des grandes grèves, quand la solidarité permettait de tenir.

Un mot revient souvent dans les critiques faites aux films de Loach, celui-ci en particulier : il serait « programmatique ». Autrement dit sans surprise, sur des rails. Je vais prendre deux points, de nature différente, qui me paraissent contredire cette affirmation.

Le premier, c’est l’existence d’une séquence inédite, dont la portée va beaucoup plus loin que sa propre durée. De passage à Durham pour récupérer l’aide alimentaire fournie par la cathédrale anglicane qui surplombe la ville, Yara et TJ se retrouvent à l’intérieur de ce bâtiment magnifique, dont TJ précise qu’elle est l’œuvre de milliers de travailleurs. Là, dans cette cathédrale fondée au XIe siècle, la jeune femme évoque le devenir séculaire de la Syrie, alors que résonnent en arrière fond des cantiques religieux. Il n’est pas interdit de penser, sans pour autant nier le matérialisme loachien, que cette rencontre de l’histoire et du sacré confère à la notion de fraternité, au cœur du film, une dimension supérieure qui dépasse la seule morale humaine.

Deuxième point : The Old Oak déclenche une émotion débordante, y compris chez des réfractaires au film mais qui ont l’honnêteté de le reconnaître. Or, quoi de moins programmable que cela, quand aucune facilité tire-larmes n’est sollicitée – ce qui est le cas ? La raison n’en serait-elle pas que le cinéaste parvient à toucher un endroit que tous les spectatrices et spectateurs ont en partage, quel que soit l’âge, l’origine sociale ou géographique, la biographie, la religion : notre commune nudité face à la condition de mortel ? The Old Oak nous le rappelle et, qui sait, nous rend meilleurs…

Mon palmarès idéal

Voici venu le moment d’établir mon (traditionnel) palmarès idéal, quelques heures avant l’annonce de celui du jury, au terme d’une compétition avare en chocs considérables mais avec tout de même plusieurs belles œuvres. Attention, ce palmarès n’est pas un pronostic – d’autant qu’il n’est pas crédible puisqu’il ne respecte pas le règlement du festival selon lequel prix d’interprétation et palme d’or ne peuvent être cumulés. Il s’agit des films que j’aimerais voir distingués, en privilégiant dans la mesure du possible ceux dont les réalisateurs n’ont pas été déjà palmés.

Palme d’or : The Zone of Interest, de Jonathan Glazer. Le film le plus étonnant, et qui apporte des réponses esthétiques à des questions éthiques.

Grand Prix : Les Feuilles mortes, d’Aki Kaurismäki.

Prix d’interprétation féminine : Sandra Hüller, qui démontre toute la palette de ses dons de comédienne dans deux films radicalement différents, The Zone of Interest et Anatomie d’une chute, de Justine Triet.

Prix d’interprétation masculine : Koji Yakusho, pour son rôle dans Perfect Days, de Wim Wenders.

Prix de la mise en scène : La Chimera, d’Alice Rohwacher.

Prix du scénario : Anatomie d’une chute, de Justine Triet.

Prix du jury : Vers un avenir radieux, de Nanni Moretti.

À ce soir, pour une ultime chronique du festival de Cannes 2023, à la suite de la cérémonie de clôture et de l’annonce du (vrai) palmarès !

Cinéma
Temps de lecture : 4 minutes
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