« Voix » : mots de tête
Gérard Watkins nous plonge dans l’intimité d’un groupe d’« entendeurs de voix ». En se racontant, ils interrogent la société qui les met à l’écart.
dans l’hebdo N° 1758 Acheter ce numéro
Voix / Théâtre de la Tempête / La Cartoucherie, 75012 Paris, jusqu’au 21 mai, 01 43 28 36 36.
La première parole de Voix vient du haut de la salle, près de la régie. Celui qui la prononce est plongé dans l’obscurité, mais l’on devine qu’il s’agit de Gérard Watkins. Il s’adresse non pas aux trois comédiens au plateau – Lucie Epicureo, Malo Martin, Marie Razafindrakoto – en tant qu’auteur et metteur en scène de la pièce, mais à leurs personnages : Manon, Clément et Éloïse.
En quelques mots, parmi lesquels « temps de parole », « portraits élaborés ensemble » ou encore « zone d’ombres », il esquisse le cadre qui rassemble les protagonistes présents. Nous sommes dans un groupe de parole où il s’agit de rendre visibles, compréhensibles des choses obscures et douloureuses pour celles et ceux qui les portent.
Ces choses, apprend-on dès que les acteurs commencent à parler, sont des voix. Non pas de celles que tout le monde entend, mais de celles qui ne parlent que dans la tête de certains, suscitant parfois de grandes souffrances. Inspiré du Réseau des entendeurs de voix (REV), né aux Pays-Bas en 1987, le groupe de Voix se livre au spectateur comme à l’un de ses membres.
Dire ce qui a été trop longtemps contenu
Tout est fait pour que chacun puisse raconter les derniers épisodes de ses relations avec ses voix et recevoir de bons et bienveillants conseils. Au regard de la manière dont les « entendeurs de voix » sont traités dans la société, le fonctionnement du collectif de la pièce est presque utopique.
Nourris par un important travail documentaire, les récits qui circulent entre scène et salle sont aussi forts de leur dimension fictionnelle. Celui de Manon, par exemple, en institution psychiatrique depuis des années et habitée par la voix aiguë d’une certaine « Frau », rend palpable la douleur psychique que peuvent créer chez ceux qui les entendent des voix ressassant les mêmes plaintes.
L’entrée en scène de Valérie Dréville dans le rôle d’une femme pleine de voix diverses – Dieu, un morse, une fillette colérique, un garçon des bois… – nous rapproche du phénomène invisible dont il est question. Son monologue est porté par l’urgence qu’il y a à dire ce qui a été trop longtemps contenu parce que mal vu, donc mal traité. En ouvrant un espace dédié à l’imperceptible, le théâtre est ici appel à la pensée, à l’imaginaire autant qu’à la tolérance.