Exercice Orion 23 : à la guerre comme à la guerre
Pendant un an, l’armée française et certains partenaires étrangers ont simulé un combat de haute intensité dans plusieurs communes. Une démonstration de force de grande ampleur imposée à la population et assortie d’une communication à la gloire de l’engagement militaire.
dans l’hebdo N° 1763 Acheter ce numéro
La grande muette a rarement été aussi volubile. Montée en puissance du service national universel (SNU), développement des classes avec option défense, diversification des actions de renforcement du lien armées-jeunesse, recrutement massif envisagé par la loi de programmation militaire… Les institutions de défense françaises ne cessent d’enchaîner les dispositifs pour valoriser leurs missions et faire rayonner leurs valeurs.
L’exercice Orion 23 en est l’exemple même. Cette « opération de grande envergure pour des armées résilientes, interopérables, orientées vers le combat de haute intensité et novatrices [Orion] » contribue à « préparer les forces aux situations les plus complexes […] et à montrer que la France possède des armées aptes au combat de haute intensité », selon la communication du ministère des Armées. Rassemblant de nombreux partenaires étrangers (États-Unis, Italie, Royaume-Uni, etc.), mobilisant une force de plusieurs milliers de militaires, Orion 23 revêt toutes les composantes du conflit moderne.
L’exercice, qui a débuté en mai 2022, s’est achevé en mai 2023. Son scénario fictif était lancé depuis 2021. Il s’agissait, pour la nation, « Arnland », soutenue par la France et ses alliés, de défendre son espace et de rétablir la sécurité face à l’invasion de « Mercure », pays exerçant une lourde menace militaire aux frontières. Quatre phases – de la planification à l’exercice en conditions réelles – se sont enchaînées, se déployant dans plus de vingt départements, sur terre, dans les airs et en mer.
En plus de l’entraînement des forces armées au combat de haute intensité, et en vue de se préparer à « l’hypothèse d’engagement », un autre objectif était clairement annoncé dans le dossier de presse de l’exercice. Orion 23 est « une occasion unique pour la population d’aller à la rencontre de son armée, de découvrir ses matériels et de mieux comprendre son action ». Pierre Gaudillère, porte-parole du chef d’état-major des Armées, détaille : « Dans le contexte général, il est très important que les Français puissent voir pourquoi et comment se déroulent les entraînements. Grâce à cela, ils comprennent ce que sont leurs forces de défense. »
Scènes de guerre dans les villages
La France n’avait pas connu d’exercice d’une telle ampleur « depuis une trentaine d’années », explique le porte-parole. Et c’est au contact de la population et de son milieu que s’est invitée l’armée pour son grand retour. Toutes les étapes de l’exercice ont mobilisé, entre autres, plus de 2 300 véhicules, 100 drones militaires, 10 bases aériennes, 130 aéronefs et 20 capteurs spatiaux. À Cahors (46), ville de « l’assaut final » lors de la phase 2, l’armée a investi tous les espaces dès 7 heures du matin, mobilisant fièrement tous les équipements en sa possession. « Les militaires entouraient la ville. Pendant plusieurs jours, l’armée nous a offert un spectacle », confie Samy, 23 ans, étudiant à Cahors. Le maire de la ville, Jean-Marc Vayssouze-Faure, renchérit : « C’étaient des fumigènes et les armes tiraient à blanc, mais c’était très réaliste et vraiment spectaculaire. »
Pendant plusieurs jours, l’armée nous a offert un spectacle.
Cette animation ne s’est pas arrêtée lorsque les chargeurs étaient vidés. Alors que l’opération touchait à sa fin, c’est sur la place centrale de la ville que se sont rassemblés les militaires et leurs blindés. Avec ateliers de grimage militaire pour les enfants, explications sur les armes, présentation des véhicules, orchestrés par ceux qui venaient de réaliser l’exercice. « Je ne sais pas si cette présence sur la place était comprise dans l’exercice Orion, avance Pierre Gaudillère, mais chaque unité appartient à un régiment qui conduit sa propre communication aussi. » « Ça rassure les populations sur les armées et leur capacité à protéger le pays, poursuitle maire de la ville, dans un moment où on voit que les conflits peuvent arriver à nos portes. »
Cependant, une partie de la population n’a pas accueilli le passage des troupes avec autant d’engouement. À Saint-Antonin-Noble-Val (82), village du Tarn-et-Garonne, une mère s’offusque : « Un dimanche, alors que l’exercice se préparait, mon fils est passé à l’abord d’un char et le militaire aux commandes l’a invité à monter ! » Cette présence militaire imposée questionne. Certains militaires eux-mêmes dénoncent « un coup de com’ » frisant parfois « le grand n’importe quoi », comme le rapporte sur Twitter le média Opexnews, traitant des enjeux de défense. Un officier* ayant participé à l’exercice nuance : « Ce n’est pas un coup de com’, parce que l’armée en fait rarement. Mais, pour moi, c’est logique. On gêne la population le temps de l’exercice, c’est normal qu’à la fin on puisse prendre le temps de lui montrer et de lui expliquer. Ça permet aussi des échanges et du recrutement. » Il considère le lien armée-nation « inexistant » et estime qu’il faut à tout prix le rétablir et le renforcer.
Tout au long de l’exercice, chaque situation était propice à entretenir ce lien. « Pour mieux assurer la sécurité des Français, les militaires doivent s’entraîner ensemble, selon un scénario crédible et dans des conditions réalistes », conclut le dossier de presse. D’après la mère de famille à Saint-Antonin-Noble-Val, la condition du réalisme est malheureusement remplie. « C’était la guerre au village », souffle-t-elle. La quatrième et dernière phase de l’exercice s’est tenue du 19 avril au 5 mai. C’est alors dans les villes et villages de l’Hexagone que 12 000 militaires ont évolué. Pour les habitants du village résidant à proximité du camp militaire de Caylus, le passage des forces armées est une image habituelle. Pourtant, « nous n’avions jamais vu ça. Le matin, alors que nous emmenions les enfants à l’école, des dizaines de véhicules blindés amphibies circulaient parmi nous », poursuit notre témoin. Elle reprend : « Mon fils rentrait le soir avec des douilles dans les poches que les gamins se distribuaient entre camarades. » Elle ajoute qu’une nuit, « alors que tout le monde dormait, [ses] enfants se sont réveillés en panique. Tout tremblait, les vitres aussi. Un hélicoptère stationnait tout près et d’autres passaient au-dessus de la maison ».
« Il n’y avait pas de consignes à l’égard des citoyens »
Cette situation aurait pourtant pu être anticipée. Bien que l’exercice ait été longuement préparé, les populations – premières impactées et directement visées par cette démonstration militaire – ont été écartées de toutes directives. « Nous n’avons pas été informés, déplore l’habitante de Saint-Antonin-Noble-Val, il n’y a eu aucune communication de la part de la mairie. » De son côté, le maire, Denis Ferté, pour qui le passage des troupes n’était pas plus impressionnant qu’à l’accoutumée, affirme : « Nous avons été informés par l’armée mais nous n’avons pas communiqué. À chaque fois qu’il y a un événement de sport en pleine nature, nous sommes informés mais nous ne communiquons pas forcément. Là, c’était comme une randonnée. »
Sur le terrain cadurcien, le scénario était similaire. La population a cependant été informée par un communiqué mentionnant que les « entraînements ser[aie]nt susceptibles de perturber la tranquillité et la sérénité du cœur de ville ». Informés de la présence des militaires, certes, mais sans « aucune directive sur ce que nous devions faire pendant le passage de l’exercice », affirme Samy. Ce manque de précisions auprès de la population est volontaire, afin de maintenir le degré de réalisme, souligne Pierre Gaudillère, mais il a induit de nombreuses situations d’incompréhension. Ayant filmé pour les réseaux sociaux des parties de l’exercice, Samy montre sur ses vidéos des habitants baguette à la main, ou des personnes âgées en pleine balade se retrouvant au centre d’un scénario de guerre.
Quand une personne se trouvait au milieu du dispositif, elle se faisait rapidement insulter.
« Nous avons reçu les consignes de communication de l’armée. Mais rien n’était prévu à l’attention particulière des citoyens », assure le maire de Cahors. Samy témoigne : « Les passants ne savaient pas comment réagir. Et quand une personne se trouvait au milieu du dispositif, elle se faisait rapidement insulter par les militaires qui lui hurlaient “dégage” ou “casse-toi”. » Plus d’un mois après la fin de l’exercice, « il est trop tôt pour dresser un bilan, explique Pierre Gaudillère. Une année d’analyse afin de tirer des enseignements sera nécessaire pour faire un retour. Mais les résultats sont concluants. » Et malgré des réticences affichées clairement par une partie de la population, la prochaine édition se tiendra en 2026.