Contre Total, des Ougandais saisissent la justice française
La bataille judiciaire contre le méga-projet pétrolier de Total en Ouganda continue. Cinq associations françaises et ougandaises, ainsi que 26 Ougandais directement affectés par les projets EACOP et Tilenga, demandent réparation devant la justice française.
Depuis 2017, les projets d’exploitation pétrolière de Total en Ouganda – nommé Tilenga – et de transport du pétrole par pipeline jusqu’en Tanzanie – nommé EACOP – font des ravages auprès des communautés locales. Mardi 27 juin, accompagnées de cinq associations¹, vingt-six personnes directement affectées par le projet annoncent assigner la firme en justice sur le fondement de la loi sur le devoir de vigilance.
Les trois associations ougandaises NAPE/Amis de la Terre Ouganda, AFIEGO et Tasha Research Institute, ainsi que les deux ONG françaises Survie et Les Amis de la Terre.
Depuis l’adoption de ce texte, les entreprises françaises sont tenues d’établir un plan de vigilance, chargé de prévenir et de réparer les risques sociaux et environnementaux liés à leurs projets partout dans le monde, y compris s’ils sont menés par des filiales.
En octobre 2019, plusieurs organisations s’étaient déjà appuyées sur cette loi pour saisir la justice française. Elles avaient été déboutées de leur demande en mars dernier pour des questions de procédure, ne permettant pas d’aborder le fond de l’affaire. « Notre première action en justice visait à empêcher que le projet ne porte atteinte aux droits humains, mais aujourd’hui nous demandons réparation car les violations ont déjà été commises », rappelle Juliette Renaud, responsable de campagne pour l’ONG Les Amis de la Terre.
118 000 personnes expropriées
Jelousy Mugisha fait partie des Ougandais qui mènent cette nouvelle action. Son témoignage, lors de la conférence de presse de ce 27 juin, symbolise à lui seul les immenses préjudices pour lesquels les communautés affectées demandent réparation.
Son calvaire a commencé en 2017, lorsque Total a identifié dans son village un lieu où construire une usine de traitement du pétrole : « Après des évaluations, Total a annoncé qu’à partir du 16 mai 2017 nous n’aurions plus le droit d’exploiter nos terres agricoles. » Comme l’essentiel des 118 000 personnes expropriées pour la construction du projet, Jelousy a ainsi été privé de l’utilisation de ses terres avant de recevoir une compensation financière. Les travaux de terrassement pour l’installation de l’usine ont aussi causé des inondations dans son village, noyant ce qu’il restait de ses cultures.
Le fermier, père de sept enfants, a également perdu sa maison, classée sans explication préalable comme résidence secondaire. Pour s’être élevé contre ces injustices, en alertant notamment sur l’insuffisance des compensations financières et en nature, Jelousy a subi des pressions. À la suite d’un premier témoignage devant les tribunaux français en 2019, il avait été arrêté et placé en détention à son retour à l’aéroport de Kampala.
Pour Elise Le Gall, avocate des parties civiles dans cette affaire, « la responsabilité civile délictuelle de Total est engagée » face à tous les dommages causés par le projet. Selon la loi sur le devoir de vigilance, la firme aurait dû réaliser une cartographie des risques plus complète et mettre en place des mesures de compensation bien plus ambitieuses. En portant une nouvelle fois cette affaire devant le tribunal, les personnes affectées et les associations espèrent qu’elle pourra être jugée sur le fond, pour enfin contraindre Total à assumer ses responsabilités.
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