Fonds Marianne : une affaire d’État
Ce dossier aux forts soupçons de détournement de fonds publics ne serait que sordide si le casting ne nous plongeait pas dans une petite camarilla idéologisée qui se rattache à un clan politique avec lequel Macron n’a pas voulu rompre.
dans l’hebdo N° 1763 Acheter ce numéro
L’affaire du fonds Marianne, c’est à première vue un scandale financier et un fort soupçon de détournement de fonds publics. Une histoire qui ne serait que sordide si le casting ne nous plongeait pas dans une petite camarilla idéologisée qui se rattache à un clan politique avec lequel Macron n’a pas voulu rompre. Où l’on retrouve surtout les amis de Manuel Valls, qui ne sont pas loin d’être aussi ceux de Gérald Darmanin. Rappelons brièvement les faits. En avril 2021, Marlène Schiappa, alors ministre déléguée à la Citoyenneté, attachée au ministère de l’Intérieur, lance un fonds doté de 2,5 millions d’euros, qui vise à financer des associations défendant les « valeurs de la République ». Nous sommes six mois après l’assassinat de l’enseignant Samuel Paty par un jeune Tchétchène radicalisé, et l’émotion est encore considérable, tant en raison de la barbarie de l’acte lui-même que par sa portée symbolique contre l’institution scolaire.
On y retrouve les amis de Manuel Valls, qui ne sont pas loin d’être aussi ceux de Gérald Darmanin.
Mais, deux ans après la création du fonds, plusieurs médias relèvent des anomalies dans la répartition de l’aide (1). La principale bénéficiaire, à hauteur de 355 000 euros, est une mystérieuse Union fédérative des sociétés d’éducation physique et de préparation militaire (USEPPM), tombée en désuétude mais reprise en main par un personnage sulfureux, bien connu des médias, Mohamed Sifaoui. Un Franco-Algérien qui a fui l’Algérie pendant la guerre civile, tantôt ami de Bouteflika, et tantôt contempteur de l’ancien président algérien homme de paille des généraux. Il est ce qu’en Algérie on appelait un « éradicateur », partisan de la guerre totale contre les « islamistes », dont il donne une définition extensible. Les deux autres protagonistes en vue sont la ministre elle-même et le préfet Christian Gravel, chargé de piloter la répartition du fonds.
France 2, Marianne (l’hebdo), Mediapart.
Homme lige de Manuel Valls (le personnage à qui le maire d’Évry, en déambulation électorale sur un marché, demandait de mettre « quelques blancos » sur la photo, c’était lui), Gravel a joué les fusibles, en démissionnant le 6 juin, dès la publication d’un rapport accablant de l’Inspection générale de l’administration (IGA). Mais son sacrifice n’a pas suffi. De révélations en révélations, on a appris que la dotation attribuée à l’USEPPM a surtout servi à rémunérer grassement Sifaoui, déjà heureux bénéficiaire d’un contrat de « consultant » auprès du ministère de l’Intérieur. Et pour faire bonne mesure, l’USEPPM a acquis un local dans le très chic quartier des Champs-Élysées. De l’art de bien utiliser le denier public… On se dit que les « valeurs de la République » sont entre de bonnes mains. Côté « bataille idéologique », le chat est maigre : treize vidéos sur YouTube ne dépassant pas les 200 vues, un compte Instagram suivi par 155 personnes, ou encore un compte Facebook suivi par cinq personnes : de quoi faire trembler les jihadistes.
La troisième protagoniste de l’affaire, c’est évidemment Marlène Schiappa. À entendre son audition devant la commission d’enquête du Sénat, le 14 juin, elle ne sait rien de cette histoire, et elle n’a évidemment jamais incité Sifaoui à déposer un « projet » avant même la création du fonds. Schiappa, c’est Pinocchio dont le nez s’allonge chaque fois qu’elle ouvre la bouche. Mais, devant la commission, la palme de l’outrecuidance est tout de même revenue à Sifaoui, tour à tour invectivant les sénateurs (« Ça vous embête [ce que je dis] parce que l’heure du déjeuner est proche »), les menaçant (« Vous allez retirer tout de suite ce que vous venez de dire »), et disant tout le bien qu’il pense de Schiappa (« Je ne respecte pas les gens qui n’ont pas de courage »).
Schiappa, c’est Pinocchio dont le nez s’allonge chaque fois qu’elle ouvre la bouche.
Mais ce n’est pas tout. La seconde association la mieux dotée, Reconstruire le commun (sic), a produit une série de vidéos qui cible les oppositions de gauche à Macron, s’en prend avec une infinie vulgarité à Anne Hidalgo, et compare Rokhaya Diallo à un terroriste. Toutes et tous complices des « islamistes ». Nous sommes dans les écuries d’Augias de la République. Il me revient en mémoire que c’est ce gouvernement, sous la pression de ce même clan, qui a liquidé en 2021 l’Observatoire de la laïcité que présidait l’impeccable Jean-Louis Bianco. On lui a substitué un « Comité interministériel » sous la tutelle du tandem Darmanin-Schiappa. L’Observatoire n’était pas assez violent. Il refusait les amalgames. Il ne confondait pas islam et islamisme, islamisme et jihadisme. L’affligeante affaire du fonds Marianne était écrite. Elle a aujourd’hui tout d’une affaire d’État qui atteint un président étrangement silencieux.
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