Honneur aux insurgé·es
Mélinée et Missak Manouchian, résistants, entreront au Panthéon en février 2024. Un hommage tardif dont on peut se réjouir… mais aussi une récupération écoeurante de la résistance étrangère, juive et communiste, par un pouvoir qui insulte ne cesse d’en insulter la mémoire.
dans l’hebdo N° 1763 Acheter ce numéro
Emmanuel Macron vient donc d’annoncer que Missak Manouchian entrera au Panthéon le 21 février 2024 – 80 ans, jour pour jour, après son exécution par les nazis au Mont-Valérien – avec son épouse, Mélinée, arménienne et résistante comme lui.
Lorsqu’on a (1) très tôt mis les immenses héros et héroïnes antifascistes que furent les Francs-tireurs et partisans de la main-d’œuvre immigrée (FTP-MOI) au plus haut pinacle de son panthéon personnel, et vibré de rage au constat de l’interminable oubli général dans lequel ont été ensevelis non seulement les combattant·es du groupe Manouchian, mais aussi celles et ceux des bataillons Carmagnole (Lyon) et Liberté (Grenoble) ou de la 35e brigade « Marcel Langer » (Toulouse), on peut sans doute, dans un premier élan, se réjouir de ce si tardif hommage.
C’est mon cas.
Mais, à la vérité, il y a aussi – et surtout – quelque chose d’insupportable dans cet enrôlement posthume de la résistance étrangère – et juive, et communiste – sous la bannière dégueulasse d’un « républicanisme » qui sert désormais de paravent à la négation de tout ce pour quoi se battaient ces braves parmi les braves (2).
Il faut lire, sur ce sujet, le très important et remarquable article de l’ami Pierre Tevanian, « Manouchian n’est pas un héros de “roman national” » sur le site Les Mots sont importants (lmsi.net).
Il y a aussi – et surtout – quelque chose d’absolument odieux, et d’absolument obscène, et d’absolument révoltant dans la récupération de cette résistance étrangère – et juive, et communiste – qui a combattu l’occupant nazi et ses complices pétainistes « à la balle ou au couteau » par un pouvoir qui, juste après l’élection d’Emmanuel Macron à la présidence de la République en 2017, a voulu « célébrer » la mémoire de l’immonde Charles Maurras – lequel réclamait sous l’Occupation une « contre-terreur » pour les « terroristes » de la Résistance et « le talion » pour les « hordes juives ».
Par un pouvoir dont le chef a ensuite voulu « honorer » le souvenir de celui qu’il appelle sans frémir le « grand soldat » Pétain. Par un pouvoir qui a installé au ministère de l’Intérieur un personnage qui s’est senti autorisé à gloser, dans un livre paru en 2021, sur « les difficultés liées à la présence de dizaines de milliers de Juifs en France » à l’époque napoléonienne – et qui, lorsqu’il n’est pas occupé à demander la dissolution d’une organisation antifasciste, vitupère au gré de ses contractions réactionnaires contre les « étrangers délinquants » ou le « terrorisme intellectuel de l’extrême gauche ». Par un pouvoir dont les brutalités sont comme une insulte permanente au souvenir de ce qui mobilisait la résistance étrangère – et juive, et communiste.
Mélinée et Missak Manouchian ne se battaient ni pour une France fantasmée ni pour une République vautrée dans ses complaisances pour l’intolérable. Les FTP-MOI combattaient la gangrène fasciste : le plus bel hommage que nous puissions rendre à ces insurgé·es magnifiques est de ne jamais laisser des aventuriers du pire confisquer leur mémoire.
Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.
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