Brigitte Fontaine : « Je suis libre quand j’écris. Vaguement »
La reine des kékés nous reçoit chez elle, à Paris, pour parler de sa dernière œuvre poétique, Fatrasie. Brigitte Fontaine y parle de vie et de mort. Et prévient : elle « ne mourra pas ».
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Fatrasie / Brigitte Fontaine / Le Tripode, 96 pages, 13 euros.
J’aime Brigitte Fontaine. Autant être honnête. J’ai tout lu, tout vu, tout entendu. Vous la connaissez pour ses shows télévisés. La poète est bien mal connue. Elle est pourtant l’une de nos plus grandes plumes. Elle passe sa vie à écrire : de la poésie, des romans, des pièces de théâtre. Elle chante aussi. Elle est comédienne surtout. Brigitte est dans l’air du temps. Ne regarde jamais en arrière. Aujourd’hui, elle nous offre un recueil de poésie. Avec Fatrasie, elle voulait nous faire rire. Qu’il est difficile de rire du tragique ! Elle nous dévoile un corps, son corps, ce « squelette tordu » avec son « peu de chair froissée » qui lui reste, et qui la fait tant souffrir, les mots pour seul remède. Elle n’en reste pas moins connectée et sensible aux désordres du monde qu’elle décrit avec ses belles lettres, tantôt avec dégoût, tantôt avec colère, tantôt avec tendresse. Brigitte Fontaine n’est jamais résignée. Et toujours prête à prendre les armes.
Dans Fatrasie, vous parlez beaucoup de vie, d’amour, de peur, de chat, de couple. On passe par tout type d’émotions…
Brigitte Fontaine : D’amour, sûrement pas. Je suis très contente que ce livre vous ait ému mais je n’ai pas fait ce livre pour ça. Je voulais qu’on rie. Je voulais rire et que les gens rient, mais je crois que c’est plutôt raté de ce côté-là. C’est plutôt dur et un peu triste, par moments. Et par moments c’est rigolo.
Vous ne parlez pas d’amour dans Fatrasie ?
C’est-à-dire que je n’y crois pas tellement, à l’amour. L’amour c’est du pipeau. C’est bon pour les gogos !
Il est pourtant question d’une histoire d’amour dans ce livre. Un amour juvénile entre Sabine et Mateo…
C’est une petite histoire d’amour sympa. Une histoire de sexe. Mais je ne sais pas si l’amour existe entre eux deux.
La souffrance est très présente dans Fatrasie. « Souffrance presque palpable qui emplit les cubes », écrivez-vous. « Injuste Dieu, je te hais. Injuste Dieu, tu me tues. » Et la science dans tout ça, vous l’épargnez ?
Je ne connais pas la science. Nous n’avons pas été présentées. Au lycée, je n’écoutais jamais rien. Mais j’ai quand même été reçue avec mention bien au baccalauréat.
« Être enfermée dans un corps », écrivez-vous. Vous décrivez le corps comme une « gracieuse laideur », « les mollets comme des sacs vides. Les bras, une peau rageusement crépue, le cou, celui d’un dindon ». En 2009, dans l’album Prohibition, vous assumiez : « Je suis vieille et je vous encule avec mon look de libellule. » Que s’est-il passé entre cet album, Prohibition, et Fatrasie ?
Il s’est passé, notamment, une grosse fracture des vertèbres. J’ai un genre de collier d’épines dans le dos qui fait très mal, ainsi que toutes les côtes et tous les os. Je vis, si on peut appeler ça vivre, toujours allongée, mais sur le côté.
« Entre la mort et moi, un barrage : l’écriture. » Est-ce que l’écriture efface ou atténue les douleurs ? Est-ce que l’écriture guérit les maux ?
C’est-à-dire que je suis attirée par les mots. Par moments, j’ai envie, envie, envie, de malmener, de bien mener, de trouver les mots. Tout d’un coup, j’ai envie, envie, envie, et alors je me précipite pour écrire même s’il est sept heures du matin, ou alors la nuit, à n’importe quelle heure. Je suis attirée. Comme aimantée par les mots. Ça fait s’éloigner les douleurs. Légèrement.
Tout d’un coup, j’ai envie, envie, envie, et alors je me précipite pour écrire.
Les mots, l’écriture, bien plus que la chanson, sont votre arme. « Quand j’écris, je me sens libre. » Est-ce qu’on est libre d’écrire par soi-même ?
Je suis libre quand j’écris. Vaguement. Je me sens un peu libre. Mais la liberté est une illusion. Je ne crois pas qu’il y ait des gens libres. Il y a des moments de liberté. Il y a des moments où l’on se sent comme libre. Mais je crois que c’est aussi du pipeau, cette histoire, surtout la liberté intérieure. Et également la liberté extérieure si l’on regarde la politique qui a toujours été ainsi, avec des nuances énormes, mais ça a toujours été liberticide, comme ils disent.
« Je me jetterais dans la Seine pour sauver un chat qui se noie, mais je me délecterais d’un petit oiseau en cage. Les gens sont paradoxaux. » Ce que vous écrivez là fait-il écho à notre inhumanité ? Je pense notamment au sort que l’on réserve aux exilés.
Je pense très souvent à eux. Je souffre pour eux. Si je pouvais pleurer, je pleurerais. Je peux pleurer d’émotion pour une musique par exemple ou des trucs comme ça, mais pas de douleur. Je ne pleure plus depuis longtemps.
« La peur est victorieuse, partout, partout, partout, la peur large est vicieuse, dur, dur le méchant loup », écrivez-vous. Qu’est-ce qui vous fait peur ?
J’ai peur, c’est tout. Peur ! Peur ! Ma vie est dominée par la peur. Gouvernée par la peur. La peur, c’est tout. Point ! Et puis, d’autre part, des peurs par-ci, par-là.
Elle vous fait peur, Marine Le Pen ?
La pauvre, je crois qu’on n’a pas à craindre qu’elle soit élue. Elle sera toujours minable. Entre autres. Toujours minable et incapable. Donc elle ne me fait pas peur parce qu’elle ne sera certainement jamais élue.
« Toute ma vie a été une lutte pour l’honneur des femmes », dites-vous. Elles sont à la hauteur, les féministes d’aujourd’hui ?
Je n’aime pas les « istes ». Si je peux en accepter un, c’est bien celui d’artiste. Et encore. Bref ! Je ne suis pas en carte, donc je ne suis pas féministe, mais je suis solidaire de toutes les femmes et solidaire avec toutes les femmes. Sans le vouloir clairement, j’ai depuis le début œuvré pour participer à la restauration de l’honneur des femmes. Mais les féministes d’aujourd’hui ne s’occupent que de conneries genre mettre un « e » à écrivain, ce qui est stupide. Je préfère m’occuper de ce qu’ils appellent à la télévision des violences conjugales. C’est-à-dire le meurtre tous les deux ou trois jours d’une femme tuée par son mec.
Je suis solidaire de toutes les femmes et solidaire avec toutes les femmes.
Vous détestez la médiocrité par-dessus tout. Pourquoi s’accommode-t-on de la médiocrité, d’après vous ?
Je n’ai jamais dit que je détestais la médiocrité. Je ne sais pas où vous êtes allé chercher tout ça.
Comment fait-on pour être à la hauteur de Brigitte Fontaine ?
Mon Dieu, mon Dieu. Je ne me considère pas comme étant d’une hauteur particulière.
Le seul qui est à la hauteur de Brigitte Fontaine, c’est Areski Belkacem (1) ?
Compositeur, musicien multi-instrumentiste, comédien et chanteur, Areski Belkacem
est le compagnon de Brigitte Fontaine.
Peut-être bien. C’est une excellente idée. Allez, on trinque !
Vous dites qu’on est tous des moutons et que vous seule en rendez compte. Est-ce que ça ne plaide pas pour que Brigitte Fontaine soit enseignée à l’école ?
Ah non ! Ah non ! Merde alors ! Ils vont encore nous bousiller tout ça. Ils bousillent tout ! Il en faut de l’école, bien sûr, mais pas avec les façons de voir et de vivre, et la façon de voir la vie des enseignants, en général, probablement. À mon avis, il est possible, il me semble, lalala lalala… (Elle chantonne.)
« À l’école, on me gavera (2) », chantiez-vous en 1972…
Extrait d’« Où vas-tu petit garçon ? », album Brigitte Fontaine (1972).
Oui, ça a fait beaucoup de peine à mon père. Je regrette d’avoir écrit cette chanson car, en effet, il en faut, de l’école. Seulement, il ne faut pas qu’ils essaient de nous transmettre leur façon de voir la vie. Il faut qu’ils enseignent ! Tout simplement.
Ça veut dire quoi, réussir sa vie ? Ou la rater ?
Mais j’en sais rien, moi ! Qu’est-ce que c’est que ces questions. On dirait un Américain. Réussir sa vie, ça n’existe pas.
Est-ce que vous êtes fière ?
Oui je suis fière. Et je pense que tout le monde doit être fier. Je souhaiterais être fière et encore plus fière. Je saurais gré aux gens d’être fiers. Les gens. Évidemment, surtout les femmes. Et surtout les femmes iraniennes ou afghanes. Mais là c’est trop dur et trop terrible. C’est-à-dire que… (Elle s’interrompt.) Bon, assez parlementé, vive la lutte armée. Je me cite. J’ai écrit ça dans une chanson qui s’appelle « Vendetta » : À bas le sexe fort ! À mort ! À mort ! À mort ! (Rires.) Bon, c’est un peu excessif et rigolo mais c’est pas drôle si on est afghane ou iranienne. Et en effet, je prendrais les armes si j’étais afghane ou iranienne.
C’est quoi votre prochain projet ?
Un disque. Mais ça fait des mois qu’il devrait être enregistré. Il va l’être dans quelques quinzaines.
Vous croyez en quoi, Brigitte ?
Je ne crois pas. Je ne crois pas que je crois. Voilà !