Écologie : le bilan noir de l’extrême droite au pouvoir
Dans les pays où l’extrême droite est au pouvoir, l’environnement est loin d’être une priorité politique. Pire, les décisions prises aggravent la crise climatique. Preuve par l’exemple sur trois continents.
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Cinquante nuances de vert-brun « Le RN est dans un greenwashing nationaliste »« Il faut faire en sorte que l’écologie dépasse les clivages partisans », défendait en avril le journaliste Hugo Clément sur le plateau de l’émission de France 5 « C ce soir », pour se justifier de sa participation à une soirée-débat organisée par Valeurs actuelles. À ceux qui espèrent une mue écologiste du Rassemblement national, la réalité des pays gouvernés par l’extrême droite prouve que leur arrivée au pouvoir aggrave la crise climatique. Entre culte du charbon et du gaz, climatoscepticisme, destruction des écosystèmes et hégémonie de l’industrie, tour d’horizon des bilans catastrophiques et reculs historiques constatés au Brésil, en Turquie et dans plusieurs pays de l’Union européenne.
Le mandat de Jair Bolsonaro a été dévastateur pour l’environnement à l’échelle mondiale
Le constat n’a rien d’étonnant, le mandat de Jair Bolsonaro a été dévastateur pour l’environnement à l’échelle mondiale. Climatosceptique notoire, il a été élu président du Brésil en janvier 2019 avec le soutien du puissant lobby de l’agroalimentaire. Il a d’ailleurs exaucé le rêve de l’industrie en fusionnant dès son arrivée au pouvoir le ministère de l’Agriculture avec celui de l’Environnement. Le président a également pris soin de démanteler les organes fédéraux de contrôle en matière environnementale, paralysés pendant quatre ans par les coupes budgétaires. Dès lors, la déforestation – principalement causée par l’agriculture et l’élevage – a bondi de 55 % par rapport au mandat précédent.
Lula, élu en janvier dernier, a restauré un ministère de l’Environnement à part entière. Mais la présidence Bolsonaro a causé des dommages irréversibles. La forêt amazonienne, « poumon de la Terre » d’une superficie de plus de huit fois celle de la France, ne semble plus si bien porter son nom. Selon une étude publiée en avril 2021 par une équipe de chercheurs internationaux et relayée en France par l’Institut de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae), l’Amazonie brésilienne – 60 % de la superficie totale de l’Amazonie – rejette davantage de carbone qu’elle n’en absorbe. La déforestation, mais aussi les incendies, la construction de barrages, l’élevage intensif et l’utilisation massive d’engrais ont eu raison de ce puits de carbone pourtant vital.
Enfin, sous le mandat du président d’extrême droite, aucune nouvelle terre n’a été reconnue comme appartenant aux peuples indigènes, alors que 300 territoires attendaient cette distinction. La suppression de la protection militaire des terres des Yanomami, plus grand territoire indigène du Brésil, a conduit à l’arrivée de près de 20 000 orpailleurs, qui ont creusé des mines à ciel ouvert et contaminé l’eau et le poisson au mercure, faisant courir aux peuples indigènes le risque d’être exposés à des maladies et des famines.
Le charbon et le gaz comme carburants
Politique phare de la Commission européenne sous la présidence d’Ursula von der Leyen, le Green Deal (aussi appelé « pacte vert ») regroupe un ensemble de mesures permettant de réduire de moitié les émissions de CO2 de l’Union européenne d’ici à 2030 et d’aller vers la neutralité carbone d’ici à 2050. Mais cet objectif pourrait être contrecarré par la dépendance de la Pologne au charbon, source d’énergie la plus émettrice de CO2 au monde. Le pays, dirigé par le président conservateur Andrzej Duda, est d’ailleurs le seul des vingt-sept États membres à avoir refusé de souscrire aux objectifs du pacte. 80 % de l’électricité polonaise est toujours fournie par le charbon, contre 10 % pour le renouvelable. Face à la crise du secteur en raison de la guerre en Ukraine, la priorité du pays est d’« assurer la sécurité énergétique avant de commencer à parler d’une politique climatique efficace », résume le représentant permanent de la Pologne auprès de l’UE, Andrzej Sadoś.
Le programme de Meloni, le pire en matière d’engagements climatiques.
De son côté, l’Italie de Giorgia Meloni concentre plutôt ses investissements sur le gaz, première source d’énergie du pays et principalement importé d’Algérie. La Première ministre d’extrême droite souhaite accroître son recours au gaz naturel liquéfié (GNL). La technologie de refroidissement de ce gaz, qui permet de le rendre liquide pour le transporter et le stocker à bord d’immenses bateaux réfrigérés, est elle-même très énergivore. Selon une analyse du cabinet Carbone 4, en prenant en compte toute la chaîne de son exploitation à sa combustion, le GNL émettrait deux fois plus de CO2 que le gaz transporté dans un gazoduc. La protection de l’environnement n’est de toute façon pas la priorité du gouvernement de Giorgia Meloni : avant les élections législatives qui l’ont portée au pouvoir, un groupe de scientifiques avait classé son programme comme le pire de tous les candidats en matière d’engagements climatiques.
En Suède enfin, l’ambition affichée reste d’atteindre la neutralité carbone en 2045, avant même qu’elle le soit au niveau européen. Mais l’élection d’un premier ministre de centre droit avec le soutien de l’extrême droite en octobre 2022 change la donne. Premier signal d’alarme : le ministère de l’Environnement a été placé sous la tutelle du ministère de l’Industrie et de l’Énergie. Dans l’accord de formation du nouveau gouvernement, sous l’emprise de l’extrême droite, rien ne précise comment la Suède compte tenir ses ambitieux objectifs.
Mégaprojets en Turquie
Réélu à la tête de la Turquie le dimanche 28 mai, Recep Tayyip Erdoğan entame son troisième mandat avec un bilan environnemental désastreux. Le pays est pourtant en première ligne en termes de vulnérabilité face aux catastrophes climatiques : après les séismes dévastateurs de février, deux provinces du sud-est de la Turquie ont été touchées par de graves inondations.
Erdoğan entame son troisième mandat avec un bilan environnemental désastreux.
Face aux périls mortels, Erdoğan semble pourtant impassible, voire intentionnellement plongé dans le déni. À l’été 2021, par exemple, alors que le sud-ouest du pays était ravagé par les incendies, l’exécutif a interdit la diffusion en direct d’images des feux dans les médias, pour éviter l’humiliation. La Turquie a en effet été obligée de solliciter l’aide internationale pour lutter contre les flammes, car le gouvernement avait décidé de démanteler la principale structure détenant les avions bombardiers d’eau turcs, pour faire des économies.
Dans le même temps, les mégaprojets de construction se sont multipliés au mépris de la biodiversité et sans prise en compte des risques que pose le changement climatique. Rien qu’à Istanbul, un nouveau tunnel a été construit sous le Bosphore et un nouvel aéroport a vu le jour. Enfin, Erdoğan n’abandonne pas son projet fou de dédoubler le détroit du Bosphore en construisant le canal Istanbul, une voie d’eau artificielle de 45 kilomètres de long.