« In Search of a Better Tomorrow » : de beaux lendemains
Cinq musiciens de jazz polonais et trois musiciens pakistanais réunis pour un disque partagé entre spiritualité et politique.
dans l’hebdo N° 1764 Acheter ce numéro
In Search of a Better Tomorrow / EABS Meets Jaubi / Astigmatic Records
Patronyme : EABS. Pour Electro Acoustic Beat Sessions. Choisi par cette formation polonaise en référence aux sessions du même nom organisées dans le Puzzle Club de Wrocław auxquelles elle a activement participé. Le club n’existe plus aujourd’hui, les sessions non plus. Le quintet, lui, existe bien. Il s’est fait remarquer dès ses débuts par une démarche singulière témoignant d’un large spectre musical, qu’il s’agisse de rendre hommage au pianiste Krzysztof Komeda, jazzman et compositeur de musiques de film (Le Bal des vampires, Rosemary’s Baby), ou de consacrer un disque à la réinterprétation de sept compositions de Sun Ra. Nouveau déplacement avec cet album né d’une rencontre avec le trio pakistanais Jaubi, composé d’un guitariste, d’un joueur de tabla et chanteur, et d’un joueur de sarangi, vièle à archet utilisée en Inde, au Pakistan et au Népal.
Imaginaire commun
On pense au Miles Davis de Big Fun, dans lequel le trompettiste avait intégré des instruments comme le tabla ou le tambura persan, même si le résultat n’est pas le même. Plus largement, à d’autres jazzmen occidentaux qui sont allés chercher dans les musiques orientales d’autres sonorités, d’autres gammes, d’autres modes, d’autres spiritualités. Sans doute faut-il ajouter ici une dimension politique, ce que suggère le titre de l’album, In Search of a Better Tomorrow (« À la recherche de meilleurs lendemains ») ou celui de la composition qui ouvre la deuxième partie, « Raise Your Hearts, Drop Your Guns » (« Élevez vos cœurs, laissez tomber vos fusils »). Ce qui ne veut pas forcément dire que les huit musiciens réunis pensent que leur musique peut changer le monde. Peut-être, plus modestement, que le simple fait de réunir deux petits morceaux de ce monde pour inventer un imaginaire commun le temps d’un disque apporte déjà une lueur qui en modifie un tout petit peu l’éclairage d’ensemble.
La présence d’instruments orientaux élargit encore la palette sonore du groupe polonais déjà très riche, avec deux moogs (synthétiseurs) analogiques, deux saxophones, ténor et alto, une clarinette basse et une trompette en plus de la section rythmique. Ce qui permet toutes les atmosphères et tous les contrastes. On passe ainsi de la verve incendiaire très coltranienne de « Judgement Day », dans lequel saxophone et sarangi se partagent les soli, à un « Whispers », évoquant le meilleur de Weather Report dans l’utilisation des claviers, ou encore à une relecture d’un raga classique, « Madhuvanti », dans lequel virevoltent les tablas. Le tout porté par un esprit de partage et d’énergie collective.